Samedi 2 mai 2015
Voilà près de deux heures que je suis garé devant la clinique, nourrissant le fol espoir qu'elle aura lu mon e-mail et qu'elle y répondra positivement.
Lorsque je me suis réveillé, sur le canapé de Franck, une gueule de bois carabinée et un mal de crâne sans commune mesure avec ceux que j'avais connus auparavant, j'ai été tenté de replonger dans le sommeil réparateur. Et puis, Annabelle s'est imposée à moi.
J'ai soudain raccroché les wagons, analysé tout ce que moi et Franck avions pu nous dire, ces trente dernières heures, la langue déliée par un fabuleux whisky, envisagé les options qui s'offraient à moi désormais, et me suis précipité sous une douche glacée.
Après un gramme de Paracétamol et deux cafés, mon esprit était déjà plus clair. Franck avait raison, je devais y retourner, m'excuser et tous recommencer à zéro.
Mais était-elle toujours là-bas ? Après la déception que je lui ai causée – je la revois encore articuler ces quatre mots « Ne me laisse pas » et mon âme se déchire –, je ne serais pas étonné qu'elle ait plié bagages pour aller se réfugier chez elle.
Je pars à la recherche de mon portable, dans la poche de mon blouson et compose le numéro de la clinique. Je tombe sur une femme entre deux âges, d'après sa voix, et tente le coup du charme :
— Bonjour, Mademoiselle. Je suis fleuriste sur Marseille. J'ai reçu la commande d'un magnifique bouquet pour l'une de vos résidentes. Malheureusement, je suis à cours de lys et je ne pourrai pas livrer avant cet après-midi. Pouvez-vous me dire si ce délai de livraison risque de poser problème ?
— Quel est le nom de la résidente, je vous prie ?
— Maury... Attendez, je vérifie... Annabelle Maury.
— J'ai peur que ce soit impossible, Melle Maury nous quitte dans la matinée.
Bingo.
— Pourriez-vous me donner son adresse, alors ?
— Je ne suis pas autorisée à vous donner ce type de renseignement, Monsieur.
T'inquiète pas, chérie, tu m'as déjà dit tout ce que je voulais savoir.
— Je comprends parfaitement, Mademoiselle. Vous êtes vraiment charmante, lui dis-je d'une voix grâve et sensuelle.
De ce coup de fil, elle ne se souviendra que de deux choses : elle a fait son travail en refusant de me donner l'adresse de sa patiente et un mystérieux inconnu, à la voix sexy, lui a dit qu'elle était charmante et lui a servi du Mademoiselle.
Je ne sais pas à quelle heure elle doit sortir, j'ai peu de temps. Je repasse chez moi pour me raser et me changer. Je crois qu'elle a été sensible au look décontracté d'avant-hier, alors je réitère l'expérience : jean, tee-shirt noir ajusté, sneakers et blouson de cuir noir. Juste ce qu'il faut d'après-rasage, et c'est parti !
Ne vous méprenez pas ! J'ai bien compris que je ne vais pas à un rendez-vous galant, pas de proie à appâter, aujourd'hui. Inutile de me mettre la pression, vous ne ferez jamais pire que ce que je m'impose intérieurement.
En moins de vingt minutes, je suis devant la clinique. J'ai décidé de prendre la Porsche 918 Spyder. J'espère qu'Annabelle aimera les sensations qu'elle procure. Et puis, j'attends.
J'ai eu largement le temps de douter, de me rassurer et de douter encore, lorsqu'elle franchit enfin le seuil de la clinique en courant. Elle est essoufflée et cherche quelque chose du regard, examinant le parking. Et puis, elle trouve ce qu'elle cherche... et j'inspire profondément. Je sors du cabriolet, referme la portière et m'appuie négligemment contre la carrosserie, les bras croisés.
Elle porte une longue robe printanière, blanche, qui met sa fine silhouette en valeur. Ses longs cheveux sont attachés en une queue de cheval qui repose sur son épaule. Elle n'est pas maquillée, ses joues sont rouges d'avoir couru jusqu'ici, ce qui lui donne bonne mine, une fois n'est pas coutume. Elle ne sourit pas, son visage est juste doux. Sa tête penchée sur le côté, elle m'observe.
Je la laisse s'avancer vers moi, puis, chassant le macho qui bouillonne en moi, fais le reste du chemin vers elle. Je brûle de la prendre dans mes bras, mais préfère simplement saisir le bout de ses doigts. Elle ne les retire pas. Nous nous regardons en silence un bon moment. Elle cherche encore à me jauger, je cherche à la déchiffrer, le silence entre nous est apaisant. Nous nous apprivoisons.
— Tu es vraiment un sale con, tu sais... me dit-elle avec le plus grand sérieux.
— Je sais, mais je me soigne, lui dis-je en haussant légèrement les épaules.
Elle retire ses doigts, se dirige vers la Porsche et, effleurant légèrement la carrosserie, en fait le tour.
— Jolie voiture...
— Lorsque je la conduis, je me sens libre, en contact avec les éléments. Je me suis dit que tu aimerais peut-être, toi aussi, profiter d'un moment de liberté.
Elle me regarde encore, penche de nouveau la tête sur le côté en plissant un peu les yeux, comme si elle tentait de lire en moi.
— Tu es sûr d'être en état de la conduire ? Je me suis laissé dire que tu as bu plus que de raison, récemment...
— Je vais bien, Annabelle. Je peux parfaitement te ramener...
— J'aimerais bien voir ça ! Il n'en est pas question !
La voix de Mme Maury mère, vient de s'élever à quelques mètres de nous. Les poings sur les hanches, elle me fusille du regard.
— Éloignez-vous de ma fille, Greg Delcourt. Vous ne lui avez apporté que du chagrin. N'avez-vous pas compris qu'elle ne sera jamais une de vos poules d'un soir ?
Elle s'élance pour éloigner sa fille de moi. Je suis plus rapide et viens au-devant d'elle, utilisant mon corps comme un bouclier.
— Mme Maury, vous avez toutes les raisons d'être en colère. Je me suis conduit d'une manière indigne, mais j'ignorais beaucoup de choses. Aujourd'hui, même si je suis loin de tout savoir, j'en connais assez pour comprendre que ce type de rapport avec Annabelle est exclu. Elle n'est pas, elle ne sera jamais l'une d'entre elles, vous avez ma parole.
— Vous ne voulez pas comprendre, elle est extrêmement fragile. Votre inconséquence l'a conduite ici. Que lui arrivera-t-il, la prochaine fois que vous redeviendrez l'ignoble Greg Delcourt ? Jusqu'où son esprit tourmenté l'emmènera-t-il ? Vous avez songé à cela ? Ne pensez-vous pas qu'elle a suffisamment souffert, ces cinq dernières années ?
Cinq années... Le plaidoyer de Mme Maury est implacable, et néanmoins plein de sens.
Tandis que nous nous jaugeons du regard, la voix d'Annabelle s'élève dans les airs :
— Maman, j'aimerais rentrer à la maison avec Greg. J'ai très envie d'essayer son petit bolide. Tu as raison dans tout ce que tu viens de dire. Greg n'a pas été un modèle de courtoisie et de délicatesse, mais il m'a fait me sentir vivante, et c'est tout ce qui compte.
Je me nomme Greg Delcourt, j'ai la chance incroyable de voir Annabelle Maury se prononcer en ma faveur et je n'ai pas l'intention de la laisser passer.
VOUS LISEZ
Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomansaAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...