Damoiselle en détresse

236 33 0
                                    

Lundi 4 mai 2015, 3h15 du matin

À la hâte, je rassemble mes affaires, m'habille, attrape mon blouson et mes clés et fonce jusqu'au parking.

Annabelle m'a appelé, il y a moins de cinq minutes. Je l'ai entendue crier et pleurer, en proie à une panique incontrôlable. Elle me dit avoir fait un cauchemar, mais qu'elle irait bien. Ses sanglots, sa respiration saccadée me prouvent le contraire. Elle va mal. Elle m'a appelé au secours. Elle a besoin de moi.

Je roule vite dans la ville endormie et quitte Marseille en direction de sa maison. Je sais déjà que je ne serai pas le bienvenu. Sa mère fera obstacle. Mais rien ne m'arrêtera. Pas après ce que j'ai entendu au téléphone. Je bouillonne intérieurement. Je l'imagine en pleine crise, cherchant à remplir ses poumons désespérément collapsés, comme dans l'avion. Cette vision m'est insupportable.

Les pneus de la Porsche crissent sur le fin gravillon qui recouvre la cour. Les lumières sont éteintes, la maison endormie. Je me précipite sur la porte et sonne, de manière ininterrompue. Je tambourine, tente de l'ouvrir, mais elle ne cède pas. Personne ne répond. Serait-il possible qu'Annabelle soit seule ?

Au premier étage, j'entrevois un faisceau lumineux, balayant l'espace de manière anarchique. Il s'agit sans doute d'une lampe torche ou peut-être celle d'un téléphone portable.

Une voiture se gare soudain près de la mienne. Je reconnais celle de mon père. Anne Maury, la mère d'Annabelle, l'accompagne. Mes craintes étaient donc fondées ; Annabelle est seule à la maison.

Hors de moi, je me précipite vers la voiture et, les deux mains posées à plat sur le capot, je leur hurle de me laisser entrer dans la maison.

Mme Maury sort du véhicule, suivie d'Antoine. Je suis en colère, mais je n'ai pas le temps d'exploser. Je m'explique rapidement. Elle se précipite et ouvre la porte d'entrée. Je la bouscule, localise rapidement l'accès à l'étage et grimpe les marches, quatre à quatre. Arrivé sur le palier, j'entends les sanglots d'Annabelle. Elle s'étouffe littéralement. Je me dirige vers sa chambre, guidé par ses pleurs.

— Attendez, sa porte est fermée à clé. Je conserve le double dans ma chambre, je vous l'amène.

Quoi ? Elle l'enferme dans sa chambre lorsqu'elle sort ? Mais où suis-je tombé, bon sang ?

Je ne m'embarrasse pas de formalités et l'enfonce de l'épaule. Je m'y reprends à deux fois, mais elle finit par céder. Je m'arrête net sur le seuil et la découvre, recroquevillée en haut de son lit, les jambes empêtrées dans les draps, son téléphone portable, dont la torche danse, serré contre elle. Elle est trempée de larmes et de sueur, ses yeux fous balayent la pièce, sa respiration saccadée ne semble plus tenir qu'à un fil.

Anna Maury se précipite, la clé à la main, et reste interdite devant la porte enfoncée.

— Je m'en occupe, lui dis-je d'un ton qui n'appelle pas la moindre réplique.

— Mais enfin, c'est ma fille. C'est à moi de...

— Elle était seule, enfermée dans sa propre chambre. Elle m'a appelé au secours et j'ai répondu présent. Et vous, où étiez-vous ?

J'ai conscience d'être sans doute injuste envers cette femme. Mais mon angoisse me prive de tout comportement rationnel. Je repousse la porte qui ne se refermera pas de sitôt, et la bloque avec une chaise. Je veux que l'on nous fiche la paix.

Je m'approche doucement d'Annabelle, lui parlant calmement, d'un ton monocorde, pour ne pas l'effrayer plus qu'elle ne l'est déjà, mais je peine à établir un contact. Mon cœur bat à tout rompre, je cherche du regard quelque chose qui pourrait l'aider et avise une petite pile de sacs en papier, posée sur la commode. Les consignes du médecin, sur le vol Air France, me reviennent immédiatement à l'esprit. J'en attrape un et poursuis mon approche. Je suis tout près d'elle, maintenant.

— Regarde-moi, Annabelle ! lui dis-je, calme mais ferme.

Elle recule encore davantage vers la tête du lit.

— Annabelle, c'est Greg. Je suis venu parce que tu m'as appelé, tu t'en souviens ?

Elle hoche la tête. Je lui tends doucement le sac. Elle le prend et le serre contre elle.

Je retire rapidement mes chaussures et m'assieds en tailleur, sur le lit, face à elle, en gardant une distance respectable.

— Toi et moi, nous allons respirer ensemble. Tu vas tenter de calquer ta respiration sur la mienne. D'accord ?

Elle éclate en sanglots, ses épaules se voûtent, je la sens découragée, incapable de se battre seule. Alors, je change de tactique.

— Écoute-moi, Annabelle. Je vais me placer à tes côtés et te prendre dans mes bras, comme hier, sur la jetée, tu te souviens comme nous étions bien ?

Elle ne répond rien, elle me regarde, le visage baigné de larmes. Elle se souvient.

Je m'avance dans le lit, lentement pour ne pas l'effaroucher, m'installe près d'elle puis, m'assurant qu'elle comprend bien ce que je veux faire, je la saisis doucement par la taille et l'attire contre ma hanche. Je l'entoure de mes bras, attrape le sac en papier et le positionne devant sa bouche.

— Vas-y, maintenant. Inspire profondément et relâche aussi lentement que tu pourras.

Tandis que je lui donne mes directives, je les mets en pratique avec elle et, lentement, nos souffles s'accordent et s'apaisent. J'en avais besoin, moi aussi.

À son oreille, je chuchote des mots apaisants, des encouragements, je lui dis qu'elle s'en sort bien, que je suis fier d'elle, que je vais l'aider, qu'elle peut me faire confiance, que je serai toujours là, qu'un jour la vie sera belle. Ce sont des vœux pieux, je ne suis pas sûr d'y croire tout à fait, je ne suis même pas sûr que cela soit possible. J'ai peur que les dégâts soient trop profonds, mais je l'espère sincèrement. Elle mérite de quitter cet enfer, elle mérite d'avoir ce qu'il y a de mieux en matière d'aide et de soutien. Et je vais faire le nécessaire.

Doucement, je sens son corps se détendre et s'affaisser contre moi. Ses larmes coulent toujours, mais plus doucement. Quelques rares sanglots persistent encore.

— Tout ira bien, Annabelle, tu verras. Je vais m'occuper de toi. Tu vas venir avec moi, et je veillerai sur toi.

— Je ne veux plus y retourner, Greg. Je t'en prie, je ne veux plus retourner là-bas.

De toute évidence, nous tenons deux discours différents. Je ne sais pas de quoi elle parle, mais elle semble tellement y tenir que j'abonde dans son sens :

— Tu n'y retourneras plus. Je ferai en sorte que tu n'y retournes plus.

Je fais une promesse dont j'ignore tout. Tandis qu'elle glisse lentement dans le sommeil, je me dis que je dois avoir une discussion sérieuse avec sa mère et avec Antoine. Ce qui est arrivé ce soir ne doit plus se produire. Je ne peux pas influer sur le passé, mais je peux faire en sorte de sécuriser son présent, désormais.

Je m'appelle Greg Delcourt. Moi qui ne suis même pas fichu de veiller sur moi-même, moi qui ne serais même pas capable de maintenir en vie une plante verte, je veux, plus que jamais, prendre soin d'Annabelle Maury. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais fichtre rien !



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant