Zéro et Blondin

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Mercredi 29 avril 2015

Je songe à l'infirmière, l'autre soir, qui n'a pas été ravie de découvrir que j'avais ôté la perfusion. Elle a immédiatement appelé le Docteur Schmitt qui est venu me parler.

— Que voulez-vous, Annabelle ?

J'ai fait le geste d'écrire, dans le vide. Il m'a donné un bloc note et un crayon papier. J'ai griffonné :

« Je veux réfléchir. Vos drogues m'en empêchent. »

— Dans ce cas, je vous propose de maintenir l'anxiolytique qui vise à éviter les crises d'angoisses. Il ne perturbera pas vos pensées. Mais, à la première alerte, promettez-moi de m'appeler !

J'ai griffonné de nouveau :

« O.K. pour les anxiolytiques. Je vous promets de vous demander autre chose si je ne vais pas bien. »

Il a hoché la tête. Nous avions un accord.

Depuis cinq jours, je ne suis donc plus sous perfusion. Je ne reçois plus le cocktail magique, et mes pensées sont de plus en plus claires.Je n'ai toujours pas répondu à la question fatale : vivre ou mourir, mais, depuis deux jours, j'arrive àme trouver quelques raisons d'espérer, ne fût-ce qu'un peu.

Et puis, il y a Greg. Il m'envoie des sms, plusieurs fois par jour. Depuis deux jours que je les ai découverts sur mon téléphone portable, j'en ai déjà lu plus de vingt. Dans le journal des appels, j'ai vu qu'il avait tenté de me joindre, à plusieurs reprises. En regardant la date, j'ai compris que ces appels dataient du soir où je l'ai découvert avec la rousse et où j'ai « lâché la rampe ».

Je n'ai pas écouté les messages vocaux qu'il m'a laissés, mais j'ai lu ses textos. Il semble inquiet, il a l'air de regretter, il veut savoir comment je vais, où je suis, s'il peut venir me voir (pas question !), il veut savoir si je mange et aussi, si je reviendrai travailler avec lui.

Un ding me surprend soudain. C'est encore lui, un nouveau sms :

« Je pense beaucoup à toi. J'espère que tout le monde est gentil là-bas, que tu te reposes et que tu seras bientôt sur pied. J'aimerais te parler, Annabelle. Il faut que je comprenne des choses. Il faut que tu m'expliques... Et moi aussi, j'ai besoin de te parler. Greg »

Il m'a tutoyée. C'est la première fois. Il veut me parler. Non, ça, je ne peux pas. Il saura à quel point je suis déglinguée. Et puis, je ne saisis pas son attitude. Pourquoi me démontrer clairement son mépris pour, maintenant, me dire qu'il ne me comprend pas. C'est moi qui ne comprends pas ce qu'il veut. Alors, je ne réponds pas à ce message, pas plus que je n'ai répondu aux précédents. Mais je me rends compte que j'attends le suivant.

*****

Trois jours plus tôt...

Les cauchemars sont revenus. Les drogues ne suffisent plus à les museler et ils me ramènent en 2010.

Nue comme un ver, debout au milieu de la pièce, j'attends que les fauves fondent sur moi. À ma grande surprise, deux d'entre eux s'installent confortablement sur le misérable canapé défoncé, siégeant dans un coin de la pièce commune. Ils sont affalés comme pour assister au spectacle, un sourire de contentement sur le visage. Je me retourne vers les deux autres qui, tout à coup, m'empoignent.

L'un d'entre eux a environ trente ans, il est blond très clair, il n'est pas très grand, il est coiffé en brosse. Son regard n'est pas méchant, mais ses yeux sont exorbités. Il s'appellera Blondin pendant les quatre jours à venir.

Le second est plus trapu, la boule à zéro, une petite moustache rousse, il fait environ 1 mètre 75, il doit avoir la quarantaine. Il me regarde avec méchanceté, en se léchant les lèvres. Il se nommera Zéro.

Zéro s'empare de moi, me positionne à genoux, face à lui, mon visage au niveau de son entrejambe. Il porte un jean noir et un tee-shirt Metallica. Il ouvre sa braguette, en sort son sexe et me le présente. Il est très foncé et me semble exagérément dimensionné. Alors, c'est donc ça. Nous en sommes là.

— Tu vas faire connaissance avec popol, ma jolie Et tu vas lui faire honneur. Tu sais comment on fait, n'est-ce pas ? Les filles de ton âge, aujourd'hui, sont dégourdies.

J'ai baissé la tête et j'ai fait non. J'ai imaginé cette chose dans ma bouche, et j'ai cru que j'allais vomir. S'il essaie, je le mordrai, c'est sûr.

Il a relevé ma tête, a sorti une arme de la poche arrière de son jean et l'a pointée sur ma tempe. De son autre main, il a attrapé mes joues, a appuyé violemment dessus, me forçant à ouvrir la bouche. Et puis, il a ajouté :

— Je te conseille de ne pas me mordre, si tu ne veux pas que ta jolie petite cervelle retapisse le mur. Nous sommes d'accord ?

J'ai dit oui et j'ai ouvert la bouche.

Son goût est salé, mes larmes sont salées, je ne sens que le goût du sel sur ma langue et cette sensation que je suis sur le point de m'étouffer, à chacun de ses mouvements. Cette chose qui envahit ma bouche grossit à chaque va-et-vient qu'il fait faire à ma tête, comme si j'étais une marionnette. Je ne pense qu'à une seule chose : faire attention à mes dents, ne pas le mordre par maladresse, ne pas poser mes dents sur son truc.

Blondin se tient près de nous, son sexe entre les mains, lui imprimant un mouvement ample.

— À mon tour, maintenant, frangin. Je veux y goûter aussi.

Zéro se retire de ma bouche et Blondin prend sa place. Son sexe est plus long et moins gros, il est tout rose. Zéro se saisit de ma main, la lève et m'oblige à le caresser.

— De haut en bas, très bien comme ça, ne t'arrête pas.

Je vais devenir folle. Je suis tentée de regarder les deux autres, spectateurs attentifs, pour les supplier de mettre fin à tout ça. Et puis je me reprends : et s'ils ne faisaient rien cesser du tout ? Et s'ils se joignaient à eux ?

Je découvre à quel point mon avenir est sombre. Je découvre que plusieurs hommes peuvent vouloir avoir des relations sexuelles avec une seule femme. Je ne vois pas comment c'est possible.

Anne-Julie, en cours de Maths, a dit que ça fait un mal de chien, la première fois. Je ne veux pas d'une première fois avec Zéro et Blondin !

Je me réveille en hurlant, des frissons violents secouant mon corps entier. Je suis à la clinique du bon Docteur Schmitt, en sécurité dans mon lit blanc. Maman est près de moi et, une fois encore, elle agite la sonnette. L'infirmière surgit, son pochon miracle dans la main, de quoi installer une nouvelle perfusion dans l'autre. Je fais non de la tête. Je vais y arriver seule.

Je me lève, fébrile, attrape au vol le sac en papier Mac Donald que me mère a amené avec elle, en vide le contenu sur mon lit et me précipite sur la terrasse. Je m'assois sur le transat, place le sac devant ma bouche et, comme me l'a montré le médecin dans l'avion, je respire lentement dedans. Je regarde le ciel, contemple la diversité des petits nuages blancs, cherche à reconnaître une forme dans chacun d'entre eux et, lentement, la crise passe.

Je m'appelle Annabelle, j'ai vingt-deux ans, et non plus dix-sept. Je dois être capable de gérer mes peurs, faute de pouvoir les museler.


Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant