« Orange mécanique »

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Dimanche 10 mai

Je me nomme Vincent, Vincent Delvaque. Je suis entrepreneur. Mes amis m'ont affublé du stupide surnom de crâne d'œuf, parce que j'ai la boule à zéro. Je rase soigneusement mon crâne depuis que j'ai 20 ans. Je suis roux et j'en ai souffert toute mon enfance. La petite moustache au-dessus de ma lèvre supérieure est la seule preuve visible de ma rousseur.

Hier, j'ai fêté mes quarante-cinq ans, avec mes amis de toujours. Pour l'occasion, nous nous sommes offert une grande virée de trois jours. Nous n'étions plus partis chasser depuis quatre mois et nos instincts bridés nous rendaient fous.

Mon frère, Victor, dit Vic, vend des vêtements en porte-à-porte. Au volant de son camion, il sillonne les routes de France. Principalement destinées à la ménagère de quarante à soixante ans, les collections sont classiques et sans originalité. Mais Vic s'en fout. Il vend à la ménagère, mais son intérêt se porte ailleurs : sur les filles des ménagères. Vic est notre rabatteur. Il débusque le gibier.

Il y a quatre semaines, il est revenu d'une tournée dans la Manche. Il avait pris toute une série de photos de filles qui pourraient nous satisfaire. Rapidement, l'une d'entre elles nous a séduits. Elle devait avoir seize ans tout au plus, peut-être même quinze. Plutôt petite, environ 1m63, fine, brune, les cheveux longs et ondulés, timide, légèrement effacée même sous le feu de l'objectif.

La technique de Victor est bien rôdée. Après avoir découvert une cible potentielle à la sortie du lycée, il s'infiltre au domicile, sous le couvert de son activité de vente, afin d'en savoir davantage. Quelques jours plus tard, il aborde la donzelle sur le chemin de l'école. Il sort une carte bidon qui le désigne comme découvreur de talents, dans le domaine de la mode. Il flatte la proie en louant son physique. La plupart du temps, l'adolescente accroche rapidement. Elle minaude, se trouve des tas de défauts que Vic démonte les uns après les autres. Il explique qu'il bosse à temps partiel pour une agence, et que son métier de vente en porte-à-porte lui permet de repérer les top models de demain.

Il assure l'adolescente qu'elle est exactement ce que recherche un client américain pour sa campagne de pub. Il commercialisera bientôt une ligne de prêt-à-porter pour jeunes adultes et recherche son égérie.

Top models, Amérique, égérie, les mots-clés sont lancés, le poisson appâté, et Vic n'a plus qu'à ferrer.

Il propose de faire des photos, en plein air, dans le lieu qui arrange la demoiselle. Il sort un énorme appareil de professionnel, installe tout le matériel et improvise un shooting sauvage. Lorsqu'il repart, au volant de son camion, il a réussi à faire promettre à la naïve de n'en souffler mot à personne, afin de préserver ses chances d'être sélectionnée pour le grand casting qui aura lieu à Paris, quelques semaines plus tard. Elle sera autorisée à en parler seulement à réception de la convocation, pas avant. Faute de quoi, elle sera éliminée de la course. Aucune n'a jamais trahi le secret.

La couverture de Vic est montée de toutes pièces, bien entendu. Il ne travaille pas pour l'enseigne en question, les plaques sont fausses et sans cesse renouvelées. Le camion a été récupéré dans une casse, payé de la main à la main, en liquide, sous une fausse identité. Vic ne travaille pas, en réalité. Vic rabat des proies et nous les soumet. C'est sa fonction. Et nous trois, nous veillons à ce qu'il vive correctement. Il est bon dans son job, nous le rémunérons en conséquence.

La demoiselle se nomme Lisa, elle a effectivement quinze ans, parfaite élève de seconde générale, appliquée, brillante, peu sûre d'elle dans ses rapports avec les autres, baissant constamment les yeux lorsqu'il lui parle, rougissante. Vic appelle cela la « Virgin Attitude ». C'est exactement ce que nous ciblons : de jeunes vierges, brunes aux longs cheveux, brillantes et effacées. En quelques minutes, Lisa nous avait tous mis d'accord. Elle serait l'objet de notre prochaine chasse.

Restait à régler les détails : trouver un lieu de villégiature discret et isolé, pour trois jours, connaître ses habitudes sur le bout des ongles, débusquer la faille dans son emploi du temps qui nous permettrait de l'enlever sans risque. Et puis gérer l'après. Trouver le moyen parfait de se débarrasser d'elle, définitivement.

Sur ce point, nous sommes des experts. Nous ne laissons jamais la moindre trace de notre passage, et nous nous assurons que le gibier ne puisse jamais raconter son aventure.

À une seule et unique occasion, nous avons laissé l'une d'entre elles en vie. La femme de Vadim avait eu la mauvaise idée de perdre les eaux, trois semaines avant son terme, et nous avions dû abréger notre séjour provençal en catastrophe.

Il avait fallu improviser et, plutôt que de tuer proprement notre proie du week-end, comme toutes les autres avant elle, nous avions décidé de l'abandonner sur une petite route isolée, non sans l'avoir rouée de coups et l'avoir menacée de terribles représailles pour elle et sa famille. Nous avions espéré qu'elle succomberait à ses blessures, dans le fossé où nous l'avions laissée.

Mais la gamine était solide et avait survécu. Amnésique depuis lors, nous jetons régulièrement un œil sur elle. Elle est notre seule et unique erreur et nous la portons comme un fardeau. Chaque année, nous décidons d'aller finir le travail. Chaque année, nous y renonçons, tiraillés entre nos emplois, la famille, la chasse et la crainte de revenir sur les lieux du crime et de nous faire pincer.

Elle n'a jamais rien dit, en cinq ans. Il est peu probable qu'elle parle maintenant. L'enquête est au point mort depuis un bon moment. Ils n'ont rien sur nous, inutile d'éveiller des soupçons. Il est fort probable que si l'affaire était relancée, Bruno serait mis au courant.

Lieutenant de police à l'Office Central pour la Répression des Violences aux Personnes, il jette régulièrement un œil sur les différentes affaires qui nous concernent et s'assure qu'elles n'aboutissent jamais. Notre équipe est parfaite, le modus operandi, comme dit Bruno, est immuable et parfaitement rodé.

Et, à cette seconde, comme à la fin de chaque chasse, je me sens le roi du monde, mes deux mains serrées autour de son cou, mettant un terme à sa misérable et insignifiante existence.

Son corps chaud affalé sur le mien, tandis que Vic la possède encore, ses bras privés de force qui tentent une dernière rébellion, son regard qui se voile inexorablement, alors que l'oxygène n'alimente plus son cerveau, tous ces moments uniques qui ponctuent sa lente agonie, sont ma raison d'être, la finalité de ces quatre jours de plaisir extrême, avec mes amis de toujours.

Je m'appelle Vincent Delvaque, je suis un jouisseur et un tueur. Pendant ces quelques jours, j'ai assouvi mes désirs les plus sombres et, tandis que la proie rend l'âme, je me fais la promesse de cueillir bientôt le dernier souffle d'Annabelle Maury.

A suivre...

Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant