Tapie dans l'ombre

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Samedi 9 mai 05 :20

Ils dorment ensemble. Dans le même lit. Ce n'est pas la première fois. Je les ai déjà observés. Lorsqu'elle fait des cauchemars, il vient la rejoindre et la serre contre lui. Mais toujours dans son lit à elle. Cette nuit quelque chose à changé. Elle dort dans ses bras, il la presse contre lui, mais ils sont dans son lit, à lui.

Une rage folle m'envahit à l'idée qu'il puisse partager cela avec elle. Cette petite pimbêche, cette oie blanche est tellement insignifiante. Que peut-il bien lui trouver ?

Il l'entoure de son bras, tandis que l'autre maintient sa tête, d'une légère pression, contre sa poitrine, sa main emmêlée dans ses cheveux en cascade. Elle repose contre lui, sa main droite posée sur son ventre.

A-t-il enfin obtenu ce qu'il convoite ? Et si oui, pourquoi dans son lit et pourquoi est-elle toujours là ?

À bien y regarder, elle n'est pas nue. Elle porte un soutien-gorge. Je ne vois pas le reste de son corps, dissimulé sous le drap, mais j'imagine qu'une petite culotte complète la panoplie. Elle est fille à porter une culotte, peut-être un tanga, mais certainement pas un string. Greg raffole des strings qu'il retire savamment avec les dents. Seules les vraies femmes portent des strings. Des femmes comme moi.

Comment trouve-t-il la force de dormir près d'elle sans même la baiser ? Cela me dépasse. Greg n'est plus lui-même depuis qu'il l'a rencontrée. Il est devenu un agneau, un toutou. Je n'ai rien contre le fait qu'il soit un toutou, tant que je suis la maîtresse qui lui passe son collier.

Je le regarde dormir. Il est paisible, un léger sourire sur les lèvres. On pourrait presque croire qu'il est heureux. Ou bien amoureux. Cette idée me révulse. L'amour tient plus du concept que de la réalité. Je le lui ai mille fois rabâché. N'a-t-il donc pas écouté ?

L'amour est un leurre, un miroir aux alouettes, une chimère qui vous fait vous perdre dans les méandres d'un labyrinthe sans fin, qui vous empoisonne à votre insu et vous détruit aussi sûrement que le ferait la balle d'un revolver, en pleine tête.

Le cœur n'est rien d'autre qu'une pompe qui alimente notre corps en sang et en oxygène. Il n'a pas de fonction mystique, il n'est le foyer d'aucune fonction spirituelle, et si l'on doit rattacher la notion d'amour à l'un de nos organes, je pencherais plutôt pour le cerveau, un cerveau malade et déficient qui diffuse des informations erronées.

Je n'ai jamais cru en l'amour et il n'y croit pas non plus...

Je suis plantée là, dans cette chambre que je connais si bien, où j'ai passé de longues nuits avec Greg. Dans un autre lit. Lorsqu'il m'a chassé de sa vie, il a tout changé : la décoration, le mobilier, les couleurs. Comme si gommer et redessiner pouvait chasser mon souvenir. Je sais que je hante ses nuits, qu'il me désire sans vouloir se l'avouer, que cette course vaine qu'il a entreprise depuis n'a d'autre but que d'aboutir dans mes bras. D'ailleurs, il ne m'a jamais repris les clés de sa villa.

Je me souviens de ses bras puissants, de ses mains brutales qui parcouraient mon corps, je me souviens des lignes de feu que laissait sa langue sur ma peau, de ses cuisses musclées qui écartaient les miennes avant qu'il ne me possède, d'un coup de rein puissant. Il ne s'encombrait pas de préliminaires. Il savait que je n'en voyais pas l'utilité. J'aimais la douleur qui accompagnait cette pénétration brutale, car elle était l'augure de plaisirs insensés.

Je lui ai appris tout ce qu'il sait. Je lui ai appris à me contenter. Moi et personne d'autre. Je l'ai formé à mon image, lui ai donné les clés de mon plaisir et lui ai enseigné ma manière d'appréhender le sexe. Il a aimé ça, il ne peut le nier. Il a aimé n'avoir aucune barrière, aucun tabou, il a aimé ne pas avoir à se retenir, donner la pleine mesure de sa fougue, quitte à me faire mal pour mieux me faire jouir. Je lui ai enseigné la douleur, je l'ai mordu, je l'ai frappé, je l'ai griffé et même parfois fouetté. Chacun de ces châtiments ne faisait qu'exacerber son désir et lorsqu'enfin il s'enfonçait en moi, son excitation à son paroxysme, il me pilonnait sans relâche, enchaînant en moi des orgasmes démesurés qui me faisaient hurler.

La donzelle bouge et je me cache légèrement derrière le paravent. Tout en dormant, elle s'extirpe de ses bras et roule sur le dos, dévoilant à ma vue son petit corps frêle et blanc.

Et puis je les vois. Les marques. Des cicatrices zèbrent son corps, de la poitrine jusqu'aux hanches, peut-être même davantage. Si j'osais...

Je m'approche de l'immense lit où ils reposent et scrute son corps, dans la lumière du petit jour. Lentement, je tire le drap afin de dévoiler ses cuisses fines. Elle porte une culotte, je l'aurais juré. Mais ce n'est pas ce qui attire mon attention. Je découvre chacune des cicatrices qui descendent presque jusqu'à ses genoux. Elles sont vilaines, certaines plus que d'autres. Se les inflige-t-elle à elle-même ? Souffre-t-elle d'un trouble psychiatrique qui la pousse à se faire du mal ?

À bien y réfléchir, elle semble fragile. Chacune des piques que je lui ai administrées, le jour de son entretien, l'a atteint en plein cœur et aujourd'hui, bien qu'elle ait tenté de faire bonne figure, je sais que je l'ai meurtrie bien au-delà de mes espérances.

Les choses n'ont pas tourné à mon avantage, c'est le moins que l'on puisse dire.

Greg Delcourt a montré les crocs, et j'en ai fait les frais. Je n'ai plus de travail. Il m'a éloignée de lui comme un chien qui aurait la rage. Il a fait en sorte que Victor Bergen, pour lequel je grappillais quelques informations, veuille ma tête. Je ne peux plus rentrer aux Etats-Unis sans risquer que ses foudres ne retombent sur moi, de manière expéditive. Il n'est pas homme à faire dans la demi-mesure. Il voudra me faire disparaître.

Je sais que Greg fera en sorte que je ne puisse pas travailler en France, non plus. Bien sûr, il sera généreux et m'attribuera de fortes indemnités, mais, je l'ai compris à son regard, il n'aura pas la moindre pitié.

La seule manière de le ramener à moi est de me débarrasser d'elle. Je dois l'arracher à son emprise.

Sans bruit, je sors mon téléphone portable et, me déplaçant à pas de loup, je prends clichés sur clichés. La laideur de son corps torturé défile sur le petit écran. Des gros plans, des vidéos, je stocke tout ce qui me permettra de la réduire à néant. La qualité est médiocre mais le retouchage des images devrait arranger cela.

J'ai ma petite idée. Si elle est aussi fragile que je le pense, elle ne s'en relèvera pas et choisira d'elle-même de disparaître de la surface de la terre. Greg sera anéanti. Alors je surgirai de l'ombre pour le serrer dans mes bras et apaiser sa douleur.

Je m'appelle Ava Brown, je mène le monde à ma guise et personne ne me dit ce que je dois faire. Je domine et l'on m'obéit. Et lorsque l'on me nuit, je me venge.



Diary of Rebirth Tome 1 : ApprivoiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant