Vénération

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Vendredi 8 mai 2015

Elle se tient devant moi, uniquement vêtue d'un ensemble de lingerie en soie bleu poudré.

Je sais reconnaître un comportement autodestructeur lorsque j'en vois un. Et c'en est un. Elle est en train de plonger du haut d'un pont. Elle se rue tête baissée au beau milieu d'une autoroute bondée. Elle se tire une balle en plein front.

L'amour de ma vie est sur le point de sombrer. Si je ne veux pas le perdre, je dois agir dans l'instant.

Tandis qu'elle passe ses bras derrière elle pour dégrafer son soutien-gorge, je me précipite vers elle, ramène ses bras le long de son corps et la serre contre moi, de toutes mes forces. D'une main, je maintiens sa tête contre mon torse, de l'autre je l'empêche de se débattre. Car elle se débat, elle est en pétard, ma petite femme, et pas qu'un peu. Je ne peux pas la blâmer, je suis coupable. Coupable de ne pas avoir interrompu Sabrina, coupable d'avoir pris un plaisir éphémère à ses caresses, coupable de ne pas l'avoir dit à Annabelle.

Aimer Annabelle, c'est être sur un perpétuel grand huit. C'est renoncer à tout ce que l'on sait pour reconnaître l'étendue de son ignorance. Osciller entre l'ivresse qu'elle déclenche à chaque seconde en moi, et la peur insoutenable de la perdre à chaque instant. Aimer Annabelle, c'est à la fois la plus belle expérience et le pire challenge de toute ma vie.

Chaque jour, je découvre l'infinitude de la profondeur de ses blessures, et mon premier réflexe est de me dire que nous n'y arriverons pas. Et puis mon cœur, ce traître, me chuchote qu'elle est mon bonheur, mon avenir, ma seule chance de rédemption. Qu'elle est, irrémédiablement, l'unique chance de bonheur que je veuille saisir.

Elle pleure dans mes bras. Je lui chuchote des mots simples, des mots vrais.

— Je sais que je ne suis pas le meilleur des hommes. J'ai d'immenses failles que je cherche à combler, de terribles défauts que je tente de corriger, mais, comme tous ceux qui sont en apprentissage, je m'égare parfois. Et cela m'arrivera encore. Mais tu peux me croire sur parole lorsque je te dis que je tire les leçons de mes erreurs, et que celle-ci est bien plus cruelle que toutes les autres réunies. Je ne nie rien. Elle m'a caressé et j'ai mis quelques secondes à réaliser que c'était mal, et surtout que ce n'était pas ce que je désirais. Ça s'est arrêté là. Tu dois me croire. C'est la pure vérité.

Je ne sais que lui dire. Qu'attend-elle de moi ? Que je parle avec mon cœur, j'imagine, et c'est beaucoup me demander. Me livrer, c'est prendre le risque de me perdre. Mais que représente ce risque par rapport à celui de la perdre, elle ?

— Je t'aime, Annabelle. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé. D'ailleurs, je n'ai jamais aimé. Tu es mon tout premier amour et tu seras le dernier. J'en fais le serment. Je te veux toi, uniquement, entièrement et définitivement. Je ne désire pas que ton corps, tu te trompes. Je te veux tout entière avec ton passé, ton présent et ton avenir. Je veux que ton cœur batte à l'unisson du mien. Je veux ton âme entrelacée à la mienne et ton corps et le mien fusionnés en un seul. Je veux tout cela, plus que n'importe quoi en ce monde, et je suis prêt à donner tout ce que j'ai pour l'obtenir.

Elle a cessé de se débattre. Elle reste immobile, son corps contre le mien. Elle écoute ; elle analyse. Je relâche doucement la pression sur sa tête et, d'un doigt sous son menton, relève son visage vers le mien. Je veux qu'elle lise en moi. Je veux qu'elle sache que je pense chaque mot de ce que je viens de lui dire.

Lentement, je la soulève et la serre contre moi. Mon précieux trésor entre les bras, je me mets en marche.

— Ou m'emmènes-tu ?, hoquette-t-elle ?

— Dans ma chambre. Dans mon lit, pour être précis.

Elle se raidit. Elle a peur de ce que je pourrais lui demander et qu'elle n'est pas prête à m'offrir.

— Il ne s'y passera rien que tu ne souhaites, Annabelle. Rappelle-toi. Je te l'ai promis.

Elle se détend un peu tandis que je la dépose délicatement au centre du lit. Je ferme les lourds rideaux, ménageant à la pièce l'ombre propice à l'intimité que mon projet requiert.

Debout près du lit, je la contemple. D'instinct, elle se protège de ses bras. Elle vient de réaliser qu'elle est presque nue. Avec une infinie lenteur, je les déplie et les remonte de chaque côté de sa tête, posant ses mains sur l'oreiller.

— Je ne veux plus que tu te caches de moi, mon amour. Et pour cela, il faut que je te voie. Que je t'apprenne. Tu n'as pas ni honte ni crainte à avoir. Je sais ce que tu as subi, et je sais ce que représente chacune de ces marques qui parsèment ton corps. Je veux les connaître toutes et je vais les vénérer, l'une après l'autre.

Elle écarquille les yeux et balbutie :

— Non, je ne veux pas... que tu les regardes... que tu les touches...

Je m'agenouille sur le lit, près de son flanc et allonge l'un de ses bras le long de son corps. Je laisse lentement glisser ma main, partant de son épaule, effleurant sa clavicule, du bout de mes doigts, dessinant son biceps, caressant le creux de son coude et, survolant son poignet, je termine mon voyage en joignant ses doigts aux miens.

Me penchant sur elle, je dépose sur ses lèvres un doux baiser, serrant nos mains jointes contre mon cœur. Ma bouche passe lentement de ses lèvres à ses joues, à son menton, puis à sa gorge que je caresse de mon souffle. Elle frémit, mais ne m'arrête pas.

Ma lente descente se poursuit jusqu'à la toute première trace. Comme les autres, le temps l'a blanchie. Elle est fine et régulière. Elle dort à la naissance de son sein gauche. Je l'embrasse, doucement. Annabelle réagit vivement et tente de m'en empêcher en retirant sa main de la mienne.

— Laisse-moi te découvrir, mon ange. Je ne fais rien d'autre que t'explorer. Ferme les yeux et laisse-toi bercer par mes baisers. Un baiser ne fait aucun mal, bien au contraire. Accepte que ces souvenirs douloureux puissent, l'espace d'un moment, devenir source de bien-être.

Sa main retombe sur le lit. Je reprends mon baiser le long de cette fine ligne qui va se perdre sous le bonnet du soutien-gorge. Je ne m'y aventure pas.

Me maintenant au-dessus d'elle d'une main, je pose délicatement l'autre sur son ventre, barré, au niveau de l'estomac, par une cicatrice plus grande et plus large que les autres. Je la suis du pouce, sur toute sa longueur. Annabelle cesse de respirer. Je plonge un instant mes yeux dans les siens et lui souris. Je veux la rassurer. Elle expire doucement.

Mes lèvres se joignent à mon pouce et embrassent la balafre avec amour. Peu m'importent ces lignes blanches sur son corps frêle, j'en aime chaque millimètre. Elles font partie d'elle, au même titre que ses magnifiques cheveux bruns, que ses yeux verts irisés de bleu, que ses seins ronds et nacrés.

Je suis Greg Delcourt et, tandis que je vénère chaque centimètre carré de son calvaire passé, Annabelle se détend lentement et accepte mes baisers pour ce qu'ils sont.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant