Désignée coupable

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Samedi 9 mai

Greg a accepté de m'emmener chez moi, afin de rassurer ma mère et aussi de prendre mes affaires. Lorsque je suis arrivée chez lui, je n'avais que ce que je portais sur moi. Il m'y a amenée pour une nuit et je n'en suis plus repartie. Et j'ai bien l'intention d'y rester.

J'entame, en quelque sorte, une colocation. À quelques détails prêts : je ne paie pas de loyer, ni de charge, et je ne participe pas aux frais alimentaires. Mon colocataire est beau, sexy, gentil - bien que parfois redoutable - et riche à millions. Ah oui ! Nous partageons le même lit, les mêmes lits devrais-je dire. Il veille sur moi, me serre contre lui lorsque je fais un cauchemar, me câline, me dorlote, me vénère même. Nous échangeons des baisers brûlants, nous nous touchons, il me caresse, avec retenue, mais nous n'allons pas plus loin. Il m'aime, il me le dit. Moi aussi je l'aime, sans oser l'avouer.

Même si les choses sont compliquées, même si mon passé est un obstacle entre nous, je suis heureuse avec lui et ne veux être nulle part ailleurs que là-bas. Je suis convaincue. Il sera moins aisé d'en convaincre ma mère...

Greg gare la voiture devant la maison, en sort, la contourne et ouvre ma portière. Je le laisse faire, ce geste de galanterie semble le rendre heureux, je ne veux pas gâcher son plaisir.

Il m'aide à sortir, glisse sa main dans la mienne et nous nous avançons vers la porte qui s'ouvre bruyamment sur ma mère, qui ne semble pas dans les meilleures dispositions.

— Te voilà enfin ! Tu auras pris ton temps !

Je me penche vers elle, embrasse ses joues.

— Bonjour Maman. Tu vas bien ?

— Comment ça, je vais bien ? Je me fais un sang d'encre depuis ton départ. Y as-tu songé un instant, lorsque tu ne répondais pas à mes messages, lorsque tu refusais mes appels ?

— J'avais besoin de prendre de la distance, Maman. D'être ailleurs qu'entre ces murs qui m'ont servi de prison ces dernières années. Tu peux le comprendre, non ?

— Si ces murs t'ont tenu lieu de prison, comme tu le dis, c'est parce que tu l'as bien voulu. Ce n'est pas faute d'avoir fait tout mon possible pour t'en sortir.

— C'est vrai Maman, tu as fait de ton mieux. Il faut croire que je n'étais tout simplement pas prête. Mais tu as finalement réussi ; tu devrais être fière. C'est bien grâce à toi si je suis enfin sortie de la maison et que j'ai rencontré Greg.

Ma mère jette un œil torve sur Greg, toujours à mes côtés, légèrement en retrait.

— Il aurait mieux valu pour toi rester à la maison, ce matin-là. Je t'ai jetée dans la gueule du loup.

— Maman ! Mais qu'est-ce qui te prend ?

Antoine s'avance vers nous, embrasse son fils et me serre brièvement dans ses bras.

— Cesse de diaboliser mon fils ainsi, Anne, proteste-t-il gentiment.

— Mais Dieu seul sait ce qu'il a bien pu lui faire...

— Maman ! Tu deviens vexante. Je suis venue pour te voir, pour te rassurer, pas pour que Greg se fasse insulter !

Mais ma mère n'a cure de mes récriminations. Elle est partie dans un trip ridicule et hors de propos.

— Vous n'aviez pas le droit de la toucher, Greg ! Après tout ce qu'elle a subi, comment avez-vous osé poser vos sales pattes sur elle ? Je vous avais demandé de ne pas l'approcher, je vous avais dit qu'elle n'était pas une de vos filles faciles. Comment avez-vous osé ?

Ma mère est hors d'elle, elle crache les mots avec un débit impressionnant. Greg ne répond pas. Je sens à quel point il fait des efforts inconsidérés pour retenir les paroles qui brûlent ses lèvres.

— Annabelle est en sécurité. Puisque, visiblement, ce qui vous inquiète, au-delà du fait qu'elle puisse être bien avec moi, c'est son intégrité sexuelle, je vous rassure sur ce point. Je ne l'ai pas touchée.

Puis se tournant vers moi, il dépose un baiser sur ma joue et murmure :

— Je vais t'attendre dans la voiture. Appelle-moi lorsque tu voudras que je t'aide à charger tes affaires.

Il me sourit tendrement et fait demi-tour.

— Mais... non ! Tu viens avec moi...

Mais ma mère me saisit par le bras et m'entraîne dans la maison. Je me retourne vers Greg. Il s'est installé dans la voiture. Je jette un regard désespéré à Antoine, qui, d'un signe de tête et d'un haussement de sourcil contrit me fait comprendre qu'il s'occupe de son fils.

— Ma chérie, je suis tellement heureuse que tu rentres à la maison. Tu vas voir, nous allons faire de grands changements. Je pensais que nous pourrions redécorer totalement ta chambre, peut-être même pourrais-tu en changer, afin de te sentir mieux. Qu'en penses-tu ?

De toute évidence, refuse de comprendre. Elle a dirigé ma vie pendant toutes ses années, par nécessité, parce que j'étais bien incapable de le faire moi-même. Mais les choses ont changé. Aujourd'hui, je suis plus forte. Greg m'a métamorphosée. Et je ne suis pas seule, il est près de moi.

— Maman, je ne rentre pas à la maison, Bien loin de là, je viens chercher mes affaires.

— Allons, ma chérie, ne sois pas sotte, tu as mené à bien ta petite escapade, je comprends, tu sais. Tu avais besoin de t'évader. Mais maintenant, il est temps de revenir à la raison et de reprendre ta véritable place.

Elle me couve d'un regard bienveillant, à la limite de la pitié, comme si je ne pouvais pas comprendre, comme si elle savait mieux que moi ce qu'il convient de faire. Je me rends compte qu'elle a porté ce regard sur moi depuis mon réveil, à l'automne 2010. Et même si je lui suis à jamais reconnaissante de m'avoir soutenue toutes ces années, je ne veux plus de ce regard, désormais.

— Je monte dans ma chambre réunir mes affaires. Pendant ce temps, il me semble que tu devrais aller faire tes excuses à Greg qui n'a vraiment pas mérité tes paroles haineuses.

— M'excuser ? Mais pourquoi donc ? Je ne fais que te protéger !

— Je suis une adulte, Maman. Je te remercie d'avoir pris soin de moi, durant toutes ces années, mais je pense qu'il est temps pour moi de veiller sur moi-même.

— Mais tu en es bien incapable, ma pauvre chérie ! Au premier problème, tu t'es précipitée dans la voiture d'un inconnu ! Tu ne sais pas reconnaître le danger quand tu le vois, et c'est même pis, tu vas au-devant de lui. Ce matin là, si tu ne t'étais pas habillée comme la femme que tu n'étais pas, si tu ne t'étais pas pavanée sur ton vélo en jouant la belle, tu n'aurais jamais...

— Ça suffit !

Greg vient de se positionner entre nous deux, une fois de plus.

Je suis soudain glacée d'effroi à l'idée que ma propre mère me rende responsable de mon calvaire. Est-il possible que, depuis cinq ans, en silence, elle me reproche ce qui m'est arrivé ?

Greg a tout de suite compris la situation. Il m'entoure de ses bras et me parle doucement :

— Viens, mon ange. Nous partons. J'enverrai quelqu'un prendre tes affaires.

Je m'appelle Annabelle. Tandis que Greg m'entraîne vers la voiture, avec d'infinies précautions, je m'aperçois que je ne connais pas ma mère et que je ne me connais peut-être pas moi-même.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant