En chasse

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Mardi 14 avril 2015

Rêveur, je songe à hier. Je l'ai regardée monter dans le taxi, puis je suis retourné à mon bureau. J'ai lancé une recherche sur le net à son nom. Mais je n'ai rien trouvé. Absolument rien. Et c'est un problème. Tout le monde laisse son empreinte sur le net à un moment ou à un autre. Mais pas elle. Elle n'existe pas. Pas de compte Facebook ou Twitter, pas de photo, pas de connexion avec une école, une université ou une association, pas de message sur un forum. Elle est insaisissable...

J'ai décroché mon téléphone et j'ai appelé Franck. Franck Merlin est un magicien du net. Il est aussi un hacker reconnu dans le milieu. S'il y a quelque chose à découvrir sur Mademoiselle Maury, il le découvrira.

Cette jeune femme m'intrigue au plus haut point. La donne a changé. Désormais, je la veux... et je l'aurai, ça ne fait aucun doute. Elle ornera mon tableau de chasse pour une nuit.

Annabelle sera ma pièce maîtresse, parce que je sais sans le moindre doute que la chasse sera difficile. Et ça m'excite bougrement.

Ras-le-bol des proies faciles. Annabelle est d'un tout autre niveau. Elle va fuir, ruer dans les brancards, sortir les griffes, mais, au bout du compte, elle terminera dans mon lit, et la victoire n'en sera que plus savoureuse...

Je décroche mon téléphone et rappelle Franck.

— Franck, c'est Greg. As-tu trouvé quelque chose sur Miss Maury ?

— Ouaip, enfin, à dire vrai, je n'ai rien trouvé, ce qui en dit long sur ta cliente...

— Comment ça ? Explique-toi !

— De toute évidence, elle a fait appel à quelqu'un d'extrêmement compétent pour effacer ses traces, un consultant en E-réputation. Il s'agit de supprimer définitivement tout ce qui a été édité sur le net. Dans son cas à elle, ce n'est pas un tri qui a été fait, c'est un le grand nettoyage. Ce qui ne peut signifier qu'une chose.

— C'est-à-dire ?

— Elle a un truc énorme à cacher.

— O.K., Franck. Alors voilà ce que tu vas faire...

Je raccroche, de plus en plus troublé. Qu'est-ce qu'Annabelle peut avoir à cacher ? Qu'a-t-elle bien pu faire dans le passé qui ait nécessité d'en arriver là ? Elle n'a pas été jugée ; j'ai sur mon bureau son casier judiciaire complet. Lorsque j'embauche quelqu'un, c'est une des premières choses que je demande au postulant. Le sien est vierge. Alors, de quoi s'agit-il ?

Le téléphone de mon bureau sonne, c'est la standardiste.

—- Mademoiselle Maury est à l'accueil, Monsieur.

— Faites-la patienter, je descends.

J'ai décidé que notre seconde entrevue se ferait en terrain neutre, autour d'un café. Lui imposer un nouveau tête à tête n'est pas une bonne idée. Elle se sentira peut-être plus à l'aise au milieu des gens.

— Annabelle, je suis ravi de vous revoir, dis-je en lui tendant la main qu'elle saisit après une brève hésitation. Je la conserve quelques secondes dans la mienne ; elle la retire précipitamment.

De toute évidence, elle apprécie peu le contact, ce qui va considérablement compliquer mes plans. J'ai l'intention de l'approcher de très près, de la toucher, de la caresser même, d'explorer chaque centimètre carré de son corps, avec mes mains, mes lèvres, ma langue, ma... Ne nous égarons pas ! Nous n'en sommes pas encore là. Intérieurement, je somme la partie de mon corps que je préfère de se tenir à carreau. Inutile d'effaroucher la proie avec une érection massive. Je ferme ma veste sur les preuves irréfutables de mon excitation, et propose un café à Annabelle.

Je lui indique la cafétéria et la suis, légèrement en retrait, histoire d'observer le côté pile de son anatomie. Rien à redire. Tout est en place. Elle porte un tailleur pantalon crème, fluide et élégant, qui met parfaitement sa silhouette en valeur. Je regarde ses hanches balancer tandis qu'elle franchit les portes de la cafétéria.

Elle se retourne et m'interroge du regard sur la table à occuper. D'un geste de la main, je l'invite à faire son choix. Elle se dirige alors vers l'endroit le plus en retrait, au fond de la grande salle de restauration. Faut-il en conclure que la jeune femme n'est pas plus à l'aise dans la foule qu'en tête à tête ?

Nous nous asseyons et passons commande : un café noir sans sucre pour moi, un cappuccino pour elle.

— Bien ! Annabelle, j'ignore ce qui est arrivé hier, mais je me dois d'être parfaitement honnête avec vous : je ne vous ai embauchée que pour faire plaisir à mon père, et j'ai... peut-être ... commis un impair en vous faisant rencontrer Ava. Elle peut être parfois...

— Garce ?

— Incisive en tout cas, dis-je en souriant de sa réflexion qui fait mouche.

— J'ai bien conscience, Mons...

— Greg.

— ... Greg. J'ai bien conscience que si je suis ici, je ne le dois ni à mes compétences ni à mon expérience, mais grâce à un piston. Mais si vous me laissez une chance, je pourrai tenter de faire un travail qui vous conviendra, voire même de vous étonner.

— Votre CV est plus que dépouillé. Je sais par mon père que vous étiez une élève brillante, promise à de grandes études. Pourtant, l'année du bac, vous abandonnez et, arrêtez-moi si je me trompe, vous disparaissez des radars pendant cinq ans. Pas d'emploi que vous auriez pu mentionner sur votre CV, pas de stage, d'école privée, de concours, de formation d'aucune sorte. Juste une bonne culture générale et une passion pour la littérature, si j'ai bien compris. Qu'avez-vous fait ces cinq dernières années, Annabelle ?

Elle baisse les yeux et, alors que je m'attendais à la voir piquer un fard, elle blêmit. Son visage reprend immédiatement la teinte quasi d'hier et ses lèvres, parfaitement roses il y a quelques secondes, disparaissent dans la pâleur de son visage, figées en une ligne parfaite.

— Annabelle, regardez moi !

Elle lève vers moi ses yeux incroyablement clairs.

— Ce n'était pas une question piège, Annabelle. Je n'ai pas voulu vous mettre mal à l'aise. Bien au contraire. J'essaie de comprendre votre parcours.

Elle me regarde en silence, cherchant à lire en moi. Elle se demande si elle peut me faire confiance. Elle repense à hier et au piège que je lui ai tendu. Elle pèse le pour et le contre. Je ne peux pas lui donner tort.

— En 2010, j'ai eu un grave accident. Je n'ai pas pu passer mon bac, et je n'ai pas pu poursuivre mes études. Ces cinq dernières années, je ... j'étais chez moi, en convalescence.

— Je suis désolé de l'apprendre, Annabelle. Ce devait être un grave accident pour qu'il vous immobilise si longtemps. Y a-t-il des séquelles que je doive connaître, afin d'adapter votre poste ?

— Mon cerveau et mes mains fonctionnent parfaitement. Cela devrait suffire, j'imagine.

Les couleurs lui sont revenues. Son regard est plus sombre, d'un vert plus profond. Les éclats bleus scintillent. Elle me défie.

— Alors, c'est parfait. Et si nous allions voir ensemble où vous allez passer les six prochains mois ?

Je m'appelle Greg. En chasseur émérite, je sais quand il faut lâcher du lest et quand il faut ferrer une proie. Alors, je lâche du lest... pour le moment.


Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant