Aphrodite au bain

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Samedi 9 mai

Elle n'a pas dit un mot depuis notre départ, pas versé une larme. Je ne suis même pas sûr qu'elle soit vraiment là, avec moi. Elle est recroquevillée contre la portière, sa tempe contre la vitre, le regard dans le vague. Ses mains, posées sur ses genoux, tremblent de manière compulsive.

Elle frissonne. Je pose une main sur sa joue, elle est glacée.

J'accélère. Je dois la ramener à la maison au plus vite. Mon instinct me dit qu'elle a besoin de chaleur, d'attention, qu'elle a besoin de mes bras pour l'entourer et la protéger.

Je me remémore les paroles d'Anne Maury et j'en reste horrifié. Comment peut-on dire une telle chose à son enfant ? Comment a-t-elle pu la rendre responsable des tourments qu'elle a subis ? Tout cela dépasse mon entendement. Si, jusqu'à maintenant, j'avais considéré que l'hostilité d'Anne envers moi était une attitude protectrice, peut-être un peu abusive à mon goût, j'en arrive aujourd'hui à une toute autre conclusion.

La réaction d'Annabelle, l'enfermement dans lequel elle s'est installée, me prouvent qu'elle est dans un désarroi profond. Je voudrais l'aider, trouver les mots, mais je ne crois pas qu'elle puisse les entendre pour le moment.

Sur la route, je reçois un appel de mon père que je prends, après une longue hésitation.

- Greg ? Tu es là ?

- Oui.

- Comment va-t-elle ?

- Pas bien. Elle ne communique plus, elle ne semble même plus dans le même monde que moi. Comment a-t-elle pu lui dire une chose pareille, papa ? Je ne comprends pas.

- Je t'avouerais que je ne comprends pas plus que toi. Elle n'avait jamais évoqué cela avec moi. Jamais elle n'a eu le moindre mot de reproche envers sa fille. Elle a reproché beaucoup de choses à son ex-mari, mais jamais à Annabelle.

- Il faut croire qu'elle gardait ça en elle depuis un bon moment...

- Je ne sais pas... je... je suis dépassé par la situation. Elle est dans le salon, elle pleure sans s'arrêter, depuis votre départ. Elle refuse de me parler. Il faut attendre, je crois.

- Écoute-moi bien. Dans deux heures, j'enverrai quelqu'un récupérer les affaires d'Annabelle. Fais en sorte que sa mère les prépare. Ses vêtements, ses chaussures, tout ce qui est important pour elle, tout ce à quoi elle est attachée devra être prêt. Si ce n'est pas le cas, mes gars feront une razzia et embarqueront tout. Vous avez été les premiers à me rabâcher qu'elle était fragile, qu'il fallait la traiter comme de la porcelaine et c'est ce que j'ai fait. Alors prenez vos responsabilités. Je ne tolérerai plus jamais qu'on lui parle de cette manière, ni qu'on lui fasse du mal !

- Tu as bien changé, fils. Je veux dire, tu as changé... en bien.

- Tu ferais bien de le faire comprendre à ta compagne, sans quoi elle ne reverra plus sa fille.

Je raccroche. Je n'ai pas envie de me battre. Je dois me concentrer sur elle et seulement sur elle.

Je stoppe la voiture devant la maison. Elle est maintenant en position quasi-fœtale. J'ouvre délicatement sa portière, et je dois la retenir pour l'empêcher de tomber. Je la prends dans mes bras, au creux desquels elle se blottit immédiatement. Ses mains, ses jambes, son visage sont glacés.

Elle ne pleure toujours pas et je déteste cela. Je veux qu'elle pleure, qu'elle extériorise toute cette douleur que je vois défiler dans ses prunelles.

Je me dirige directement vers ma chambre, puis vers la salle de bain. Je pose délicatement Annabelle sur le rebord de la baignoire en marbre, dont j'ouvre les robinets en grand. La vapeur s'élève dans la pièce. C'est parfait. J'ajoute quelques gouttes d'huiles essentielles de lavande fine, réputée pour ses propriétés anti-stress et relaxantes.

Je la relève et entreprends de la déshabiller. Jamais je n'aurais jamais imaginé que ce geste tellement intime revêtirait une telle signification. Je la dévêts comme je le ferais avec un enfant. Je vais lui donner un bain. Je vais prendre soin d'elle.

Elle reste debout, face à moi, tandis que je lui retire sa robe de fée et ses sandales. Lentement, sans jamais la quitter du regard, comme si j'avais affaire à un animal blessé, je dégrafe son soutien-gorge et le lui retire. Je fais de même avec la petite culotte coordonnée. Elle est nue, face à moi, et il n'y a pas la moindre place pour du désir. Il s'agit de tout autre chose.

La prenant doucement par la main, je l'aide à monter dans la baignoire et à s'y asseoir. Elle est docile, presque absente.

Je retire mes chaussures, mes chaussettes et ma chemise et m'immerge avec elle, partiellement vêtu, me positionnant dans son dos. Je l'attire vers moi, d'une main autour de sa taille.

Assise contre moi, elle laisse aller sa tête sur mon torse. Je l'entoure de mes bras, prenant bien soin de ne pas la toucher de manière trop intime.

L'eau brûlante continue de couler jusqu'à lui arriver quasiment aux épaules. Je stoppe sa progression.

Lentement, elle se détend, tandis que son corps se réchauffe. J'embrasse le dessus de sa tête et le caresse du bout de mon nez. Malgré la situation chaotique, je ne peux m'empêcher de me sentir merveilleusement bien, à moitié habillé, dans un bain aux effluves de lavande, tenant dans mes bras une déesse, ma déesse.

J'ai maintes fois songé que le jour où je la posséderais, je trouverais refuge dans une sorte de sanctuaire, enfoui au plus profond d'elle. Mais je faisais fausse route. Elle EST le sanctuaire et j'en suis le gardien. Elle préside désormais à ma vie, à mon bonheur et à mon avenir.

- Je t'aime tellement, mon ange. Si seulement je pouvais te montrer ce que je ressens pour toi. Si seulement tu savais...

Lentement, elle se dégage de mes bras et se tournant face à moi, à genoux dans la baignoire, elle me fixe, son visage baigné de larmes.

Telle Aphrodite sortant des eaux, elle me souffle par sa beauté. Ses longs cheveux bruns descendant sur ses seins, ses yeux immenses dont les éclats bleus sont plus vifs que jamais, sa bouche pleine et si rose, légèrement entrouverte, tout en elle semble sorti d'un tableau de Botticelli.

Elle s'apprête à parler mais je l'interromps, d'un doigt sur ses lèvres. Je l'attire à moi, contre moi, une main dans son dos et l'autre caressant sa joue. Je sais exactement ce qu'elle allait me demander et je lui réponds, sans détour :

- Non, Annabelle. Tu n'as pas la moindre responsabilité dans ce qui est arrivé. Tu étais une adolescente, comme toutes les adolescentes. Ni plus, ni moins. Tu as juste eu le malheur de croiser la route d'une meute de loups. Ce sont eux les coupables, Annabelle, ça n'a jamais été toi.

Elle s'effondre en sanglots. Je l'attire sur mes genoux et la serre contre moi, baisant son visage, buvant ses larmes jusqu'à les tarir.

Je me nomme Greg Delcourt. Je le jure devant Dieu et les Hommes, dorénavant je réduirai à néant toute personne qui s'aventurera à lui nuire, de quelque manière que ce soit.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant