Info ou Intox ?

229 27 1
                                    


Mardi 5 mai 2015

— Annabelle, va t'installer à ton bureau et reprendre tes marques. Je te rejoins, après avoir discuté un petit moment avec Mademoiselle Brown.

Elle ne se fait pas prier. Affronter Ava, à peine les pieds au bureau, me parait être une entrée en matière pour le moins délicate. Je n'oublie pas que leur premier entretien s'était terminé par un évanouissement plus qu'impressionnant, même s'il m'avait permis de serrer le petit corps chaud de miss Maury, pour la toute première fois. Mon corps s'en souvient parfaitement et démarre au quart de tour.

On se calme !

J'entraîne Ava dans mon bureau, referme la cloison qui sépare celui d'Annabelle du mien et respire à fond.

— À l'avenir, Ava, tu te passeras de tout commentaire concernant Mademoiselle Maury.

— Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Greg, tu peux me dire ? Depuis quand ramènes-tu tes putes d'une nuit au bureau ?

Mon sang ne fait qu'un tour. Elle ne peut pas être plus éloignée de la vérité.

— Encore une réflexion de ce genre et tu peux dire adieu à notre collaboration.

Elle me regarde, l'air effaré.

— Tu crois vraiment que tu pourrais m'écarter si facilement ?

— J'ai suffisamment de griefs et de ressentiment envers toi pour me faire une joie de te pourrir la vie, à chaque minute de chaque journée. Tu en prends un peu trop à ton aise. Nous ne sommes pas associés. Je suis le seul et unique maître à bord, ici. Et si je décide de te foutre au placard, au fond d'un obscur laboratoire, rien ne pourra m'en empêcher. Tu n'as pas envie de faire de moi ton ennemi, Ava, sois-en certaine.

Je suis dans une colère que je tente de canaliser, cachant derrière mon air froid et tranchant un désir fou de la gifler.

— Alors comme ça, tu la baises et tu en redemandes ? C'est une grande première, dis-moi ?

— Je ne la baise pas !

— Quoi ? Même pas ? Tu déclines à vue d'œil, mon pauvre Grégory.

L'utilisation qu'elle fait de mon prénom de baptême termine de me mettre hors de moi.

— Ne... m'appelle... plus... jamais... Grégory, putain !

Et tandis que je martèle chaque mot, je la pousse lentement contre le mur. Ceci fait, j'emprisonne son visage dans une de mes mains et approche le mien, pour qu'elle entende bien ce que j'ai à lui dire.

— Grégory est mort, laminé, lapidé par ta vénalité et tes infidélités à répétition. Grégory était un être faible qui t'a laissé le manipuler comme une marionnette, Grégory n'existe plus, Ava, et c'est toi qui l'as tué. Ne m'appelle plus jamais ainsi, sans quoi je peux t'assurer que je saurais me montrer aussi violent et traître que tu es perfide et cruelle. Ne t'approche pas d'elle, ne lui adresse même pas la parole, et tant que nous y sommes, ne remets plus les pieds dans mon bureau, à moins d'y avoir été invitée !

Je crache ma colère à moins de cinq centimètres d'elle, je suis sur le point de perdre mon sang-froid et la lâche, avant de me laisser emporter d'une manière que je pourrais avoir à regretter.

Elle passe une main dans ses cheveux, réajuste sa veste rouge pompier et me lance, le visage plein de dégoût :

— Ma parole.... Tu es amoureux ?

Je garde le silence, observant, comme de l'extérieur de mon propre corps, la stupeur qui se lit sur mon visage. Amoureux ? Moi ? C'est ... ridicule ! Elle dirait n'importe quoi pour m'humilier.

— Je ne suis pas plus amoureux que toi capable de sentiment. Toi et moi nous sommes dénués de cœur. La différence entre nous, c'est que toi, tu n'en as jamais eu.

Au fond du bureau, je devine, à travers la paroi légèrement opaque, la silhouette d'Annabelle. Elle se tient debout, près de la cloison coulissante. Elle nous écoute. Elle vient de m'entendre dire que je suis incapable de tout sentiment amoureux.

Cette putain de journée commence sous les meilleurs auspices...

Je m'effondre dans mon fauteuil, exténué par cet échange verbal plus que houleux.

Je ne me souviens pas avoir déjà été aussi violent avec Ava, par le passé. J'ai pourtant eu, bien des fois, envie de la frapper, de faire disparaître son petit sourire suffisant de ce visage plus froid que la glace. Si belle à l'extérieur et si mauvaise à l'intérieur...

Je jette de nouveau un œil vers Annabelle. Elle n'est plus debout à nous écouter, elle est de nouveau derrière son bureau. J'imagine son trouble. Peut-être bien qu'en fait j'espère son trouble. Si ce qu'elle a entendu ne lui a pas fait le moindre effet, c'est que je lui suis indifférent. Et ce n'est pas ce que je souhaite.

Je fais coulisser lentement la paroi et pénètre dans son espace de travail. Elle ne lève pas le visage vers moi, elle m'ignore totalement.

— Tout va bien, Annabelle, tu t'y retrouves ?

— Tout se passe au mieux, Monsieur.

Ouh là ! Le passage au vouvoiement est du plus mauvais augure.

— Alors tu me vouvoies maintenant ?

— Ça me parait plus adapté, lorsque nous sommes ici.

Elle n'a toujours pas levé les yeux sur moi et je me languis déjà de son visage, de ses yeux qui me font fondre et de sa bouche qui réveille en moi les instincts les plus primaires.

— C'est comme tu voudras...

Je fais demi-tour, me dirige vers mon bureau, d'un pas traînant, puis fais volte-face.

— Tu sais, j'étais très en colère contre Ava, tout à l'heure. Je n'ai peut-être pas dit exactement le fond de ma pensée... Quand je suis en colère, j'ai tendance à chercher les mots qui blessent...

— Je ne suis pas persuadée que t'entendre lui dire que tu n'es pas amoureux de moi lui ait fait grand mal. Bien au contraire.

Elle me regarde enfin. Ses yeux sont tristes. Je ne sais même pas pourquoi. Elle ne me porte que des sentiments amicaux. En quoi la nature des miens auraient-ils le pouvoir de la rendre mélancolique ?

— Si tu n'as pas besoin de moi, pour le moment, je vais me plonger dans les quelques dossiers que j'ai trouvés sur le bureau, histoire de me tenir un peu au courant, dit-elle en retournant à sa lecture. Je note la réapparition du tutoiement. Les choses ne sont peut-être pas si graves qu'il y parait.

Une fois devant mon ordinateur, tandis que je trie les mails reçus depuis vendredi, je me dis que je ne suis décidément pas fin psychologue. Peu importe que je veuille me l'avouer ou pas, je sais parfaitement que mon cœur bat pour elle. De là à conclure que je suis amoureux, il y a un fossé que je ne me vois pas franchir. "L'amour tient plus du concept que de la réalité". Je me répète cette phrase toute faite qui me tient lieu d'excuse depuis quelques années.

Comme un parfait idiot, j'ouvre mon navigateur et tape « amour définition » sur Google. La réponse ne se fait pas attendre :

« L'amour désigne un sentiment d'affection et d'attachement envers un être, qui pousse ceux qui le ressentent à rechercher une proximité physique, spirituelle ou même imaginaire avec l'objet de cet amour et à adopter un comportement particulier. »

Je suis Greg Delcourt et Wikipédia vient de me jeter en pleine face que je suis amoureux d'Annabelle Maury. Info ou Intox ?



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant