Faux espoir

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Samedi 2 mai 2015

Ce matin, je sors de clinique. Maman va venir me chercher et me ramènera à la maison. Seulement, je ne veux pas rentrer à la maison. Je sais que, si j'y retourne, je vais reprendre ma vie d'avant, enfermée entre les quatre murs de ma chambre, prisonnière de moi-même, de mes peurs, de mes cauchemars. Tout ce qui est arrivé ces derniers jours n'aura servi à rien.

J'ai choisi la vie et je dois désormais assumer ce choix. Après la nuit que je viens de passer, je me dis que j'aurais dû choisir l'autre option. Je pensais que, peut-être, j'aurais un ami pour cheminer avec moi, mais je n'ai pas d'ami. Comme aux autres, je lui ai fait peur. Je crois qu'il sait, ou du moins qu'il croit savoir, qu'il a entrevu la noirceur de mon âme et qu'elle l'a rebutée, comme la majorité des gens que je connaissais.

Je ne le blâme pas. Je m'y attendais. J'y ai peut-être cru une poignée de secondes, mais pas plus.

L'espoir, quand on est comme moi, c'est une chose que l'on regarde dans la vitrine mais que l'on n'a pas les moyens de s'offrir. L'espoir, c'est la robe Oscar de la Renta qui vous fait croire un instant que vous êtes jolie, et qui vous brûle la peau, à la première occasion. L'espoir, c'est un homme qui vous dit qu'il ne vous jugera jamais et qui s'empresse de le faire, à la minute suivante. L'espoir, c'est une drogue douce qui détruit impitoyablement vos neurones tout en vous rendant accro. L'espoir, c'est cette chose que l'on appelle de ses vœux, alors qu'elle n'a pas cessé de vous détruire à petit feu.

Cette nuit, j'ai pensé à toutes ces fois où j'ai espéré. Espéré vivre, espéré être sauvée, espéré mourir aussi. J'ai si souvent espéré que quelque chose de bien m'arriverait que je ne saurais dire combien de fois je me suis fait rouler dans la farine par un destin qui se joue de moi.

Il m'arrive même, parfois, d'espérer qu'ils reviennent : Blondin, Zéro, Snake et Blood. Ils apparaîtraient sur le pas de la porte, le couteau de chasse à la main, pour terminer le travail et c'en serait fini de ma misérable vie. Je l'ai rêvé cette nuit.

Voilà cinq ans que je me demande quand ils passeront la porte, parce que ça ne peut pas se passer autrement. Un jour, ils viendront pour s'assurer que je me taise à jamais. Cinq ans que je simule l'amnésie. Cinq ans que je répète, à qui veut l'entendre, que j'ai oublié leurs visages, alors qu'ils sont là, devant mes yeux, chaque matin à mon réveil.

Comment peut-on raisonnablement espérer vivre en paix, lorsque l'on partage chaque jour de sa vie avec quatre fantômes ? Un espoir de plus, une utopie, un rêve éveillé, voilà ce que je fais de ma vie. Je me mens à moi-même, je ne suis que l'ombre de celle que je fus jadis, une pâle copie, un ersatz...

Je rassemble mes affaires, une à une. Maman va bientôt arriver et je vais la suivre.

J'allume mon ordinateur portable pour lire les messages impersonnels et publicitaires que je reçois parfois. Peut-être un message de mon père, espoir oblige. Je ne sais même pas si j'ai encore un père. Ou peut-être est-ce lui qui n'a plus de fille. Le résultat est le même.

Il a fait le deuil de sa petite fille parfaite. Je ne le vois qu'une fois par an, lorsqu'au terme de discussions téléphonique houleuses avec ma mère, il finit par céder à ses arguments et par débarquer un jour ou deux. À son arrivée, il dépose un léger baiser sur mon front et ne m'approche plus de tout le séjour. Il ne sait pas comment agir avec moi, il pense que, pour moi, tous les hommes sont des violeurs, lui y compris.

Je suis capable de faire la différence, mais lui ne le sait pas. Alors, dans le doute, tout le temps de sa présence dans notre maison familiale, il évite de me toucher, me parle sans me regarder, me questionne sur ma santé sans vraiment écouter les réponses qui restent invariablement les mêmes. Je vais bien. Je vais bien. Trois mots pour résumer la version officielle de ma vie. Je vais bien.

Un mail attire soudain mon attention. Greg Delcourt. Il a été écrit ce matin, à 09:35. Je l'ouvre.

« Chère Annabelle. Je n'ai pas la moindre idée de là où me conduira ce mail. J'ai passé la majeure partie de la nuit et de la journée d'hier à boire avec mon seul et unique ami, Franck. Je lui ai parlé de toi. Je lui ai raconté à quel point je me sens misérable, depuis que je t'ai laissée dans cette chambre, alors que tu m'avais ouvert une partie de ton cœur, alors que tu me faisais confiance...

Je t'ai promis de ne pas te juger et je veux que tu saches que je ne l'ai pas fait.

Je me suis jugé, moi. Jugé incapable de t'aider à sortir la tête de l'eau, alors que je cache la mienne dans le sable. Incapable de t'apporter l'attention, la compassion, la tendresse que tu mérites, moi qui n'ai d'humain que le nom. Incapable de te guider vers la lumière, moi dont la noirceur éclipserait même le soleil. Alors je suis parti, comme le lâche que je suis.

Je ne sais pas exactement ce que tu as vécu, Annabelle, je ne peux que l'imaginer. J'ignore tout de tes blessures. Je comprendrais que tu ne veuilles plus jamais t'ouvrir à moi, moi qui t'ai blessée. Je comprendrais que tu me rejettes, compte tenu de l'horreur que mon statut d'homme me confère à tes yeux.

J'ai commis des erreurs, trop d'erreurs avec toi. Je ne comprends que maintenant à quel point je me suis fourvoyé. Tu n'as absolument rien à voir avec les femmes qui m'entourent habituellement. Tu es leur parfait contraire. Et pourtant, ce que je veux plus que tout, là, maintenant, c'est être celui sur lequel tu t'appuieras, celui qui te rendra le sourire, celui qui t'ouvrira à nouveau au monde, à la vie.

Parce que, même si tu penses le contraire, je crois, moi, que tu peux te révéler à toi-même, déployer peu à peu tes ailes et, un jour, t'envoler. J'espère de tout cœur être près de toi, ce jour-là.

Alors, voilà, j'en viens au but de ce message :

Si tu veux d'un ami sans la moindre qualification, qui va très certainement commettre d'autres erreurs, trébucher dans le tapis, mettre les pieds dans le plat, mais qui fera de son mieux malgré tout, je suis en bas, dans la cour, et je serai heureux de te ramener chez toi.

Je serai également heureux de te rendre ton poste dans ma société, de t'enseigner tout ce que je sais et de faire de toi mon assistante de manière permanente.

Je m'engage également à museler le sale con et à tordre le cou à l'enfoiré.

J'espère de tout cœur que tu accepteras, et je te promets de me montrer à la hauteur de tes espérances.

Greg »

Je m'appelle Annabelle, je laisse une fois de plus l'espoir prendre le dessus, quitte à en souffrir, encore et encore, et me précipite hors de ma chambre, vers le grand escalier qui mène aux portes de la clinique.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant