Quatrième dimension

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Lundi 4 mai 2015

Je suis dans ses bras et je m'y sens bien. Je voudrais pouvoir dire le contraire, ou plutôt je devrais, en toute logique, détester ce contact masculin, mais ce n'est pas le cas.

J'aime son odeur. Elle est différente de la leur. Elle est boisée, légèrement musquée. Il y a une note fraîche que je ne reconnais pas. Il n'a pas cette odeur qui emplit encore trop souvent mes narines, la nuit. Ce mélange de sueur, de désir, de fluides corporels, qui a bercé ma captivité. Il sent bon, tout bêtement.

Il ne me serre pas contre lui, il me tient dans ses bras. Il ne m'écrase pas contre son corps, il est doux. Son visage repose dans mes cheveux. Je crois qu'il les respire, comme je le respire.

Étonnamment, je me sens en sécurité dans ses bras. Je n'aurais jamais imaginé cela possible.

Une de ses mains repose sur ma taille, l'autre joue sur ma nuque, sans hâte, sans brusquerie. Ses doigts effleurent ma peau, qui picote étrangement. Je crois que je pourrais m'endormir là, contre lui, comme cette nuit, en toute confiance.

Greg rompt cette étreinte et me maintient légèrement à distance en me regardant d'un air un peu paternaliste et néanmoins intense.

— Dis-moi que tu ne recommenceras plus.

— Je ne recommencerai plus. Mais... les choses sont différentes maintenant.

— En quoi le sont-elles ?

— Tu connais... la vérité.

— Je sais certaines choses, en effet. Je suis loin de savoir tout et je ne le saurai pas tant que tu ne me l'auras pas confié.

Je le regarde, atterrée. Croit-il vraiment que je pourrai lui raconter une telle chose ? A-t-il une idée de ce qui est arrivé ? Peut-il imaginer un instant que je pourrais poser des mots sur... ça ?

— Je comprends que tu ne puisses pas l'imaginer, pour le moment, mais un jour tu auras suffisamment confiance en moi pour l'envisager.

— Greg... Je ne l'ai jamais raconté à personne...

— Mais la police ...

— La police sait ce qu'elle a conclu de mes blessures et du peu que je lui ai dit.

— Alors... s'ils n'ont pas retrouvé les coupables, c'est parce que ...

— Parce que je leur ai dit que j'avais tout oublié de ce qui les concerne.

— Mais c'est faux, n'est-ce pas ?

— Je n'ai rien oublié...

Pour la toute première fois je le confesse à quelqu'un. Depuis cinq ans, je mens pour tenter de sauver ma vie et celle des miens. Ma mère pense que mes cauchemars sont des images fugitives, sans visage. Elle a longtemps espéré que les souvenirs rejailliraient, que la vérité éclaterait au grand jour, que les coupables seraient punis.

Mais je suis allée sur internet, j'ai consulté des centaines de jugements sur des affaires de viol en réunion. Aucun de ces types ne s'en est sorti avec de la prison à vie. Alors je n'ai jamais rien dit.

Tandis qu'ils me rouaient de coups de pied, le quatrième jour, Zéro m'a bien averti :

— Si tu dis quoi que ce soit sur notre escapade, nous reviendrons et ce qui s'est passé ici te paraîtra incroyablement doux, à côté de ce que nous te ferons subir, avant de te tuer et de tuer toute ta famille. Tu as une petite sœur, elle est très jolie. Crois-tu qu'elle aimerait que nous l'initions, à son tour ? Ta maman est très belle, elle aussi...

Il tenait dans ses mains le portefeuille que j'avais glissé dans la poche arrière de mon jean, ce matin-là, en partant chercher le petit-déjeuner. Il contenait ma carte d'identité et des photos de ma famille. Ils savaient tout ce qui leur était nécessaire : nos noms et notre adresse.

— Tu ne dois rien dire, Greg !

Je crie soudain, réalisant que je viens de nous mettre en danger

— Si tu parles, ils reviendront et nous mourrons tous. Ils nous tueront après nous avoir tellement fait souffrir que nous appellerons cette mort de nos vœux. Je t'en supplie...

Je panique, les larmes tombent en cascade, à l'intérieur, me submergeant déjà. Il ne doit pas parler, il ne sait pas à quel point ces hommes n'ont rien d'humain.

Il me rapproche de lui, m'entoure de ses bras, caresse mes cheveux et embrasse mon front.

— Chut ... je ne dirai rien, je te le promets. Nous trouverons une autre solution. Je ne vous mettrais pas en danger, toi et les tiens. Calme-toi. Calme-toi.

Il m'entraîne doucement vers la voiture, un bras autour de ma taille, m'installe sur le siège et referme la portière. Il prend le volant et roule pendant un bon moment. Je crois que je m'endors, car soudain je suis dans ses bras.

— Rendors-toi Annabelle, je vais prendre soin de toi.

— Nous devons aller au bureau, Greg lui dis-je dans un souffle, comme dans un rêve.

— Je crois que nous allons remettre ta rentrée à demain, tu ne crois pas ?

Je ne réponds pas. Mon corps repose maintenant sur un matelas moelleux. Une couette légère et fraîche glisse sur moi.

— Dors maintenant, je te réveillerai pour souper.

Et je sombre dans un sommeil sans rêve.

Il est près de vingt heures lorsque j'ouvre les yeux.

Je suis dans une jolie chambre, spacieuse, féminine, aux couleurs claires. Le lit dans lequel je suis allongée est gigantesque, en fer forgé et à baldaquins. Aux quatre coins, se déploient de longs voilages écrus, tandis qu'un ciel de lit, garni de la même etoffe, donne l'impression de flotter dans les nuages. La chambre est meublée de manière délicate, rappelant le fer forgé et l'écru des voilages. Une chambre de princesse en quelque sorte.

Je me lève, inspecte chaque recoin de la chambre, découvre la salle de bain attenante, toute en marbre blanc veiné de noir. A gauche, une douche à l'italienne en verre bleu, cloqué de minuscules bulles, simplement féerique, et, en plein milieu de la pièce, une immense baignoire balnéo, qui tient davantage du jacuzzi, invitent aux plaisirs de l'eau. Des plantes vertes parachèvent cette atmosphère incroyablement zen. C'est un petit paradis.

— Ta salle de bain te plaît ?

Je me retourne, surprise d'entendre sa voix. Il se tient près de la porte, appuyé au chambranle.

— Ma salle de bain. Mais comment ça ?

Il vient au-devant de moi, saisit ma main et entrelace nos doigts. Il repousse une mèche folle derrière mon oreille et me regarde avec attention, son œil noisette et son œil bleu brillant d'un commun accord, de la même intensité.

— Annabelle, je t'ai dit que j'allais veiller sur toi, que j'allais rester à tes côtés et je vais tenir parole. J'ai pensé que tu aimerais peut-être changer un peu d'horizon. Toi et moi, nous allons travailler ensemble, passer beaucoup de temps ensemble, alors pourquoi ne pas vivre sous le même toit, quelque temps ? Aussi longtemps que tu le souhaiteras, en fait.

Je suis totalement abasourdie. Est-ce qu'il me demande vraiment ce que je crois ?

— Tu me demande de venir vivre avec toi ?

— Oui, c'est exactement ce que je te demande.

Je suis Annabelle, j'ai 22 ans, je n'ai jamais quitté ma maison d'enfance et soudain, un homme, que je connais depuis à peine trois semaines, me demande de venir vivre avec lui. Serais-je tombée dans la quatrième dimension ?



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant