Reprise en main

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Mardi 28 avril 2015

Il est 18 heures 30, et je suis sur le point de quitter le bureau. Cette journée, aussi inutile qu'improductive, me pèse. Comme celle d'hier et la précédente.

Je ne cesse de repenser à Annabelle, recroquevillée sur le brancard, son téléphone serré contre elle, clignotant encore des messages que je lui ai laissés et des appels auxquels elle n'a pas répondu...

Même si cette soirée s'est terminée par la fureur de mon père, les deux heures que j'ai passées près d'elle, à la caresser doucement, me hantent. Ce que j'ai ressenti près d'elle était... nouveau.

La seule femme pour qui j'ai jamais eu des sentiments, c'est Ava. Elle est la seule pour qui j'ai ressenti quelque chose, la seule à qui j'ai eu envie de lier ma vie. Détrompez-vous si vous pensez que notre relation était du type fleur bleu. Pas du tout !

Lorsqu'Ava a débarqué dans ma société, je n'ai plus vu qu'elle. Elle était une énigme pour moi. Elle était forte, indépendante, elle n'attendait pas de moi que je la couvre de cadeaux ou que je lui ouvre la porte au restaurant. Elle était différente. Où que nous allions, elle rentrait la première et tout le monde se retournait sur son passage. Elle était dominante et j'ai dû batailler ferme pour garder mon identité. Nous nous disputions beaucoup. Avec Ava, les disputes entraient dans la catégorie dramaturgie. C'était haut en couleurs, bruyant, à la limite de la violence parfois. Nos caractères si identiques faisaient que, tout à la fois, nous étions insolemment attirés et puissamment réfractaires l'un à l'autre.

Ce cocktail explosif a duré près de deux ans. Elle me fascinait, malgré sa jalousie, ses crises, et ses bravades, mais je la voulais. Je ne voulais qu'elle. Dans mon lit, dans ma vie, à chaque seconde. À bien y réfléchir, avec le recul, je crois que cette histoire autodestructrice me faisait me sentir vivant. Sa flamme me consumait, et j'aimais la douleur qu'elle me procurait.

Ava pensait sexe, vivait sexe, exhalait le sexe. Elle était mon égale, et nous formions un duo explosif. Pas de tendresse avec Ava, mais du grand spectacle. Je raffolais de nos corps-à-corps torrides dont nous sortions rarement indemnes. Je dissimulais sous mes chemises les longues balafres qu'elle m'infligeait, lorsque ses ongles se plantaient dans mes épaules pour descendre jusqu'à mes reins. Je cuisais secrètement des morsures dont elle jalonnait parfois mon corps lorsqu'elle atteignait la jouissance. Ava hurlait pendant l'orgasme et ses cris étaient autant d'aphrodisiaques se déversant dans mes veines. J'adorais ça. J'étais comme drogué par elle.

Tout cela pour dire que je n'ai jamais eu l'occasion d'explorer la palette des sentiments amoureux, tels que la majorité des gens la définissent. Je n'ai jamais regardé une femme en me disant :« Bon sang ! elle est tellement belle, tellement douce, tellement fragile. Je voudrais prendre soin d'elle pour le reste de ma vie ». Ça ne m'est jamais arrivé, jusqu'à l'autre soir, tandis qu'Anabelle dormait et que je caressais sa tempe de mon pouce, dans le box impersonnel d'un hôpital parisien.

*****

Mercredi 23 avril, trois heures du matin...

Après avoir remis mon père à sa place, dans la petite chambre blanche, j'ai regardé Annabelle dormir, juste une seconde, pour me souvenir, et puis j'ai tourné les talons et suis parti.

Tandis que la limousine roulait dans Paris, je songeais à ce que j'avais éprouvé auprès d'elle. Ce besoin de la protéger m'était totalement étranger. Je n'ai jamais imaginé avoir envie de protéger une femme. La séduire, abuser de son corps de toutes les manières que je juge adéquates, la faire jouir et jouir d'elle, oui. Mais la protéger, jamais.

Annabelle éveille en moi des choses que je préfèrerais garder enfouies. J'ignore de quoi il s'agit exactement : de la compassion, de la pitié, de la culpabilité ? Je n'en ai pas la moindre idée...

Tandis que la voiture approche de l'hôtel, je demande au chauffeur de me trouver un endroit où je pourrais prendre un peu de bon temps. Quelques verres, une femme excitante, voluptueuse, et surtout ouverte à toute proposition me permettrait de décompresser. Il faut que je remette les choses à leur place, que je me défasse de ces émotions inconnues qui me polluent la tête. J'interroge le chauffeur qui me propose un club où les femmes sont libérées et où le whisky est à tomber. J'accepte sans hésiter.

Rapidement, il me dépose devant une porte noire, sans signe distinctif ni enseigne.J'y frappe et un gorille de deux mètres de haut et cent vingt kilos l'ouvre. Il hausse un sourcil, je sors ma carte American Express Centurion, nous nous comprenons et je pénètre dans le saint des saints. Simplissime.

Une hôtesse me dirige vers une table légèrement en retrait. C'est parfait. Je vais pouvoir observer sans être vu, recenser les proies possibles, les regarder évoluer dans leur habitat naturel et évaluer leurs aptitudes à satisfaire mes désirs.

Après une vingtaine de minutes à siroter mon whisky, je repère enfin la femme parfaite. Elle est brune, grande, elle a environ vingt-cinq ans, une poitrine opulente et un cul plus que prometteur que l'on devine sous sa jupe ultra courte. Elle a le bon goût de porter des bas de dentelle noire et des escarpins aux talons vertigineux.

Elle évolue sur la piste de danse, lascive et souple comme une liane, ondulant au rythme de la musique qui semble la transcender. Je l'observe tandis qu'elle se dirige vers le bar, d'une démarche chaloupée qui fait tanguer son fessier de gauche à droite, dans un rythme lent et quasi hypnotique.

Assise sur un haut tabouret, elle englobe la salle du regard et s'arrête lorsqu'elle me repère. Je lui souris et lève mon verre. Elle fait de même avec le sien. Après quelques secondes passées à nous dévorer des yeux, elle se lève et s'avance vers ma table. Elle s'installe sur la banquette, près de moi et il ne nous faut pas plus de deux minutes pour nous retrouver collés l'un à l'autre, ma langue contre la sienne, une main sur un sein généreux, l'autre maintenant sa tête dans un baiser enflammé. Ma main caresse son visage, mes doigts maintenant sa nuque. Instinctivement, je pose alors mon pouce sur sa tempe, que je masse d'un mouvement léger. J'observe mon pouce danser sur sa peau, marque un temps d'arrêt, stupéfait, le visage d'Annabelle se substituant soudain à celui de ma brune inconnue. Je me lève d'un bond, laissant ma conquête désemparée, balbutie un semblant d'excuse et fonce vers la sortie.

Je suis Greg Delcourt, coureur de jupons invétéré, addict aux aventures d'une nuit, et je viens de planter là ma proie providentielle. Ce n'est pas d'elle dont j'ai envie. J'ai envie d'une petite brune aux yeux verts et bleus, que je n'aurai jamais.


Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant