Lundi 4 mai 2015
Je l'entraîne vers une table de pique-nique en bois, la soulève et l'y assois. Elle se laisse faire et ça me va.
Je me rends parfaitement compte que je dois retrouver mon calme avant de lui demander des comptes.
J'ai tout à la fois envie de la gifler et de la prendre dans mes bras, j'ai envie de lui crier à quel point elle a été inconséquente, à quel point elle m'a fait peur, et pourtant je brûle aussi de l'embrasser.
Je dois me reprendre, je dois me calmer. Je me rends parfaitement compte que mon attitude est déraisonnable. Je ne me reconnais pas moi-même. Mais bon sang ! Qu'est-ce qui me prend à la fin ?
Un instant, je plonge mon visage dans mes mains, tentant de reprendre le contrôle de mes émotions. Les émotions, ce poison mortel qui m'a brisé, en son temps, que je me suis appliqué à museler depuis Ava, jour après jour, me refusant à ressentir quoi que ce soit mis à part du plaisir et de l'autosatisfaction. Et voilà que toutes ces choses affluent de nouveau en moi.
Si ce type l'avait ne serait-ce que touché, j'ignore ce que j'aurais été capable de lui faire. J'avais des envies de meurtre en le regardant agripper le bras d'Annabelle, la retenant dans la voiture. Mais à bien y penser, ce n'est pas envers lui que j'ai ces envies.
Qui qu'ILS soient, quoi qu'ILS aient fait, je voudrais les étrangler de mes propres mains. Ce constat plus que violent me sidère. Je veux tuer ces fils de putes qui lui ont fait du mal, ces monstres que j'imagine investissant son corps, encore et encore, insensibles à ses supplications, à ses larmes et ses hurlements.
Ce n'est pas à elle que j'en veux. Enfin, dans une moindre mesure. Cette prise de conscience m'apaise.
Désormais plus calme, je m'approche. Elle ne pleure pas. Son regard toujours fixé sur ses mains, elle semble attendre une punition, résignée mais terrorisée. Je peux le sentir d'ici. Je ne veux pas lui inspirer de la peur. Bien au contraire.
— Qu'est-ce qui t'a pris, Annabelle ? Pourquoi être montée dans la voiture de ce type ? Tu n'as donc pas conscience de ce qui aurait pu arriver ?
Elle lève son visage vers le mien. J'y lis l'incompréhension. Elle ne se rend même pas compte du danger qu'elle a couru.
— Je voulais partir, m'éloigner de vous tous, il fallait que je parte.
Son ton est misérable. Ses lèvres tremblent. Elle retient ses larmes du mieux qu'elle peut.
— Pourquoi voulais-tu t'éloigner de nous, exactement ?
— Je vous ai entendu vous disputer. Je vous ai entendu parler de ... ça. J'ai entendu ces mots dans ta bouche. J'aurai donné n'importe quoi pour ne pas les entendre, venant de toi. Des autres oui, mais pas de toi. Tu sais des choses que j'aurais tellement voulu que tu ignores. Tu étais la seule personne que je connaisse qui ne me voyait pas comme la victime que je suis aux yeux de tous. Ton regard n'était pas empreint de pitié. Tu me regardais différemment. Tu me voyais vraiment... tu me voyais moi.
J'ai du mal à imaginer ce qu'a été sa vie depuis cinq ans, à quoi ont ressemblé les quelques rapports humains qu'elle a partagés. Je l'ai imaginée inexorablement seule, terrée dans sa chambre d'adolescente, ressassant inlassablement les horreurs du passé. Je n'avais jamais pensé à ce qu'avait pu être le regard des autres.
Je la regarde, vraiment. Je me rends compte que ma manière de la voir a changé, mais pas dans le sens qu'elle imagine.
La toute première fois, je l'ai observée avec envie. Je voulais son corps, l'investir à la hussarde, me repaître d'elle jusqu'à plus soif, lui donner du plaisir et sentir ce plaisir amplifier le mien. J'imaginais son sexe se refermer sur le mien, au rythme de ses orgasmes, me rendant fou de désir, chaque fois un peu plus, jusqu'à une délivrance finale que j'avais imaginée intense et salvatrice. Et puis nous aurions certainement recommencé, encore et encore, parce que je savais que je ne pourrais pas me lasser d'elle aussi facilement.
J'imaginais son corps comme un violon dont j'aurais joué en virtuose, faisant vibrer chacune de ses cordes, lui arrachant les sons les plus beaux, les plus rares, pièce maitresse d'une symphonie à quatre mains, dont j'aurais été le soliste extatique.
Maintenant que je la regarde, du haut de mon calme retrouvé, je vois en son corps une cathédrale. Un lieu de culte que je veux vénérer, honorer, un sanctuaire où mon âme trouvera le repos.
— Je ne te regarde pas différemment ou du moins, si, tu as raison, mais pas comme tu l'imagines, Annabelle.
Elle me fixe de nouveau et je lis à quel point elle me sonde, à quel point elle voudrait y croire mais s'y refuse. Elle attend de moi que je ne vois pas en elle la victime. Mais elle l'est, d'un crime sans nom qui sera puni, d'une manière ou d'une autre, j'en fais le serment. Mais je dois choisir la priorité de mes combats.
Je dois me battre pour elle, parce qu'elle est ma priorité absolue.
Cette révélation me tue. Je pensais que la réparer était mon challenge. Je me voyais en sauveur, victorieux d'un mal que personne n'avait su guérir. Tel Pasteur trouvant le vaccin contre la rage, je me voyais vainqueur des peurs d'Annabelle. Elle redevenait elle-même et retrouvait le gout de vivre. Je la sauvais et j'en étais fier. Et puis quoi, ensuite ? Je la laissais repartir, enfin guérie tandis que je me lançais dans une autre guerre sainte ?
Je n'ai pas la moindre intention de la laisser repartir. Je veux la guérir, parce que je la veux, elle, la totalité de ce qu'elle est, son corps, son âme et son cœur.
Je veux qu'elle m'aime...
Cette révélation me cloue au sol. Je plonge mon regard dans le sien. Je le sais intense, fiévreux, embrasé.
— Non Annabelle, je ne te regarde pas comme une victime, loin de là. Je te regarde comme la femme que tu es, avec tes blessures, j'en conviens, mais je vois tellement d'autres choses en toi. Ce que tu as subi a fait de toi ce que tu es aujourd'hui. Mais qui sait ce que tu seras demain où dans un an ? C'est à toi de le vouloir. Tu peux tout faire, tout espérer, ta vie n'en est qu'à son commencement.
Je m'approche encore, saisis ses mains dans les miennes et lui chuchote :
— Et si tu le souhaites, je serai près de toi, à chacun de tes pas dans cette nouvelle voie.
Je l'attire doucement contre moi et la prends dans mes bras. Sa tête vient tout naturellement se poser contre mon torse, tandis que ses mains hésitent à trouver leur place.
Saisissant sa main droite, je la pose sur mon cœur, tandis que mon nez plonge dans sa chevelure. Elle a cette odeur de miel, de soleil, de printemps et ses cheveux sont incroyablement doux. Un petit coin de paradis en somme.
— Ne fais plus jamais ça, Annabelle. Ne me fuis plus, ne remets plus jamais ta vie en d'autres mains que les miennes, je ne le supporterais pas.
Je suis Greg, je tombe en chute libre dans un piège qui se retournera sans doute contre moi, mais contre lequel je sais, d'ores et déjà, que je ne peux absolument rien.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...