Le venin de la vipère

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Vendredi 8 mai 2015

Greg est parti pour un rendez-vous à l'extérieur, juste après le déjeuner. Nous avons pique-niqué dans son bureau, face à face, assis en tailleur sur la méridienne. La conversation a été légère, nous avons beaucoup ri, nous avons un peu chahuté, nous nous sommes embrassés entre deux plats et avons partagé le même dessert. Des plaisirs simplissimes que je n'avais jamais partagés avec un homme.

Greg est gentil, drôle, et infiniment patient. J'ai bien du mal à reconnaître en lui le type épouvantable qu'il était il y a deux semaines. Tout cela me paraît trop beau pour être vrai.

Je me demande soudain pourquoi il est parti seul à ce rendez-vous. Il m'avait pourtant dit que je le suivrais comme son ombre, qu'il me montrerait tout ce qui a trait à son business.

Peut-être que ce rendez-vous n'a rien de professionnel. Je sens poindre un sentiment qui ressemble fort à de la jalousie. Et s'il était avec une autre femme ? Après tout, je ne suis pas en mesure de lui apporter ce dont il a le plus besoin, et j'imagine que cela lui manque. Je ne suis pas une spécialiste en sexualité masculine, mais je suppose que si je ne comble pas ces besoins, une autre doit le faire. Cette idée me révulse.

Plus les heures passent et plus je ne peux m'empêcher d'imaginer des choses qui me tuent. Dois-je me faire violence et m'offrir à lui, au risque de me perdre moi-même ? Dois-je, au contraire fermer les yeux et faire l'autruche ?

J'en suis là de mes inquiétudes quand Marco, le gars de la sécurité, frappe à ma porte.

— Mademoiselle Maury. Vous avez une visite. Mais Monsieur Delcourt à exigé que je ne laisse pas approcher cette personne de vous. Madame Brown souhaite vous rencontrer. Que dois-je lui dire ? Elle insiste beaucoup...

Marco semble particulièrement embarrassé. Je me doute qu'Ava a dû faire pression sur lui et jouer, soit de ses charmes, soit de son arrogance, pour le mettre dans cet état.

— Laissez-la entrer, mais restez à proximité, Marco

— Bien entendu, mademoiselle.

Ava fait son entrée, majestueuse, comme à son habitude, à la limite du ridicule avec des airs de Cruella dans les 101 Dalmatiens : robe fourreau noire, manteau de fourrure, capeline et long fume-cigarette en main.

— Que me vaut le plaisir de votre visite, Madame Brown ?

J'appuie sur le Madame, histoire de bien lui rappeler combien je suis plus jeune qu'elle. Ok, c'est un comportement qui ne me ressemble pas vraiment, mais dès que je suis dans la même pièce qu'elle, je me sens pousser des griffes.

— Annabelle... Greg n'est pas avec vous ?

Je regarde tout autour de moi, je peine à m'empêcher de regarder sous le bureau, et confirme.

— Il semblerait que non, en effet. Il est en réunion à l'extérieur. Puis-je vous suggérer de prendre rendez-vous ?

Elle me fixe avec une moue dédaigneuse et un air outré.

— Sachez, jeune fille, que je n'ai pas besoin de rendez-vous pour rencontrer Greg, nous sommes très proches, je dirais même intimes.

— Ne m'en veuillez pas, il m'avait pourtant semblé l'entendre vous dire de ne plus remettre les pieds dans son bureau sans y être invitée...

Elle bouillonne. J'exulte. Je joue avec le feu.

— Ce pauvre Greg a tellement envie de vous mettre dans son lit qu'il serait prêt à tous les subterfuges pour y arriver. Tout cela n'était qu'un petit numéro, que j'ai joué pour lui avec grand plaisir. Après tout, lorsque ce sera chose faite, il me reviendra comme un gentil toutou, la queue entre les jambes, me réclamant des plaisirs que vous êtes bien incapable de lui donner, des sensations extrêmes, comme il les aime. Vous savez qu'il aime la douleur ? La recevoir, mais aussi l'infliger. Greg est ainsi. Il n'est pas l'homme romantique qu'il essaie de vous vendre, il est brutal, insensible et trop centré sur son propre plaisir pour vous accorder la moindre importance. De toutes les femmes qu'il a couchées dans ses draps, vous êtes sans doute la plus insipide. Je me réjouis à l'avance de récolter le fruit de votre inexpérience.

J'ai joué avec le feu... et j'ai perdu. Ava Brown vient de me balancer une droite suivie d'un uppercut.

— Vous croyez vraiment qu'il est en rendez-vous professionnel ? Soyez raisonnable, Annabelle, si tel était le cas, il vous aurait emmenée.

Elle me sourit avec tristesse, comme si j'étais une pauvre petite chose fragile.

— Il est en chasse, Annabelle. Il courtise sa prochaine proie, celle qu'il emmènera ce soir, dans un luxueux palace, afin de la culbuter pendant des heures. Vous ne croyez tout de même pas que, la nuit venue, une fois qu'il vous a bordée dans votre petit lit, il va sagement dormir dans le sien ? Vous n'êtes pas si naïve ? Si ? Bien sûr que non. Il court rejoindre sa conquête du jour et rentre à l'aube, fourbu et rassasié.

Les larmes se précipitent vers mes paupières, je les refoule de mon mieux. Je ne veux pas lui donner ce plaisir. En quelques phrases, elle a confirmé tous mes doutes, comme si elle lisait en moi. J'ai beau me dire qu'elle invente, qu'elle cherche à me blesser, mon pessimisme habituel revient au galop. Exit les moments de bonheur sur la méridienne. Bonjour le chagrin, les angoisses, les doutes et cette fichue estime de moi quasi-inexistante.

— Je ne vous crois pas, dis-je d'une voix blanche. Greg tient à moi et il m'a affirmé n'avoir touché aucune femme depuis Paris.

Elle sourit, prend son téléphone portable dans sa pochette en satin et compose un numéro.

— Sabrina, voudriez-vous me rejoindre, mon petit ?

Où veut-elle en venir ? Qui est Sabrina ?

Une jeune femme se présente à la porte du bureau, escortée par un Marco de plus en plus mal à l'aise. Je lui fais signe de la tête de la laisser entrer.

— Annabelle, je vous présente Sabrina. Elle vous a remplacée, lorsque vous avez démissionné. Sabrina, je vous présente Annabelle, c'est à elle que vous devez votre renvoi.

Elle sourit d'un air entendu à une Sabrina qui arbore un air particulièrement revêche.

— Pourriez-vous raconter à Annabelle ce qui s'est passé, dans le bureau de Greg, ce samedi matin ?

— Oui bien sûr, je n'ai rien à cacher. Après tout, nous sommes des adultes consentants. Je ne vais pas vous donner les détails, je ne voudrais pas vous paraître impudique, mais disons que M. Delcourt et moi-même avons partagé un moment très chaud, si vous voyez ce que je veux dire...

— Chaud à quel point, Sabrina ? lui demande Ava.

— Eh bien... Il a beaucoup aimé mes caresses... Surtout celles que j'ai pratiquées à une partie de son anatomie qui dort habituellement dans son pantalon.

Elle sourit d'un air entendu.

Mon monde s'écroule, une fois de plus. Greg m'a menti. Je n'ai pas l'exclusivité de ses bras.

— Je peux savoir ce qui se passe ici ? dit Greg.

Il se tient à la porte du bureau. Il a l'air terriblement en colère. Il a dû entendre la conversation. Il sait qu'il a été découvert.

Je suis Annabelle Maury, je me fais sans cesse des illusions sur des promesses que Greg Delcourt réduit en miettes, dès que j'ai le dos tourné.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant