L'arc de Cupidon

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Jeudi 7 mai 2015

Une fois n'est pas coutume, je ne conduis pas. Nous sommes confortablement installés à l'arrière de la voiture, tandis que le chauffeur de la société a pris le volant de la Bentley Flying Spur. J'ai eu envie de partager avec elle un nouveau moment d'intimité.

Je sais à quel point celle-ci l'effraie, combien les contacts physiques la paralysent. Pourtant, elle est venue à moi et m'a offert ce que je n'osais espérer : une petite parcelle d'abandon, un minuscule moment de tendresse et plus encore, sa confiance absolue.

Elle me sourit. Je la sens gênée par le souvenir de ce baiser. Je ne lui en ai pas parlé de toute la journée et je crois que cela la perturbe. J'actionne la levée du panneau de séparation qui va nous fournir toute l'intimité voulue. Je n'ai pas d'intention inavouable. Je veux juste partager avec elle un moment juste à nous, hors des regards indiscrets.

Elle sursaute et me regarde d'un air perdu. Elle a soudain peur que je ne lui demande plus qu'elle ne peut me donner.

— Ne t'inquiète pas, il ne se passera rien, ici, que tu ne souhaites pas.

Je passe mon bras dans son dos, agrippe sa taille et la tire vers moi, sa hanche tout contre la mienne. J'embrasse le dessus de sa tête et lui souffle :

— J'ai adoré ton baiser.

Elle lève son visage vers moi et murmure :

— Je l'ai aimé moi aussi, bien plus que je ne l'aurais imaginé.

Je la serre encore un peu plus contre moi. Sa sincérité m'émeut. Elle rougit comme une écolière. On lui donnerait seize ans sans le moindre problème. Elle baisse les yeux.

— Pourquoi es-tu si gênée ? C'est une chose naturelle que d'embrasser quelqu'un auquel on tient, non ?

— Je ne sais pas, je n'avais jamais embrassé personne avant ce matin...

Personne ? Comment cela peut-il être possible ? Elle a bien dû flirter à l'adolescence. Et puis il y a eu... ça, comme elle l'appelle. Je la regarde, interdit.

— C'est sans doute la seule et unique chose qu'ils n'ont pas eu de moi. Je t'ai offert, en quelque sorte, le peu de virginité qu'il me reste... le peu d'innocence aussi.

Bon sang, cette femme va me tuer. Elle parle peu, mais ce qu'elle dit a toujours une telle intensité, une signification tellement profonde, que je m'écroule, en vrille, à chaque fois. À sa manière, elle s'est donnée à moi, et ce qu'elle m'a offert d'elle était un trésor inestimable.

Mon Dieu, ce que je peux aimer cette femme. Si je n'avais pas si peur de l'effrayer, je me déclarerais immédiatement. Mais je dois aller à son rythme. Tout comme elle est venue à moi pour ce baiser, j'attendrais qu'elle ressente le besoin d'extérioriser ses sentiments pour moi. Je ne veux pas qu'elle se sente obligée de me le dire en retour, je veux qu'elle le désire.

J'ai une folle envie de l'embrasser, mais, une fois encore, je me contrôle. Je ne veux pas d'un baiser à la va-vite, à l'arrière d'une voiture. Je veux, pour elle, pour nous, quelque chose de bien mieux. J'ai presque le trac. Moi qui ai embrassé des centaines de femmes, avec la certitude, à chaque fois, de les faire chavirer, voilà que je me mets la pression. C'est un comble !

Ce baiser, c'est ma toute première chance de lui faire découvrir la notion de plaisir et je ne dois pas la rater. Il doit être doux, tendre, appuyé mais pas trop, il doit éveiller en elle des sensations encore inconnues, sans pour autant générer une impression de possession qu'elle est loin de pouvoir supporter. Je vais devoir contrôler ma langue, qui brûle de caresser la sienne. Je ne dois pas lui imposer une « pénétration » qui pourrait la rebuter. Je dois la laisser venir à moi, une fois de plus. Ne rien lui prendre et tout lui donner. Lui faire ressentir tout l'amour que je lui porte, sans le nommer.

Voilà tout ce que doit contenir ce baiser. Et je tremble à l'idée de tout faire foirer.

Je repense à Ava : tu es pitoyable, mon pauvre Greg, a-t-elle dit.

Non, pas pitoyable, juste amoureux, follement et irrémédiablement amoureux pour la première fois de ma vie. Et cette première m'effraie autant qu'elle me comble.

La Bentley s'engage dans la cour de la villa. Pendant le trajet, j'ai gardé Annabelle contre moi. Nous étions juste bien, ensemble, lovés l'un contre l'autre, sa tête posée sur mon épaule.

Me défendant de rompre ce doux contact, c'est sa main dans la mienne que nous sortons de voiture et gravissons le perron. Dans le vestibule, je la débarrasse de sa veste et la conduis dans le grand salon.

Je lui propose un verre, elle choisit un thé glacé. Je l'accompagne. Pas d'alcool pour moi ce soir, je veux avoir l'esprit clair. J'ai l'impression de jouer ma vie, c'en serait presque risible si cela ne revêtait pas une importance aussi grande pour moi.

Je la rejoins et m'installe tout près d'elle dans l'immense canapé en cuir blanc. Je lui tends son thé glacé, bois une gorgée du mien, la regarde faire de même, puis repose nos deux verres sur la table basse. Je me tourne vers elle, jusqu'à lui faire face, prends ses mains dans les miennes et me lance :

— Tu as fait de moi l'homme le plus heureux de la terre en m'offrant ce baiser, ce matin, et je veux que tu saches que j'en connais la valeur et que je le chérirai pour le restant de mes jours. Me laisserais-tu te donner ma propre interprétation d'un baiser ?

Ma main saisit son visage, s'enroule autour de sa nuque. Je l'amène vers moi, doucement, jusqu'à n'être plus qu'a quelques centimètres d'elle. Mon autre main entoure sa taille. J'ai une folle envie de la serrer contre moi, mais une fois encore je réfrène mes instincts. Un léger hochement de sa tête me donne le feu vert.

Alors, avec lenteur et une infinie douceur, je pose mes lèvres sur les siennes. Mes mains encadrent désormais son visage. Ses lèvres sont chaudes, comme dans mon souvenir. Elles s'entrouvrent légèrement sous la pression des miennes et nous entamons une danse langoureuse. Je m'arrête un instant, m'assure qu'elle veut continuer, puis reprend le cours de notre baiser. Du bout de la langue, je caresse sa lèvre supérieure, effleurant le petit V que forme l'arc de Cupidon. Elle pousse un léger soupir qui m'engage à continuer. Je caresse désormais sa lèvre inférieure et sa bouche s'épanouit encore davantage, laissant apparaître l'extrémité de sa langue qui, par pur instinct, vient à la rencontre de la mienne. Je la laisse découvrir ce contact charnel, appuie davantage ma bouche contre la sienne, entraînant nos deux langues dans un ballet euphorique. La danse est encore un peu hésitante mais nous évoluons au même rythme, comme mus par une communauté de pensée. Son corps, désormais détendu, se presse davantage contre le mien, ses mains brûlantes posées sur mes flancs. Ce baiser est parfait. Elle est parfaite. Elle est très exactement faite pour moi.

Je m'appelle Greg Delcourt, j'ai donné et reçu des milliers de baisers, mais aucun n'a jamais été si doux, si évident, si irrémédiablement vital. Je ne pourrai plus jamais m'en passer.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant