Crise d'angoisse

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Mardi 21 avril 2015

— Moi aussi, je vous trouve incroyablement sexy, Annabelle.

J'ai lâché cette petite phrase, parce que je le pense et aussi parce les femmes raffolent généralement de ce petit mot. Mais j'ai omis un détail : Annabelle n'est pas une femme comme les autres, elle ne l'a jamais été.

Quand elle a blêmi, quand je l'ai vue frissonner de dégoût, quand son corps s'est tendu comme un arc, j'ai compris que j'avais merdé quelque part.

Elle a détaché sa ceinture et s'est levée subitement, se précipitant vers la travée centrale.

L'hôtesse attachée à notre bien-être pendant le vol l'intercepte.

— Madame, veuillez vous rasseoir, nous allons bientôt atterrir !

Elle la repousse gentiment jusqu'à notre suite première pour l'obliger à regagner son siège. Mais Annabelle ne l'entend pas de cette oreille et se débat comme une tigresse. Ça va tourner au pugilat si je n'interviens pas. Annabelle siffle de colère, son regard n'a jamais été aussi sombre. Elle est dans un état de nerfs tel que, même moi, je ne sais comment la calmer. Et pourtant, croyez-moi, j'en ai énervé plus d'une. Je fais cet effet aux femmes. Tout ça pour dire que des femmes qui me font des crises au moment où je leur dis adieu, j'en ai vu une flopée. Des agressives, des désespérées, des suppliantes, des hystériques aussi. Mais rien d'aussi flippant que ce que j'ai sous les yeux.

Annabelle n'est pas seulement en colère. Elle est en panique totale. Elle est terrorisée.

— Monsieur, votre compagne est-elle sujette aux crises d'angoisse lorsqu'elle prend l'avion ?

— Je ne sais pas... Non, je ne crois pas.

— Asseyez-vous, Mademoiselle Maury. Tout va bien se passer. Respirez calmement.

Elle tend la main vers Annabelle qui, prise d'une terreur indicible, la pousse violemment vers les sièges de l'autre côté de la travée. L'hôtesse s'écroule lourdement au sol, un moment interdite devant cette agression, puis se relève péniblement.

— Écoutez, Monsieur, je suis une femme très calme. J'adore mon métier, mais il n'est pas question que j'accepte la moindre brutalité de qui que ce soit !

— Je suis désolé, Mademoiselle. Je vous remercie de vos bons soins, mais je vais prendre la suite, maintenant.

— Nous devons trouver le moyen de calmer votre compagne, Monsieur. Nous n'allons pas pouvoir atterrir dans ces conditions, vous le comprenez.

— J'ai parfaitement compris, Mademoiselle.

Je reste calme, mais mon ton est sec et sans appel. Jeanne (son prénom est noté sur son badge) marque un temps d'arrêt, puis s'éloigne, non sans m'avoir lancé un regard lourd de sens. Je n'en ai que faire. Je me retrouve seule face à Annabelle, debout au milieu de la travée, les cheveux en bataille, tremblante de la tête aux pieds.

— Annabelle... Je suis désolé si je vous ai blessée... Je n'en avais pas l'intention.

Je m'approche d'elle très lentement et tends la main pour établir un contact. Elle recule brutalement.

— D'accord, Annabelle, je ne vais pas vous toucher, O.K. ? Regardez-moi, Annabelle !

Ses yeux effarés vont de gauche à droite à une vitesse folle. Si sa tête venait à faire un tour complet à 360 degrés, je n'en serais pas plus étonné que cela. Elle tourne son regard vers moi.

— C'est mieux. Personne ici ne vous fera de mal. Nous ne voulons tous qu'une seule chose : que vous vous asseyiez, que vous boucliez votre ceinture et que cet avion se pose sans encombre. Vous voulez bien faire ça ?

Elle me fixe, la bouche ouverte en un O parfait, comme si elle venait de réaliser la situation. Ses yeux partent de nouveau en tout sens. Elle vient de remarquer que nous sommes la cible des regards des autres passagers, ainsi que de ceux du personnel naviguant.

— Regardez-moi, Annabelle !

Son beau regard revient à moi. Elle pleure, enfin je crois, parce que je ne décèle pas de larmes. Pourtant, elle est secouée de sanglots, ses épaules se soulèvent de manière convulsive, sa respiration est très rapide et désordonnée. Elle est pâle, bon sang ce qu'elle est pâle...

Une homme assis à quelques sièges de nous se lève et approche. La quarantaine, un costume de grande marque parfaitement coupé ; il en impose par son grand calme et son sourire.

— Je suis médecin. Me permettez-vous d'aider cette demoiselle ?

— Oui, bien sûr... Si vous pouvez faire quelque chose, allez-y.

— Elle fait une attaque de panique. C'est très impressionnant, mais pas dangereux.

L'homme interpelle l'hôtesse et lui demande un sac en papier. L'hôtesse disparaît un instant et revient avec ce qui semble être un doggy-bag en papier kraft.

— C'est parfait, je vous remercie. Comment s'appelle cette jeune femme ? Me demande t-il.

— Annabelle, elle s'appelle Annabelle.

— Annabelle, regardez-moi. Je sais que vous êtes terrorisée, que vous vous sentez perdue, mais nous allons résoudre cela ensemble, d'accord ?

Elle acquiesce de la tête. L'homme lui tend le sac en papier dont elle se saisit, puis la dirige doucement vers son siège.

— Vous allez respirer le plus lentement possible dans ce sac en papier. Cela va vous aider à vous détendre et vous soulager, d'accord ?

L'homme lui parle calmement. Elle l'écoute, elle s'exécute.

— Vous vous débrouillez bien, Annabelle, continuez, lentement, concentrez-vous sur votre respiration qui doit être la plus lente possible.

— Cette demoiselle est-elle sujette à ce type de crise, habituellement ?

— Je l'ignore. Elle est mon employée. Nous nous connaissons depuis peu. Nous nous rendons à une conférence.

— Que s'est-il passé juste avant que la crise ne commence ?

— Je ne sais pas, je ne vois vraiment pas. Nous discutions, je lui ai dit... que je la trouvais sexy et, tout à coup...

Le médecin me regarde, interdit.

— En effet, ce n'est pas banal.

Soudain, je songe à son évanouissement, dans le bureau d'Ava Brown.

— Elle a fait une crise similaire la semaine dernière, dans une situation professionnelle stressante.

— Bien, je vais lui administrer un léger calmant, elle semble déjà aller bien mieux.

L'homme retourne à son siège et revient avec une trousse médicale.

— Annabelle, je vais vous donner un anxiolytique, pour vous soulager. En avez-vous déjà pris avant aujourd'hui ?

Elle hoche de nouveau la tête. L'homme lui tend un comprimé et une petite bouteille d'eau. Elle s'exécute docilement.

Avec des gestes lents, pour ne pas l'effrayer davantage, je boucle sa ceinture. Elle ne me regarde pas. Elle semble dans un état second, mais enfin calme.

Je me sens fautif, mais j'ignore ce que j'ai bien pu faire, bien pu dire qui ait déclenché une telle crise. Je me rends compte que j'ignore tout de cette jeune femme. Trop occupé à trouver le moyen de la mettre dans mon lit, je n'ai pas cherché à comprendre son comportement étrange, sa réserve excessive, sa phobie du contact, sa peur de l'inconnu. Et, lorsqu'elle a voulu exprimer ses craintes quant à ce voyage, je ne l'ai pas écoutée. Je poursuivais un but, j'étais en chasse, je la voulais. Je ne voyais rien d'autre.

Je me nomme Greg et, tandis que l'avion amorce sa descente vers Paris, je suis en déroute comme je ne l'ai jamais été auparavant.


Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant