Chasseur de dragons

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Samedi 9 mai

J'ai froid. Je gémis. À la lisière de l'éveil, je cherche le drap sans le trouver. Je m'agite. Il me manque quelque chose de primordial, mais je ne sais pas vraiment quoi.

Soudain, des bras m'enveloppent et me serrent contre un corps chaud. Le drap tant convoité remonte le long de moi jusqu'à me recouvrir. Une main glisse dans mon dos et atteint la chute de mes reins. Je frissonne. Une seconde main caresse ma nuque puis glisse et s'insinue sous l'attache de mon soutien-gorge, tandis que des lèvres déposent des baisers, juste sous mon oreille.

Je tente d'émerger de ce demi-sommeil qui me retient prisonnière tout autant que ses mains qui glissent sur mon corps. Je cherche à les identifier quand soudain la main dans le bas de mon dos frôle la soie de ma culotte et le bout de quelques doigts caressent la zone juste sous l'élastique. Je sursaute, prise de panique. Je ne suis pas éveillée. Je suis retournée là-bas. Dans quelques secondes, les mains malaxeront brutalement mes fesses, des doigts s'insinueront en moi et l'enfer recommencera. Je crie. Je me débats. Le cauchemar recommence.

— Calme-toi ma puce. C'est moi, Greg. Pardonnes-moi si je t'ai effrayée. Je n'ai pas voulu...

Les bras me serrent doucement contre un torse dont je reconnais soudain l'odeur. Je m'éveille enfin et, m'échappant de son emprise, je roule de l'autre côté du lit. J'ai besoin de respirer, de reprendre une contenance.

— Pardonne-moi, Annabelle. Je songeais aux moments magiques que nous avons partagés hier. Mes mains se sont dotées d'une volonté propre. C'est tellement agréable de te caresser, tellement doux, tellement apaisant. Un peu comme ces mini-jardins japonais anti-stress, tu vois ? Ce truc avec du sable dans lequel tu fais glisser un minuscule râteau. C'est l'effet que me faisait la douceur de ta peau glissant sous mes doigts.

Il me regarde, sourire aux lèvres. Il ne cherche pas à me ramener contre lui, pas même à me toucher. Il s'est tourné vers moi et continue à me parler.

— Je t'ai fait peur ?

— J'ai cru que...

Une fois de plus je me sens ridicule. J'ai aimé ses caresses et ses baisers, hier. Ils n'avaient pas de connotation sexuelle. Il a dit qu'il voulait vénérer chacune de mes cicatrices et c'est exactement ce qu'il a fait. L'une après l'autre, de la naissance de mon sein au bas de mes cuisses, il a suivi de ses doigts les lignes blanches qui zèbrent mon corps, les a embrassées, caressées de ses lèvres, m'affirmant qu'elles faisaient partie de moi et que, puisqu'il m'aimait, il aimait chacune d'elles aussi.

Je réalise soudain qu'il m'a dit qu'il m'aimait. Plusieurs fois. Je n'ai su que répondre et, à dire vrai, je ne crois pas que ces déclarations appelaient la moindre réaction de ma part.

À sa manière, il m'a aimée d'un amour asexué, dénué de toute contrepartie. Un amour à l'état pur.

Soudain, mes propres sentiments affluent de toutes parts. Ma poitrine se gonfle d'un amour intense. Pourquoi vouloir le repousser ? Ses bras me manquent, et même si elles m'effraient par ses caresses, ses mains me manquent aussi. Doucement, je quitte mon refuge et retourne me nicher contre lui. Ses bras reprennent leur place. Son nez plonge dans mes cheveux et les hume. Je suis juste là où je dois être.

— Je t'aime, dit-il doucement.

"Je t'aime aussi ", me dis-je en moi-même sans trouver le courage de verbaliser mes pensées.

Je relève mon visage vers le sien, lui souris et pose mes lèvres sur les siennes. Il m'attire davantage encore contre lui. Ses bras s'enroulent autour de ma taille et caressent de nouveau mon dos.

Il rompt le baiser et me regarde un instant. Il me sourit, tendrement.

— Je ne te ferai jamais de mal. Tu le sais ? Je te désire, je ne peux pas le nier, mais nous progresserons à ton rythme, tout doucement, je te le promets. C'est toi le chef d'orchestre, d'accord ?

— Et si c'était impossible ? Et si je n'y arrivais pas ? Combien de temps tiendras-tu avant de ...

— Je tiendrai aussi longtemps qu'il le faudra, Annabelle. Ne te fais pas de soucis pour cela.

Il caresse mon visage, de son pouce, il effleure mes lèvres qui, d'instinct, s'entrouvrent, puis reprend le baiser là où nous l'avions laissé. Sa bouche se presse contre la mienne. Du bout des dents, il saisit ma lèvre inférieure et la tire légèrement puis la lèche. Sans que je l'ai choisi, la mienne vient à sa rencontre. Étonnamment, ce contact charnel ne me dérange pas. Je l'appelle, même, de tout mon être. Nos langues s'enroulent l'une autour de l'autre, irrésistiblement attirées. Les papillons dans le bas de mon ventre sont de retour et virevoltent le long de mes cuisses. Cet échange allume en moi des braises qui ne demandent qu'à s'enflammer, éveille les prémices d'un désir que je n'aurais jamais cru ressentir un jour. Je m'abandonne à ces sensations qui me transportent, tandis que ce baiser se fait de plus passionné.

Et puis soudain, je sens son désir prendre son essor contre mon ventre. Sans pouvoir m'en empêcher, je m'écarte lentement et observe le serpent se déployer sous le coton du boxer noir.

Il rit soudain et je le regarde, interloquée.

— Voilà une réaction qu'avec la meilleure volonté du monde, je ne peux contrôler, dit-il comme pour s'excuser.

Mon regard ne peut se détacher de l'ennemi, tapis dans l'ombre, attendant son heure pour me lacérer.

— Cette ... chose m'effraie au plus haut point, Greg. J'imagine que cela te semble ridicule, mais elle est, tout à la fois, la cause et l'objet de tous les tourments qui m'ont été infligés. Ne crois pas que je t'en veuille, ce n'est pas le cas. Je comprends qu'elle est le reflet du désir que tu ressens pour moi et, quelque part, j'en nourris une certaine ... fierté.

Je m'interromps un instant, soufflée par cette constatation, puis sans lâcher du regard l'objet du délit, je reprends :

— ... mais comment allons nous faire pour vaincre une telle peur ? Comment puis-je espérer surmonter cela ? C'est comme si tu me demandais de gravir l'Everest à mains nues et en tongs !

Il rit de nouveau puis m'attire contre son flanc, à l'abri du serpent.

— J'aime cette capacité que tu as, même dans les pires moments, à faire de l'humour... Nous trouverons le moyen, Annabelle. Ensemble nous dompterons le dragon et le métamorphoserons en un petit chaton ronronnant, je te le promets.

Il m'embrasse doucement, se jette hors du lit et me lance :

— En attendant que le dragon laisse place au chaton, il me semble nécessaire de l'assommer à coups de gourdin... Le terme n'est peut-être pas bien choisi, à bien y réfléchir... Une douche froide devrait calmer ses ardeurs.

Un clin d'œil complice, un sourire enjôleur et Greg Delcourt disparaît dans la salle de bain.

Je m'appelle Annabelle. Chaque jour, depuis cinq ans, je combats mes démons en solitaire. Ce matin, je comprends enfin que je ne suis plus seule et que je fais désormais équipe avec un redoutable chasseur de dragons.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant