Mercredi 27 octobre 2010
Je suis posée sur un nuage... ou dans du coton... un nuage cotonneux peut-être... Je suis... c'est tellement étrange cette sensation de vide dans ma tête, un immense vide que je ne cherche pas à combler. C'est doux, chaud, rassurant, un véritable cocon... Rien ne trouble la paix de l'endroit, quel qu'il soit... Est-ce que je dors encore ? Est-il tard ? Je dois aller chercher le petit-déjeuner ce matin, c'est mon tour... Je dois... Je dois me réveiller, mais c'est tellement difficile ! Me suis-je couchée tard ? Non, pas que je me souvienne. J'ai lu dans mon lit jusqu'à minuit et puis j'ai éteint la lumière et glissé dans le sommeil tout doucement. J'ai rêvé de... de quoi ai-je rêvé ? Ai-je rêvé, cette nuit ? Je ne me souviens pas ou du moins, je sais que j'ai rêvé, mais je ne me souviens plus de quoi... c'était un cauchemar, je crois... Ce n'était pas un beau rêve, ce n'était pas paisible, c'était... mauvais ? Sombre ? Bruyant ? Douloureux...
Le silence paisible est tout à coup perturbé par un bip régulier qui me vrille les tympans. Je cherche mon réveil sur ma table de nuit... mais je n'ai pas de réveil. Mon portable n'a pas ce genre de sonnerie. Quand il me réveille, c'est toujours en douceur au son de « Unintended » du groupe britannique Muse. Ce n'est donc pas mon portable. Une alarme incendie ? La maison est-elle en feu ? Suis-je en danger ? Pourquoi ai-je tout à coup l'impression qu'il va m'arriver quelque chose de mal ? Et ce bip... bip... bip... tellement dérangeant, tellement régulier, comme un métronome, comme un cœur qui bat... mon cœur qui bat ?
Doucement, le coton se délite sous moi. J'ai moins chaud, la douceur qui m'entourait me quitte lentement. Je ne suis plus sur un nuage, je suis allongée sur quelque chose de moelleux. Ma tête se remplit lentement d'images, de sons, de sensations, de souvenirs. Suis-je enfin en train de me réveiller ? Quelle heure peut-il bien être ? Je dois me dépêcher, je dois m'occuper du pneu avant de mon vélo qui est légèrement dégonflé. Je dois aller chercher les croissants que Papa et Maman aiment tant. Je prendrai du pain aussi et une fougasse et peut-être aussi cette drôle de petite brioche en forme de souris qu'affectionne tant Sasha, fourrée au chocolat avec ses moustaches de réglisse.
Le bip s'intensifie encore. Il pénètre mon crâne à un rythme régulier, comme un lent, très lent marteau-piqueur. Il faut que j'arrête ce truc, c'est vraiment pénible. Je dois ouvrir les yeux et me rendre compte par moi-même, mais mes paupières sont tellement lourdes... tellement lourdes.
— Annabelle, ma chérie ! C'est Maman. Ouvre les yeux, mon ange.
J'entends Maman m'appeler. Pourquoi est-elle déjà levée ? On est en plein mois de juillet, nous sommes en vacances. Maman et Papa font toujours la grasse matinée en vacances. Je dois être terriblement en retard ! Je dois vraiment me réveiller... maintenant !
Péniblement, j'ouvre un œil puis le second. Je ne suis pas dans ma chambre, mais je suis bien dans un lit. Un lit blanc, dans une chambre blanche où résonne ce fichu bip. Elle est penchée sur moi, elle me sourit. Elle semble tellement heureuse de me voir. Mais, Maman nous nous sommes embrassées hier soir, quand je suis montée me coucher... dans ma chambre... mais ici ce n'est pas ma chambre.
Je regarde autour de moi, fixe sans comprendre les tubulures fichées dans mes bras, tâte du bout de l'index le petit tuyau dans mes narines, observe les courbes qui se dessinent sur les écrans qui m'entourent. Je tente de m'asseoir, mais je me sens tellement faible, aussi ramollie que si mes muscles avaient fondu au soleil. Je suis tellement épuisée.
— Maman, je ne me sens pas bien. Je ne crois pas que je vais pouvoir aller chercher le petit-déjeuner, ce matin. Tu crois que tu pourrais y aller à ma place ?
Maman sanglote tout à coup. Je la regarde sans comprendre.
— Annabelle, ma chérie. Tu es à l'hôpital. Tu as eu... un accident... Tu as été blessée. Ils vont te garder quelques jours en observation. Ne te fais pas de souci.
— J'ai eu un accident ? Avec mon vélo ? Je ne me souviens de rien, Maman...
— Oui, ma chérie, avec ton vélo, tu as dû percuter une voiture et...
Percuter une voiture avec mon vélo... À cette évocation, je sens un voile se déchirer, quelque part en moi, et les images déferlent dans ma tête.
La voiture en travers de la route dans le virage, mon vélo qui ne s'arrête pas et qui fonce droit dedans, la chute sur les gravillons de la petite route escarpée, la douleur cuisante dans mon dos et la paume de mes mains, les portières de la voiture qui s'ouvrent, toutes les portières, les quatre portières qui s'ouvrent dans un bel ensemble.
Du secours, ils vont me secourir et me ramener à la maison, c'est sûr... Leurs quatre silhouettes penchées sur moi sans que je puisse voir leurs visages, aveuglée que je suis par le soleil, et subitement, leurs rires, leurs quatre rires qui s'envolent et résonnent, assourdissants, dans ma tête. L'un d'entre eux m'empoigne et me jette sur son épaule. Je crie, je me débats, mais il plaque une de ses mains sur le haut de mes cuisses et me tient fermement en riant.
— Elle va nous donner du fil à retordre celle-ci, les gars !
Les trois autres éclatent de rire et me tripotent allègrement, l'un ébouriffant mes cheveux, l'autre claquant mon postérieur rebondi tandis que le dernier enfonce son doigt dans ma bouche. Instinctivement, je le mords. Il me gifle et écrase un gros morceau du scotch marron sur ma bouche. Arrivés devant leur voiture, une berline grise d'un modèle récent, le coffre s'ouvre et je me retrouve précipitée à l'intérieur, comme un paquet de linge sale.
— On va bien s'amuser tous les cinq, ma chérie. J'ai hâte !
Le hayon du coffre se referme et je les entends rire, rire à gorge déployée.
Le noir se referme sur moi. Je suffoque soudain, je panique, ma bouche ne parvient pas à aspirer l'air dont j'ai besoin, mes narines se collapsent, ma vision se trouble et je perds connaissance.
Et puis je hurle sans fin, je hurle parce que tout me revient maintenant. Je me souviens de tout, de chaque seconde, de chaque heure, de chaque jour que j'ai passé dans cette maison quasiment en ruines, en compagnie de mes bourreaux. Je me souviens de ce qu'ils m'ont fait. Je me souviens des coups. Je me souviens du reste, de tout le reste...Je me souviens de la douleur, de tellement de sortes de douleur... Je me souviens de la honte. Je me souviens de la peur. Je me souviens avoir espéré qu'on me retrouverait. Et puis, finalement, je me souviens d'avoir souhaité qu'ils me tuent...
Je hurle... Je ne peux plus m'arrêter de hurler... Je veux retourner sur le nuage cotonneux... Je ne veux plus être Annabelle Maury... Je veux être morte !
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomantikAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...