Conséquences

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Mardi 28 avril 2015

Ava sort à l'instant de mon bureau. Nous avons eu une très vive discussion, à la sauce Ava Brown. Elle crache, elle griffe, elle peste, elle invective, elle humilie et moi je l'écoute sans broncher. Et puis elle tourne le dos et claque la porte. Voilà à quoi ressemble une discussion avec Ava.

Celle-ci n'a pas dérogé à la règle. Elle m'a dit que je n'avais plus rien à voir avec l'homme qu'elle a connu jadis, que je me ramollis, que je ne suis plus le lion d'antan mais un pauvre lionceau perdu au milieu de la savane. Elle m'a dit qu'Annabelle avait eu une mauvaise influence et que son départ précipité était une bénédiction pour moi, que je ferais bien de me secouer sous peine de devenir le patron le plus minable qu'elle ait côtoyé, que je devrais m'envoyer ma secrétaire, que ça me libèrerait l'esprit, me ferait le plus grand bien. Elle a aussi dit qu'elle envisageait de quitter l'entreprise.

Quand elle a eut terminé, je lui ai répondu que la porte était grande ouverte, que si Delcourt Ingénierie n'était pas à la hauteur de ses ambitions, je ne la retenais pas.

Alors, elle est partie en claquant la porte.

Si seulement elle pouvait me prendre au mot.

Je n'ai toujours pas de nouvelle d'Annabelle. Elle semble avoir disparu de la surface de la terre. Je suis allée chez elle, hier en fin d'après midi. Les volets étaient clos. Pas âme qui vive à l'horizon. Je suis rentré chez moi, frustré.

Je n'arrive pas à me persuader que le fait qu'elle soit sortie de ma vie, est une bonne chose. J'ai pourtant tout fait pour ça. Chaque heure je change d'avis. À 10 heures je me disais que j'étais enfin libre de reprendre mes activités nocturnes. À 11 heures je me demandais si elle pleurait encore. À midi j'envisageais d'inviter ma secrétaire à déjeuner. Il est maintenant 13 heures 30, celle-ci est partie grignoter un sandwich à la cafétéria et moi je suis seul dans mon bureau à me demander comment je vais bien pouvoir tenir un jour de plus sans savoir comment va Annabelle.

Ava a raison, je suis pitoyable.

*******

Une semaine plus tôt...

Lorsque je suis enfin entré dans le hall du Georges V, je n'ai pas pu m'empêcher de me précipiter vers les ascenseurs. Lorsque les portes se sont ouvertes je me suis rué vers la suite Royale. En pénétrant dans ce décor envoutant, j'ai compris immédiatement qu'Annabelle n'y était pas. Je me suis dirigé vers sa chambre. Rien n'avait bougé.

J'ai exploré sa salle de bain, effleuré du doigt les flacons alignés sagement sur l'étagère. J'ai pris son parfum dans ma main, en ai ôté l'élégant bouchon, l'ai porté à mon nez et, l'espace d'un instant, elle était là.

J'ai horreur de l'odeur que je porte sur moi. Celle de Camille, de son parfum capiteux, de nos sueurs mêlées, celle de nos fluides intimes respectifs, l'odeur du sexe, qui me rend euphorique en temps normal.

Alors j'ai pris une douche, pour redevenir moi-même. Pour effacer Camille.

Le triomphe n'est pas aussi exaltant que je l'avais espéré. Je ne me sens pas victorieux et rassasié. Je me sens ... nul ?

Je me défais vivement de mes vêtements, pénètre dans l'immense douche, tourne les robinets et, les deux mains appuyées sur la paroi de marbre, la tête baissée, je laisse l'eau me purifier, me laver de Camille, me laver de son odeur, de sa moiteur, du goût sucré-salé qu'avait sa peau. Je laisse glisser hors de moi le mouvement de son corps contre le mien, ses soupirs, ses gémissements, ses cris. J'expulse Camille. Comme si elle n'avait jamais existé, comme si je pouvais tout effacer.

Ce qui ne s'efface pas, en revanche, c'est le regard d'Annabelle, la terreur, cette impression qu'elle voyait en moi une bête, un monstre.

Je tarde à me coucher. À de multiples reprises je tente de l'appeler, mais elle ne répond pas. Je ne trouve pas le sommeil dans ce grand lit, dans cette suite immense qui, soudain, me pèse.

Où peut-elle bien être-être ? Est-elle en danger ?

Si je n'ai pas de nouvelle demain matin, je chargerai Franck Merlin de la localiser.

Et puis non, je vais l'appeler maintenant. Il faut que je sache.

— Franck ? C'est Greg ! J'ai besoin d'un service, c'est urgent. Peux-tu me localiser le téléphone portable d'Annabelle Maury ?

— Maintenant ? Tu plaisantes ! Je suis au lit avec ma femme et vu son regard, je dirais que je m'apprête à passer une nuit de rêve !

— Elle est peut-être en danger, Franck...

— Tu y tiens à cette fille, j'ai l'impression.

Mais non !

— C'est pas ça, elle est sous ma responsabilité ici. Mon père m'en voudrait à mort s'il lui arrivait quelque chose, tu comprends ?

Mais bien sur !

L'attente est interminable, mes ongles pianotent sur la table du petit salon.

— Greg, toujours là ?

Où veut-il que je sois ?

— Elle se trouve dans une clinique, Greg.

Putain, je le savais. Elle a fait une connerie... ou elle a eu un accident. Elle était tellement dévastée.

Il me donne le nom et l'adresse.

— Merci Franck, je te revaudrai ça et... bonne nuit !

Stupeur ! Il lui est arrivé quelque chose, je le sentais. J'envisage toutes les éventualités, des plus rassurantes aux plus morbides. Serais-je capable de vivre avec le sentiment que je l'ai, peut-être, poussée dans un gouffre ?

Je me rhabille à la hâte, appelle le chauffeur de la limousine et le rejoins dans le parking.

Il est 23:30. Annabelle a disparu depuis plus d'une heure.

Je l'imagine dans cette clinique, étendue sur un lit, tellement pâle qu'elle fait concurrence à la blancheur des draps, ses incroyables yeux verts et bleus vides d'expression.

Je chasse cette image, tandis que la limousine se gare sur une place de stationnement, à proximité de l'entrée.

Jaillissant de la voiture, sans même laisser le temps au chauffeur de m'ouvrir la portière, je m'avance d'un pas décidé vers les portes en verre du service d'Urgences.

Je sonne, plusieurs fois, tout en me demandant comment je vais faire pour accéder à elle. Je ne suis pas un membre de sa famille, me laissera t-on la voir ? C'est peu probable. Comment vais-je m'en sortir ? Je dois la voir.

— Monsieur ?

— Bonsoir ! Ma jeune sœur a été amenée dans votre service il y a moins d'une heure, je suis extrêmement inquiet. Pourrais-je la voir ?

Je mens, mais je lui fais mon regard de chien battu. Elle me sourit.

— Comment s'appelle votre sœur ?

— Annabelle. Annabelle Maury.

— Tout à fait, elle est ici. Je vous accompagne ? Elle dort, il ne faudra pas la réveiller. Elle est très éprouvée.

— Sait-on ce qui lui est arrivé ? Dis-je, jouant mon rôle de grand-frère protecteur à la perfection.

— Non, elle n'a pas dit un mot. Elle est épuisée nerveusement.

L'infirmière me précède. Nous déambulons dans les couloirs jusqu'à un box qu'elle me montre du doigt.

— Elle est ici. Je vous le demande de nouveau : ne la réveillez pas. Néanmoins, si elle revenait à elle, ne lui posez aucune question, c'est bien compris ?

J'acquiesce et pénètre dans la petite salle d'examen.

Je m'appelle Greg Delcourt et, à la voir, je jurerai qu'Annabelle est morte.


Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant