Mercredi 29 avril 2015
Je viens à peine d'arriver au bureau lorsque Sabrina se précipite vers moi tenant deux tasses de café et un sac de viennoiseries.
Comme hier et les jours précédents, elle est très légèrement vêtue et maquillée comme une voiture volée. Elle porte un chemisier en voile rouge, noué à la taille pour le raccourcir, une courte jupe portefeuille rouge et noire, des bas résilles noirs et de vertigineux escarpins vernis rouges (Mademoiselle a étudié ses leçons et sait ce que j'aime, visiblement).
Peu habituée aux talons hauts, elle se dandine dans ma direction.
— Je nous ai prévu un petit-déjeuner, Patron. Il faut commencer la journée le ventre plein, c'est ce que m'a toujours dit ma mère.
Elle dispose les tasses grand format et les croissants sur mon bureau, repoussant les quelques dossiers qui y étaient posés et sortant un set de table de je ne sais où, elle nous arrange une petite dînette.
Elle s'installe, les fesses sur le coin de mon bureau, lissant sa mini-jupe sur ses cuisses et, dans un geste totalement anodin, se penche vers moi pour me servir mon café.
La chemise habilement déboutonnée, me donne une vue plongeante sur ses seins, sagement lovés dans un soutien-gorge pigeonnant en dentelle.
— J'ai déjà pris mon petit-déjeuner, Sabrina, lui dis-je en lorgnant sans vergogne dans son décolleté.
Il faudrait vraiment que je songe à la virer et à la remercier comme il se doit...
— Sabrina, j'ai beaucoup de travail, et je pense que vous aussi. Alors, je vous remercie pour le café, mais vous pouvez remballer tout ça.
Un instant, je me demande si je suis en train de parler des viennoiseries ou bien du reste, puis décide de ne pas chercher à connaître la réponse.
— Vous faites attention à votre ligne, c'est ça ? Je ne suis pas étonnée. Vous avez un corps parfait, vous devez faire beaucoup de sport...
J'ai envie de lui dire que je pratique surtout le sport en chambre, au niveau olympique, puis me ravise en songeant à ces huit derniers jours, où j'ai quelque peu négligé l'entraînement.
— En effet, je fais beaucoup de sport, Sabrina, et je vous remercie pour vos compliments qui me vont droit au cœur. Ceci dit, il est temps de nous remettre au travail.
Je m'installe à mon bureau, ouvre un dossier au hasard et m'y plonge, avec un air tellement concentré et professionnel, que l'Oscar du meilleur rôle masculin me semble tout à fait à ma portée.
Sabrina repart bredouille, se dandinant sur ses escarpins en vernis rouge qu'il n'y a pas si longtemps, j'aurais parfaitement imaginés de chaque côté de mes oreilles, délicatement posés sur mes épaules.
Mais je n'ai pas la tête à ça.
À travers la paroi vitrée de mon bureau, que je peux, à volonté, obscurcir, j'aperçois Ava qui observe le petit manège de Sabrina.
Encore loupé, Ava. Tu perds la main !
*****
Deux jours plus tôt...
Je suis en route pour l'aéroport. Je m'envole pour la Chine à 10:30, afin d'y visiter une usine qui, si le contrat de rachat est signé, me permettra de produire moi-même certains composants que j'achète actuellement à prix d'or, en Chine précisément. Cette manufacture réputée, située à Shangaï, a connu de sérieux déboires, après la mort accidentelle de son P.-D.G. Son héritier, totalement incapable de gérer une entreprise de cette dimension, l'a quasiment coulée en moins de six mois, perdant d'importants clients dans le monde entier, licenciant les meilleurs éléments de l'équipe de son défunt père, qu'il ne portait visiblement pas dans son cœur.
Avant même que la déconfiture soit rendue publique, tenu au courant par une indiscrétion au plus haut niveau, je me suis positionné en racheteur potentiel, offrant au fils prodigue un dessous de table plus que généreux. Les affaires sont les affaires.
Installé à l'arrière de la limousine, je consulte mes e-mails, puis, comme je le fais dix fois par jour, je pars à la recherche d'un providentiel sms d'Annabelle. Je veux qu'elle sache que je pense à elle et que je souhaite m'excuser pour mon attitude plus qu'irrévérencieuse. Bien entendu, elle ne répond à aucun de mes messages. C'était à prévoir. Peut-être même n'a t-elle pas son portable avec elle, à la clinique. Je l'ignore et, dans le doute, je lui envoie un message toutes les quatre heures. Tantôt tendre, tantôt drôle, tantôt dirigiste ou paternaliste, parfois même implorant, je déploie toute une palette de textos qui restent malheureusement sans réponse.
J'ai renoncé à l'appeler. Je ne veux pas faire peser sur elle une pression qui pourrait compromettre sa guérison. Bien que la petite demoiselle Maury ne soit rien pour moi, et moi rien pour elle, je ressens malgré tout un besoin compulsif de la savoir en meilleure forme, physiquement et moralement.
Je me creuse la tête, depuis un peu plus de quatre jours, afin de comprendre à quoi l'infirmière de la clinique parisienne faisait allusion en évoquant le « douloureux passé d'Annabelle ».
J'ai échafaudé des théories, multiples, que j'ai soumises à Franck Merlin, afin de lui apporter différentes pistes dans son enquête. J'ai triplé le budget que je lui avais alloué, ai autorisé certains dessous de table, afin d'accélérer les choses et, malgré ses talents multiples, Franck n'a encore rien trouvé de probant.
Depuis que j'ai vu mon père se poser en protecteur d'Annabelle, l'autre nuit, j'en suis venu à me demander s'il ne serait pas à l'origine des actions menées pour enterrer cette histoire. Si tel est le cas, et considérant son immense fortune, il y a fort à parier que ce secret soit enfoui six pieds sous terre, sous des tonnes de béton armé. Mais j'ai moi-même une fortune considérable, et je compte bien mettre au jour ce secret. Je ne suis pas homme à baisser les bras. Je dois, coûte que coûte, découvrir ce qui est arrivé à Annabelle. J'en ai fait mon objectif ultime. D'abord parce que je déteste que l'on me cache des choses, une manie héritée des nombreuses infidélités d'Ava, sans doute. Mais surtout, je sais que je ne pourrai jamais comprendre Annabelle, sans savoir ce qu'elle me cache. Je sens, au plus profond de moi, que je peux faire quelque chose pour elle. Je ne sais pas encore quoi, mais je me sens en quelque sorte investi d'une mission de sauvetage.
« Et après ça, tu nous rediras qu'elle ne représente rien pour toi ! »
En fait, j'ignore ce qu'elle est. Je suis totalement incapable de décrypter les messages que m'envoie mon cerveau, tandis que ceux de mon corps me disent clairement que je la veux, sexuellement parlant. Toutefois, ces signaux n'ont qu'une valeur très relative, si on considère que mon corps me les envoie constamment, depuis des années.
Ce qui change, avec Annabelle, c'est que je ne peux y répondre dans la foulée. Je la veux, mais je ne peux pas l'avoir. Et je veux savoir pourquoi.
Je m'appelle Greg, j'ai vingt-huit ans, j'ai toujours réponse à tout, j'ai toujours une longueur d'avance, et je n'ai pas l'intention de perdre ces règles de vie.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...