Mardi 21 avril 2015
Tandis que nous volons vers Paris, j'observe Greg, assis sur le siège à côté du mien. Il s'est assoupi peu de temps après le décollage.
À notre arrivée à l'aéroport Marseille Provence, en sortant de la limousine avec chauffeur qui nous y avait conduits, nous avons été accueillis comme des chefs d'état. Tandis qu'un portier s'occupait de nos bagages, nous avons été guidés vers un salon d'enregistrement privé, où toutes les formalités ont été accomplies pour nous. Pendant ce temps, confortablement installés, nous avons dégusté un délicieux champagne et grignoté quelques douceurs fabuleuses. Si nous le souhaitions, nous avions accès à un massage ou à tout autre soin dispensé par l'espace beauté réservé aux passagers de première.
Tout cela est tellement loin de mon monde. Greg, quant à lui, s'y trouve comme un poisson dans l'eau, acceptant une rapide manucure, tout en consultant ses mails. Quant à moi, je jette un coup d'œil sur l'écran géant qui égrène les nouvelles, tout en feuilletant une revue économique.
Au moment d'embarquer, notre position privilégiée nous permet de passer le contrôle de sécurité en toute simplicité et sans la moindre attente. Une fois cette formalité accomplie, nous rejoignons notre avion, dans une luxueuse voiture.
À bord, l'équipage se présente, et nous sommes installés dans la cabine de première. Les sièges spacieux et design, de forme arrondie, donnant sur la travée centrale, sont incroyablement confortables. L'hippocampe ailé, symbole d'Air France, griffe chaque appuie-tête revêtu de cuir. Doté de matelas futon, les sièges peuvent se transformer en véritable lit moelleux, même si nous n'en aurons pas l'utilité pour ce vol qui ne durera qu'une heure trente.
Tandis que Greg dort profondément, j'enclenche la fonction massage de mon siège et me détends, tout en le regardant. Il est presque attendrissant dans son sommeil. Une mèche de cheveux tombe sur ses yeux, il a un sourire paisible sur le visage. Il paraît serein, bien plus qu'il ne l'est lorsqu'il est éveillé. Il semble toujours la proie de millions de pensées qui fusent en tout sens, au point qu'en le fixant dans les yeux, on peut y voir passer, furtivement, un nombre incroyable de sentiments, d'interrogations, d'inquiétudes parfois, mais surtout on peut y lire du défi, de l'assurance, la certitude qu'il est le meilleur en toute chose, une incroyable confiance en lui qui me fait tellement défaut.
J'aimerais avoir ne fût-ce qu'un dixième de cette confiance, de cette assurance. Les choses seraient sans doute tellement plus faciles.
Je viens de balayer la mèche voyageuse qui voilait ses paupières, sans même m'en rendre compte. Elle retombe le long de sa tempe, en un mouvement gracieux, dans une ondulation délicate.
Ses lèvres sont figées dans une moue boudeuse, presque enfantine. En fait, c'est exactement ce qui me frappe au moment où je l'observe : il semble beaucoup plus jeune, dans son sommeil. Il cesse d'être Greg Delcourt, le petit génie de la bio ingénierie, l'homme à la tête d'un empire technologique, pour redevenir l'adolescent que je l'imagine avoir été.
Si je n'avais pas une telle aversion pour le sexe masculin, je pourrais presque le trouver attachant, charmant, voire sexy.
J'ignore ce que veut dire ce petit mot de quatre lettres, mais j'imagine qu'il désigne un homme suffisamment attirant, attachant, félin, provoquant aussi, pour inspirer à une femme l'envie irrésistible de l'admirer, de le toucher et pourquoi pas, de balayer une mèche rebelle naviguant sur son visage...
Ce petit geste que j'ai pourtant espéré léger et discret a réveillé mon compagnon de voyage qui ouvre les yeux paresseusement, une lueur d'étonnement dans son œil bleu et de malice dans son œil noisette.
— J'adorerais être réveillé plus souvent de cette manière. Le bout de votre doigt était chaud et doux, une caresse qui m'a, l'espace d'un instant, laissé croire que je voyageais avec un ange.
Il sourit, charmeur et désarmant.
— Je ne voulais pas interrompre votre sommeil, Greg. Je pensais que, peut-être vous pourriez être gêné par cette mèche folle. Je suis sincèrement désolée.
— Ne le soyez pas, c'était très agréable. Vraiment très agréable.
Son regard s'est emparé du mien. Je voudrais m'en éloigner, mais je n'y arrive pas. Je suis irrésistiblement attirée. C'est ridicule. Je baisse précipitamment les yeux.
— Pourquoi fuyez-vous, Annabelle ?
— Je... je me sens un peu gênée, à vrai dire. Je n'ai pas l'habitude d'interagir avec les gens de manière aussi personnelle.
— Je ne suis pas « les gens », je suis Greg, votre patron, mais aussi votre ami, si vous le souhaitez. Vous pouvez avoir confiance en moi, vous le savez ?
Je me sens comme Mowgli hypnotisé par Kaa, le serpent, et je replonge dans son regard.
— Oui, je crois... enfin...
Je secoue la tête et reprends le contrôle. Mais comment fait-il ça ?
— Je n'en ai pas la moindre idée, Greg. Nous nous connaissons depuis une semaine à peine, et je n'ai pas pour habitude d'accorder ma confiance facilement. L'avenir nous le dira.
Je romps définitivement le charme en m'enfonçant dans mon fauteuil de première classe, les yeux résolument tournés vers le hublot et sa ribambelle de nuages duveteux, cotonneux et m'assoupis à mon tour.
Lorsque j'entends l'hôtesse annoncer notre atterrissage prochain, j'émerge, déstabilisée, sans repère, oubliant un court instant que je me trouve dans un avion à destination de Paris, pour un séminaire, en compagnie de mon tout nouveau patron.
— Je suis désolée, je me suis endormie, dis-je, un peu gênée de l'avoir abandonné pendant tout le vol
— Ne soyez pas désolée. C'était un bien charmant spectacle dont je me suis régalé. Et puis, vous dites des choses très intéressantes, lorsque vous dormez.
Je fais un bond de trois mètres dans mon siège hors de prix, horrifiée à l'idée d'avoir dévoilé des secrets de mon passé.
— J'ai parlé ? Qu'est-ce que j'ai bien pu raconter ? Vous vous moquez de moi, n'est-ce pas ? Je n'ai pas vraiment parlé ? demandé-je presque en suppliant.
— Vous avez dit que vous me trouviez sexy et vous avez aussi parlé de serpent et de Mowgli. Mais j'ai surtout noté que vous me trouvez sexy !
Une fois n'est pas coutume, ses deux yeux, d'un commun accord, pétillent de malice. Un sourire éclatant illumine son visage. Il est fier de son petit effet et, sans doute, au bord de la crise de fou rire devant ma mine qui doit faire désormais dix pieds de long.
— Je ne me souviens de rien de tel. Vous avez dû mal comprendre, dis-je en réunissant mes affaires et en ajustant ma ceinture, tandis que l'avion est à quelques minutes d'amorcer sa descente sur Paris Charles de Gaulle.
— Mais moi, je me souviens de tout et croyez-moi, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd !
Il se penche lentement vers moi jusqu'à ce que je sente son souffle dans mon cou, et m'assène le coup fatal :
— Moi aussi, je vous trouve incroyablement sexy, Annabelle.
Je me nomme Annabelle et je ne suis pas sexy. Je ne veux pas être sexy. Je ne veux pas inspirer le désir. Pour rien au monde.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...