Extinction d'une étoile

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Lundi 27 avril 2015

Voilà déjà presque une semaine qu'Annabelle n'a pas réapparu.

Je regarde son bureau où trône désormais une blonde platine qui ne me fait pas envie le moins du monde. Elle est pourtant sculpturale, longue, fine, élancée, comme je les aime et pourtant je ne l'ai même pas invitée à dîner.

A mon retour de Paris, Ava m'a appris, avec un air convenu et quasi triomphant, qu'Annabelle avait jeté l'éponge et donné sa démission.

Mon bras droit avait d'ors et déjà lancé un recrutement pour la remplacer et la blonde était déjà installée quand je suis rentré, jeudi en fin de matinée.

Ava connaît mes goûts en matière de femmes et, trop heureuse de se débarrasser d'Annabelle, elle m'avait choisi une succulente sucrerie pour une nuit prochaine.

Seulement voilà, je suis rentré sans le moindre appétit.

*********

Merde ! Merde ! Merde

Annabelle vient de décamper en hurlant, comme si les sept portes de l'enfer s'étaient ouvertes, jetant à sa poursuite une cohorte de démons plus sanguinaires les uns que les autres.

Ce que j'ai lu dans ses yeux, juste avant qu'elle ne me tourne le dos, reste gravé dans ma mémoire et me laisse un goût amer dans la bouche.

Bien sûr, j'ai repris le contrôle, bien sûr je lui ai fait amèrement regretter ses propos, mais sans comprendre pourquoi, je sais que la leçon a été bien plus rude que je ne l'avais voulu.

Pour une raison que j'ignore, me voir en compagnie de Camille n'a pas déclenché une once de jalousie ni de colère. Elle ne s'est pas effondrée en se tordant les mains, pleine de regrets. Elle s'est désintégrée. Tout bonnement.

Le feu a cessé de brûler dans ses yeux verts magnifiques, qui se sont éteints. Et puis elle s'est désintégrée. J'ai l'impression d'avoir assisté à la mort d'une étoile, en plein milieu du cosmos.

A la hâte, je me rhabille. Je dois savoir ce qu'elle fait, où elle va. Je dois savoir si elle va bien.

Pauvre con arrogant, tu crois vraiment qu'elle va bien ?

Camille pose sa main sur la mienne au moment où j'enfile ma chemise.

— Tu ne veux pas que nous remettions ça ? Je suis sûr que l'on peut faire encore mieux.

Rêve, chérie. Il n'y aura pas de second round. Tu te fais des films.

— Désolée Camille, je dois y aller. C'était vraiment... sympa. Merci pour ce moment.

Je tente de rester courtois, tout en enfilant mes chaussures.

Elle griffonne quelque chose sur une carte en vélin qu'elle a sortie de sa pochette Hermès.

— Voilà mon adresse, et mes numéros de téléphone. Appelle-moi très vite, nous allons faire de grandes choses toi et moi.

Cours toujours, la rouquine, tu ne me reverras jamais.

Je fourre la carte dans la poche de ma veste, histoire de ne pas la vexer et la gratifie d'un :

— Je dois vraiment y aller. On se rappelle plus tard.

Je sais pertinemment que je ne la rappellerai jamais et qu'elle n'a pas mon numéro. Hasta la vista, baby. J'ai d'autres chats à fouetter.

Je m'élance à la poursuite d'Annabelle qui a une certaine avance sur moi. Je me laisse guider par les mines ahuries des gens qui se sont trouvés sur son passage, lors de sa fuite. Une belle fille hurlant comme une sirène, ça ne passe pas inaperçu.

Je me perds dans le dédale des couloirs de cet immense bâtiment. Je dois la retrouver. Je crie son prénom, plusieurs fois, mais mes appels restent sans réponse.

Au détour d'un énième corridor, je tombe nez-à-nez avec une femme tenant entre ses mains les bijoux et la robe d'Annabelle. Elle ne perd pas le nord celle-ci. Mais comment est-elle entrée en possession de ces effets. Où se trouve la femme qui les portait il y a encore quelques minutes ?

Bon sang, Annabelle se promène en sous-vêtements ? Elle si prude, j'ai du mal à l'imaginer.

— Vous pouvez me dire où se trouve la femme qui portait ceci ?

Elle me montre le bout du couloir qui semble déboucher sur la sortie.

— Je lui ai donné mon manteau de fourrure... Elle semblait ...

Oui mais encore ? Son air abasourdi m'excède au plus haut point mais je reste calme.

— Elle semblait... Dites-moi ?

— Elle semblait dévastée. Je crois que quelqu'un lui a fait du mal. Elle semblait souffrir d'un stress post-traumatique. Elle a subitement enlevé sa robe et ses bijoux en disant qu'ils la brûlaient. Comme si elle ressentait, pour ces objets au demeurant magnifiques, une véritable aversion. Vous connaissez cette jeune femme ?

— Oui, je la connais. Si vous le voulez bien je vais tâcher de la retrouver et lui remettre ses effets.

Je lui tends ma carte professionnelle.

— Appelez-moi à ce numéro afin que je puisse vous restituer votre manteau.

D'un geste vif, je récupère le précieux butin de la femme au manteau de fourrure. Elle me les cède, avec déception. Pas de ça Lisette, j'ai choisi ces bijoux pour Annabelle et pour personne d'autre.

Je reprends ma course vers la sortie et me retrouve nez-à-nez avec un homme qui me propose un taxi. Je l'interroge brièvement. Oui, il a bel et bien vu une jeune femme dans un manteau de fourrure. Avec un clin d'œil il me dit :

— Je crois bien qu'elle était nue dessous. Vous vous rendez compte ?

Non, pas bien justement. J'aurais adoré savoir de quoi il retourne mais j'ai bien peur de ne jamais le savoir, après ma partie de jambes en l'air avec Camille.

— Où se rendait-elle ?

— Vous savez, cette jeune femme était tellement désespérée. C'est un miracle qu'elle ne se soit pas jetée sous les roues du taxi. Elle répétait sans arrêt la même phrase : je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi. En même temps elle pleurait tellement qu'il était difficile de la comprendre. Elle m'a fait beaucoup de peine.

Elle pleurait. C'est la première chose que j'ai remarqué lorsque je me suis retourné vers elle, nu comme Adam au jardin d'Eden. Ses larmes. Une larme qui glissait sur chacune de ses joues. Plusieurs fois, depuis que nous nous connaissons, j'ai cru la voir pleurer, mais ça n'est jamais arrivé... jusqu'à aujourd'hui... jusqu'à ce que je baise Camille devant elle et que je lui mette mes bijoux de famille sous le nez.

Je sors mon téléphone portable et appelle le chauffeur de la limousine qui m'a été dévolue le temps de mon séjour à Paris. La fête est terminée. Avec un peu de chance je vais retrouver Annabelle dans notre suite et peut-être, je dis bien peut-être, je pourrai réparer un minimum les dégâts que j'ai causés...

En même temps, elle et moi ne sommes rien l'un pour l'autre. Pourquoi n'aurais-je pas le droit de me payer du bon temps ? Nous ne sommes pas mariés, à ce que je sache. Je suis son patron, elle est mon employée. Point barre. Pourquoi devrais-je me soucier de ce qu'elle a pu ressentir en nous voyant batifoler ?

Parce que tu sais que ce que tu as vu dans ses yeux n'a rien de normal. Elle me regardait comme si je l'avais détruite.

Je m'appelle Greg Delcourt, et je viens probablement d'éteindre une étoile.

Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant