Leçon de choses

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ardi 21 avril 2015

Je crois que nous pouvons dire que je viens de me prendre la première veste de ma vie, enfin si l'on excepte les costards que m'a taillés Eva, mais ça c'est hors concours.

Annabelle vient de me dire qu'il ne se passera jamais rien de sexuel entre elle et moi. Ça a le mérite d'être clair.

Ce qui est le plus troublant dans tout ça, ce n'est pas que, pour la première fois de ma vie, une femme n'ait pas envie de moi. Non, ce qui me trouble c'est ce qu'elle a dit à la fin de sa phrase : Ni avec vous, ni avec un autre, ni maintenant, ni jamais.

Que je ne lui plaise pas, je veux bien l'envisager, même si ça me parait peu probable. Regardez-moi... C'est peu probable, nous sommes bien d'accord. Mais qu'elle ne le veuille avec aucun autre homme et jamais, c'est une toute autre dimension. Alors je pose la question suivante :

— Êtes-vous lesbienne, Annabelle ?

Elle tombe des nues et ouvre la bouche d'un air offusqué, ses yeux me lançant des éclairs.

— Il n'y a pas de mal à ça, vous savez lui dis-je avec mon plus beau sourire.

— Non, bien sur que non, ça n'a rien de mal, enfin je crois... je n'en sais rien à dire vrai, je n'y ai jamais vraiment réfléchi.

Elle est rouge coquelicot. Je me marre intérieurement. Le spectacle est jouissif.

— Mais vous ne l'êtes pas ?

— Non, pas que je sache

Chacune de mes questions semble la mettre sur le gril et chacune de ses réponses la fait rôtir un peu plus.

— Parfait, alors quel est le problème ? Qu'est-ce qui vous a tant déplu dans vos expériences passées pour décider de faire vœux de célibat ? Vous vous destinez à rentrer dans les ordres, peut-être ?

— Mais en fin NON ! Où allez-vous chercher tout ça, à la fin ? Et en quoi mes décisions vous regardent-elles ?

— Je cherche à comprendre, Annabelle.

— Vous n'avez pas à comprendre mes choix, personne ne vous le demande !

— Pourquoi refuser le plaisir ? Vous êtes tellement belle, immensément désirable. Vous êtes faites pour l'amour, ça crève les yeux.

Bien que la chose me semble quasi impossible, je lance tout de même la question qui me brûle les lèvres :

— Etes-vous vierge, Annabelle ?

Elle blêmit, se mord les lèvres jusqu'à ce qu'elles deviennent blanches, elles aussi. Ses yeux sont éteints, baissés, elle regarde le sol, sa bouche forme une moue dégoûtée et triste à la fois.

— Non, je ne le suis pas...

— Alors pourquoi refuser en bloc tout ce que le sexe pourrait vous apporter ?

Je lui parle tout doucement. Je suis sincèrement fasciné par cette énigme qui m'échappe totalement. Pourquoi, lorsque l'on a 22 ans, que l'on est belle à tomber par terre, décider de renoncer aux joies du sexe ? Ça me dépasse complètement. Elle me regarde et comprends ma stupeur et mon incompréhension. Elle ajoute :

— Je n'ai jamais... j'ignore tout du plaisir... je ne fonctionne pas comme toutes ces femmes qui partagent votre lit... je ne peux pas ressentir de... ça ne marche pas... le plaisir, ce n'est pas pour moi !

Elle revendique cette dernière phrase avec force. Ce pourrait-il qu'elle n'ait jamais connu le plaisir ?

— Ne me dites pas que vous pensez être frigide ?

J'éclate de rire, cette idée est tellement grotesque. Elle me regarde et une fois de plus je pense qu'une larme va rouler sur sa joue, mais non. Et pourtant je peux sentir ses larmes s'amonceler derrière ses paupières. Elle est désemparée. Ce n'est visiblement pas un sujet de plaisanterie.

Je m'approche d'elle lentement et ma main vient frôler ses doigts. Elle ne bouge pas, alors je les prends délicatement dans ma main.

— Certaines femmes pensent qu'elles ne peuvent définitivement pas atteindre le plaisir, mais c'est une erreur. Je ne dis pas que ce trouble n'existe pas mais dans la majorité des cas ce sont les hommes qui sortent cette excuse quand ils se montrent incapables de satisfaire leur partenaire. Ça les rassure, ça leur évite de se poser les bonnes questions. Je doute que vous souffriez de ce problème, Annabelle, vous n'êtes tout simplement pas tombée sur celui qui saura vous révéler à vous-même.

Bon sang ! Je voudrais vraiment être celui-là !

Elle retire précipitamment ses doigts et des éclairs jaillissent des éclats bleus de ses iris.

— Et vous pensez être cet homme là, bien entendu. Vous pensez être une sorte de dieu du sexe, c'est bien ce que vous me dites ?

— Je suis doué, je suis extrêmement doué, Annabelle.

Je plonge un regard lourd de promesses et de désir dans le sien.

Je sais que je peux te faire jouir à ne plus savoir comment tu t'appelles, Annabelle.

Elle éclate de rire.

— Vous ne doutez de rien. J'ai rarement vu un homme aussi imbu de sa personne.

— Vous voudriez quoi ? Que je vous dise que je ne suis pas mauvais, que je me débrouille, alors que je sais parfaitement que, si vous me laissiez vous faire l'amour, je vous ferai découvrir une palette infinie de sensations, de plaisirs, dont vous ignorez tout ? Je ne suis pas un hypocrite, Annabelle, ni un menteur. Je sais ce que je vaux, dans ce domaine comme dans d'autres. Je suis juste honnête.

— Je ne veux plus de cette discussion, elle est déplacée, intime et mes motivations, mon orientation sexuelle ou mes expériences ne vous regardent en rien.

Et puis elle ajoute :

— Si je devais, un jour, changer d'avis, je le ferais avec un homme doux, un homme qui m'aimera comme je suis, avec mes blessures, avec mes doutes, avec mes peurs et qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour les adoucir. J'imagine parfaitement que ce que je vous dis doit vous faire hurler de rire. Peut être n'ai-je pas la moindre idée de ce que peut être le plaisir mais, à l'opposé de vous, j'ai encore un cœur qui bat, et même si elle est bien amochée, j'ai encore une âme.

Vous n'avez plus ni l'un ni l'autre, Greg. D'une certaine manière, je vous plains. Vous n'avez rien compris à l'amour, à l'attachement que l'on peut éprouver pour un autre être humain. Vous ne vous attachez pas pour n'appartenir à personne. Vous n'aimez pas pour ne pas souffrir. Vous êtes entouré de centaines de femmes mais au fond vous êtes seul et pitoyable. Vous vous bercez d'illusion quand vous pensez que vous êtes heureux, Greg. Vous ne l'êtes pas et vous ne le serez jamais, tant que vous ignorerez vos émotions.

Elle se lève, jette sa serviette sur la table et se dirige vers sa chambre.

— Quand bien même vous seriez le seul homme sur terre, je ne m'abaisserais jamais à offrir ce qui reste de mon innocence flouée, à un homme qui consomme les femmes comme d'autres les cigarettes et qui les jette comme de vulgaires kleenex. Vous n'avez rien compris à la vie, Greg. Depuis que le monde est monde, c'est l'amour qui fait tourner la terre, pas le sexe !

Elle disparaît, dans un nuage de parfum et dans un froufrou de dentelle et revient au score :

Greg 1 — Annabelle 1

Je m'appelle Greg Delcourt, je suis un cador, je suis un lion, je suis un roc, je suis puissant et estimé, je suis riche à millions et pourtant je viens de laisser une gamine de 22 ans m'administrer la leçon de choses de ma vie.

Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant