Vendredi 8 mai 2015
Ce matin, j'ai bien failli tout foutre en l'air. Ce bonheur fragile aurait pu voler en éclats, par ma faute. J'oublie parfois ce qu'elle a vécu, mais elle n'oublie jamais. C'est ancré dans son esprit et dans son corps et se rappelle à son souvenir à la moindre occasion.
Elle est fragile, immensément fragile, et je déboule dans sa vie comme un chien dans un jeu de quilles, sans la moindre subtilité. Je dois apprendre, et pour apprendre je dois comprendre.
J'ai préféré ignorer les détails sordides, mais lorsque je l'entends dire qu'elle n'a plus rien à m'offrir parce qu'ils lui ont tout pris, j'ai envie de hurler. Elle n'imagine pas un seul instant tout ce qu'elle m'a donné, tout ce qu'elle a changé, les portes qu'elle a ouvertes en moi. Elle doute en permanence d'elle. Elle avance dans la vie comme une condamnée en sursis, arpentant le couloir de la mort en attendant la fin. Elle ne peut croire en un avenir tant que ces types se baladent en toute impunité.
J'ai beaucoup pensé à cela cette nuit. Nous ne pourrons pas avancer tant que les ténèbres l'entoureront. Elle a besoin de lumière, elle a besoin d'être rassurée. Et quel meilleur moyen de la rassurer que de faire en sorte d'éliminer le danger, d'éradiquer les ombres, de pulvériser la source du mal.
C'est dans cette optique que, cet après-midi, j'ai laissé Annabelle au bureau pour me rendre, seul, chez Franck Merlin.
Franck se trouve être un enquêteur de tout premier ordre et un hacker de talent. Rien ne lui résiste et j'ai besoin de ses compétences pour m'aider dans mon plan.
Il vit seul dans une jolie maison bourgeoise, en périphérie de Marseille. Je ne lui ai jamais connu de relation stable, mais il ne vit pas en moine pour autant. Je hausse les sourcils en me disant qu'il devrait cesser de papillonner et se trouver une femme, construire un foyer. Et puis je repense à ce que j'étais il y a moins d'un mois. J'étais dans la même situation que lui et je la trouvais parfaite. Aujourd'hui, mes priorités ont totalement changé, depuis que ma petite sorcière, mon rayon de soleil, a débarqué dans ma vie, à grand renfort d'effets spéciaux.
Je souris, tendrement. Elle me manque déjà. Je me demande ce qu'elle fait et m'inquiète soudain de voir Ava profiter de mon absence pour venir la tourmenter.
Je compose le numéro de la sécurité :
— Alex, c'est Greg. Je vais être absent du bureau quelques heures et j'ai besoin que l'un de tes gars veille sur Mademoiselle Maury. Et tout particulièrement qu'il s'assure qu'Ava Brown ne lui rendra pas visite. Tu penses pouvoir m'arranger ça ?
— Aucun problème. Marco va surveiller de près ton étage et surtout vos deux bureaux. Personne ne passera, tu peux être tranquille.
Je raccroche, rassuré, juste au moment où Franck ouvre la porte. Nous nous installons dans son bureau. C'est une conversation sérieuse, il le sait.
— J'ai repensé à notre dernière conversation, concernant l'agression d'Annabelle. A cette époque, je ne voulais pas en savoir davantage, mais les choses ont évolué. Je dois tout savoir, je dois comprendre.
— Pourquoi ? Qu'est-ce que ça va bien pouvoir changer ? Ce qui est fait est fait.
— Je veux les retrouver, Franck, tous les quatre.
— Oh, tu sais ?
Je lui expose la totalité de ce que je sais. J'attends de lui qu'il comble les blancs.
— On ne peut pas les localiser tant qu'elle n'a pas retrouvé la mémoire. Elle ne se souvient pas de ses agresseurs. C'est un handicap majeur.
— Elle n'a pas perdu la mémoire, Franck. Elle simule l'amnésie pour protéger sa famille des représailles qui lui ont été promises.
— Tu es sûr de ça ?
— Oui, c'est elle qui me l'a confié et, bien entendu, ceci doit rester totalement confidentiel.
Franck réfléchit longuement.
— Ça change considérablement la donne...
— En effet. Si j'arrive à la faire parler, à la mettre suffisamment en confiance pour qu'elle me confie ses souvenirs, alors nous pourrions peut-être établir des portraits-robots.
— Il faudrait pour cela que ses souvenirs soient particulièrement vivaces...
— Ils le sont, Franck. Ils reviennent quasiment chaque nuit dans ses cauchemars, ils ne l'ont jamais quittée.
— Tu pourrais faire en sorte qu'elle voit un psy, peut-être une thérapie par l'hypnose ?
— L'hypnose pourrait, en effet, être une option, mais je préférerais qu'elle se confie librement à moi.
— Ça risque de prendre du temps...
— Cela fait cinq ans, Franck. Je doute que nous soyons à quelques mois près. Dis-moi tout ce que tu sais.
Franck sort le dossier qu'il a monté et nous l'explorons.
Je découvre les blessures multiples dont elle souffrait lorsqu'elle a été découverte, sur le bas-côté de cette petite route, les fractures, les plaies, les traumatismes internes, les brûlures. Je suis anéanti.
Je réalise soudain que je n'ai jamais vu Annabelle autrement que le corps soigneusement recouvert. Bien que nous ayons dormi ensemble à plusieurs reprises, j'ai pu constater qu'elle était toujours affublée d'un maxi tee-shirt. Je repense à son refus catégorique de se baigner, l'autre soir.
— Tu penses qu'elle garde des traces de tout ça ?
— Je ne vois pas comment ce serait possible autrement.
Il sort quelques photos, sans doute prises aux Urgences et mon cœur se retourne. Je ne suis pas une petite nature d'ordinaire, mais voir ces horreurs en sachant que c'est son corps à elle me bouleverse totalement.
Je songe un instant que la problématique s'épaissit de plus en plus. Une potentielle vie intime entre nous s'éloigne encore davantage. Non seulement elle craint le sexe plus que tout autre chose, mais en plus elle doit détester son corps, ce qui ne va pas aider. Je dois la rassurer sur ce point.
Franck m'explique les circonstances de l'enlèvement, il me confirme que son calvaire a bien duré quatre jours, comme j'ai cru le comprendre ce matin. J'ai plus que jamais la nausée et une haine sans nom point en moi.
Quatre types, quatre jours durant, s'acharnant sur cette môme. Une gosse, une adolescente comme les autres, jolie, insouciante, brillante dans ses études, promise à un bel avenir. Tout cela réduit à néant par une meute de loups, elle avait raison, c'est bien de cela qu'il s'agit. Des loups.
— Ils opèrent en meute, ils chassent ensemble et se partagent leur proie jusqu'à épuisement. Ce n'est pas anodin. J'y ai bien réfléchi, Greg. Ils n'en étaient certainement pas à leur coup d'essai. Ils étaient organisés, préparés, ils n'ont pas commis la moindre erreur. On n'a pas retrouvé la plus infime empreinte et on n'a même jamais localisé le lieu de sa séquestration. Leur capacité à disparaître et à couvrir leurs traces ne fait aucun doute : il y a eu d'autres victimes...
— Si tu as raison, et je pense que c'est le cas, alors nous devons retrouver la trace de ces victimes et remonter jusqu'à ces malades, coûte que coûte.
Je m'appelle Greg Delcourt. Pour sauver la femme que j'aime, pour faire en sorte qu'un futur soit imaginable, je suis prêt à tout tenter. Je suis même prêt à tuer.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...