Cendrillon des temps modernes

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Mardi 21 avril 2015

Ma réaction a été épidermique, instinctive et, même si je n'ai pas pensé tout ce que je lui ai dit, j'ai voulu lui faire mal, comme il me faisait mal, sans même le savoir. Il a cherché à me déstabiliser. Il a pris plaisir à me voir troublée par ses questions. Il avait tout du chat qui joue avec la souris. Mais il n'avait pas la moindre idée de ce que ce jeu déclenchait en moi, parce qu'il ne sait pas, il ne peut pas savoir.

Je me suis réfugiée un moment dans ma chambre mais notre planning d'aujourd'hui nous impose de nous rendre Place Jussieu, dans le 5ème arrondissement, à la Faculté Pierre et Marie Curie.

Greg doit y prendre la parole, ce soir. Avant cette intervention prévue à 19 h, nous assisterons chacun à deux conférences, afin de profiter au mieux de cette journée de séminaire.

Nous devrons également être à l'écoute des interventions plus ou moins chevronnées des étudiants de 3ème année afin de déceler la perle rare. Si tel est le cas, nous recevrons ces génies en devenir demain autour d'un petit déjeuner.

Lorsque je sors enfin de ma tanière Greg est déjà parti. Il a laissé un mot sur la table du grand salon.

« Retrouvons nous ce soir, après mon intervention. Nous rentrerons à l'hôtel pour nous changer et nous rendrons au dîner de gala. J'ai pris la liberté de faire mettre de côté quelques robes qui pourraient convenir à l'occasion. Demandez Edna. Une limousine est à votre disposition. Adressez vous au concierge dès que vous serez prête à partir. Greg »

Il a pensé à tout, de la robe à la limousine, de la coiffeuse à la maquilleuse, sauf au fait que je n'aime pas la foule. Mais je ne dois pas oublier que je suis ici avec mon patron et que si je peux éviter d'être licenciée à notre retour, je dois pouvoir faire un effort.

Je choisis finalement une robe Oscar de la Renta à motif floral en soie ivoire, incrusté en relief sur une soie noire, très ajustée à la taille, et dotée d'un décolleté qui réussit à mettre en valeur ma petite poitrine. Je sacrifie aux sacro-saints escarpins Louboutin de 10 cm, en cuir noir, avec des découpes faites au laser, agrémentées de strass. Je me fais l'effet d'une cendrillon des temps modernes et suis, malgré moi, excitée comme une puce à l'idée d'être une autre que moi, ne fut-ce qu'un bref moment.

Malgré ma tirade sanglante concernant son absence de cœur et d'âme, son incapacité à se soucier de qui que ce soit, Greg a pourtant pensé au moindre détail pour que cette soirée soit inoubliable pour moi. J'ignore si je dois m'en inquiéter ou m'en réjouir. Il sait faire plaisir. Il en a l'habitude, sans doute. Une des nombreuses étapes qui conduisent les femmes dans son lit. Mais pas cette fois.

Je descends dans le hall et me présente au concierge et me laisse guider vers la limousine

Arrivée sur le campus, le chauffeur me dépose et je me joins à un petit groupe mené par M. Priou lui-même. Je me présente comme l'assistante de l'illustre Greg Delcourt et me retrouve tout à coup accrochée au bras du doyen de la faculté Pierre et Marie Curie qui me conduit sur les lieux du séminaire.

Installée dans le fond de l'amphithéâtre, je m'empresse de prendre des notes, tant je suis perdue au milieu des termes scientifiques auxquels je suis étrangère. J'écoute attentivement les différents intervenants et repère un jeune homme et une jeune fille qui me font forte impression. Je note leurs noms avec application afin de les convier au petit déjeuner de demain.

Il est 18h30 lorsque se termine le dernier symposium. Le grand amphithéâtre sera le siège de la conférence menée par Greg. Je le cherche du regard dans la foule et finis par le découvrir, adossé à une colonne, tout au fond du hall. Il me regarde, m'adresse un demi-sourire. Le doyen l'interpelle en s'approchant de lui, brisant cet échange de regards hésitants.

La conférence est un vrai triomphe, la foule est debout et applaudit longuement Greg, souriant. Je dois bien avouer que j'ai été séduite par la facilité avec laquelle il a su prendre possession de son auditoire. Bien qu'extrêmement techniques, ses explications étaient également claires, précises, limpides.

Quelques étudiants ont brillé dans des échanges verbaux avec Greg, sur des points de détail qui m'ont malgré tout échappé. J'ai noté deux noms qui ont rejoins la courte liste des invités du petit déjeuner.

Après moult serrages de mains, accolades, Greg me fait signe de la tête. Il est temps pour nous de rentrer à l'hôtel pour revêtir nos habits de lumière.

Le trajet en limousine se fait dans un quasi-silence. Greg est occupé à lire ses mails sur son téléphone tandis que je regarde Paris défiler par la fenêtre.

Dès notre arrivée Greg s'éclipse dans sa chambre. Je suis déçue. J'avais espéré que nous pourrions briser le malaise qui s'est installé entre nous, avant de partir pour la soirée.

Maquilleuse et coiffeuse se présentent à la porte de notre suite et me prennent en main sans que j'ai le temps de dire ouf. D'ailleurs je n'ai pas mon mot à dire. Greg est sorti de sa chambre et donne ses directives à ces dames. Coiffure, maquillage, Greg supervise. J'ai tout à coup l'impression d'être invisible et le gratifie d'un long soupir excédé.

— Faites-moi confiance Annabelle. J'ai une parfaite idée de ce qui mettra votre beauté naturelle en valeur. Rien d'extravagant, c'est promis.

Une heure plus tard, j'enfile ma robe de princesse et me contemple enfin dans le miroir. Greg avait raison. Elles ont su me mettre en valeur sans faire de moi une poule de luxe. La coiffure en un chignon négligé laissant échapper, de ci de là, quelques mèches, apparemment folles mais en fait savamment positionnées, met en valeur mon cou et le décolleté de ma robe.

Mes yeux semblent plus grands, plus brillants, presque ensorcelants. Mes lèvres sont teintées d'un vieux rose qui met en valeur la pâleur naturelle de ma peau, une pointe de gloss accrochant la lumière en leur centre.

— Vous êtes vraiment magnifique.

Greg s'avance vers mois, un écrin signé Cartier entre les mains.

— Je me suis permis de vous choisir quelques bijoux qui iront parfaitement avec votre robe

Une paire de boucles d'oreilles en strass — ce sont des diamants corrige Greg en souriant, en forme de goutte d'eau, un bracelet délicat constitué d'entrelacs de cuir noir ouvragés, incrustés de ce que je devine être des diamants et enfin un collier somptueux en platine, diamant, perles fines, onyx et émail noir, constituent ma parure pour cette soirée de gala.

— Vous êtes parfaite, exactement comme je l'imaginais.

Il me couve du regard et j'aurais pu être rassurée si je n'avais pas vu briller, dans son œil si bleu, quelque chose de glacial, de terrifiant. De la haine ?

Je me nomme Annabelle, Cendrillon des temps moderne, je m'apprête à assister à mon premier gala, au bras d'un prince peut être pas si charmant.

Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant