Mardi 28 avril 2015
Ma secrétaire vient de rentrer de déjeuner et me tourne autour. Bien que je chasse rarement sur mon lieu de travail, beaucoup de femmes ont tenté leur chance. J'ai dérogé à la règle avec deux ou trois d'entre elles et les ai virées le lendemain. A chaque fois, la décision de m'en séparer était motivée par leurs piètres résultats professionnels. Mais qui a dit que l'on ne peut pas culbuter une employée que l'on compte remercier ? C'est une sorte de prime de licenciement, après tout.
Si Sabrina m'intéressait ne serait-ce qu'un peu, je pourrais songer à agir de la sorte mais elle ne m'excite pas le moins du monde.
Tout ce qui m'intéresse c'est de savoir comment va Annabelle.
Depuis que je l'ai vue, allongée sur son lit, dans le box des Urgences de la clinique Parisienne, je n'ai eu de cesse de savoir où elle a été transportée et comment elle va.
Si, grâce à Franck Merlin, j'ai très rapidement localisé Annabelle, dès le lendemain, dans une clinique marseillaise, spécialisée dans les troubles de stress post-traumatique, je n'ai toutefois pas pu avoir de ses nouvelles, pas plus que je n'ai pu la voir.
Je suis persona non grata. Des instructions ont été données afin que je ne l'approche pas. Je ne peux même pas poser un pied sur le perron de la clinique, sans que deux gardes du corps, probablement embauchés par mon père, me mettent le grappin dessus et me raccompagnent fermement à ma voiture.
Mme Maury a bien insisté pour que je n'approche pas sa fille. Je ne peux pas lui en vouloir. J'imagine qu'Annabelle lui a tout raconté.
Bien sûr, je me suis comporté comme un crétin, je l'avoue. Non pas que je regrette cette petite partie de jambes en l'air avec Camille. Techniquement du moins. C'était exactement ce dont j'avais besoin : intense, impersonnel, dénué de toute forme de sentiment. Du sexe à l'état pur. Comme je l'aime.
Mais je regrette l'apparition d'Annabelle, je regrette ma joie stupide de la voir plantée là, à nous regarder faire. Je regrette le regard que je lui ai lancé, salace, tout comme le sourire obscène qui a dû défigurer mon visage. Je regrette de lui avoir laissé penser que je suis une sorte de chien en rut, tout juste bon à tirer son coup, entre deux portes, avec une parfaite inconnue.
Je sais qu'elle a été horrifiée. Je sais aussi qu'elle a été affreusement meurtrie, et je déteste repenser à ses yeux éteints et à cette expression sur son visage, comme si j'assistais en direct à la décomposition de son âme.
Je ne crois pas trop en cette notion purement religieuse qui veut que l'âme soit le dépositaire de nos sentiments et de nos émotions, le reflet de notre moi profond, le siège de ce que nous sommes réellement, mais je pourrais jurer qu'Annabelle en avait bel et bien une et qu'elle s'est vaporisée sous mes yeux.
Et si j'ai parfaitement conscience d'avoir provoqué toutes ces choses en elle, je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi Annabelle a-t-elle réagi avec une telle violence à ma farce, aussi stupide et tordue soit-elle ?
*****
Une semaine plus tôt...
Lorsque je pénètre dans le box où a été conduite Annabelle, je reste pétrifié.
Elle est étendue sur un brancard, comme repliée sur elle même, serrant contre elle son téléphone, comme si sa vie en dépendait. Elle est vêtue d'une casaque bleue et recouverte d'un drap blanc. Comme dans mes visions les plus noires, elle est livide. Je l'ai vue blêmir plusieurs fois, mais je ne me souviens pas l'avoir déjà vue aussi blanche, presque transparente, comme si sa peau était soudain devenue aussi fine que du papier à cigarettes.
Elle est allongée sur le côté, face à moi, les jambes recroquevillées contre elle. Son visage et ses lèvres sont du même blanc. On la dirait morte, à dire vrai.
Paniqué, je ressors du box et appelle l'infirmière qui accourt aussitôt.
- Il y a quelque chose qui ne va pas, elle est bien trop blanche, on dirait qu'elle est ...
Professionnelle, Vanessa (son prénom est inscrit sur son badge) vérifie les constantes d'Annabelle.
- Elle va aussi bien que possible. Son pouls est normal et régulier, sa tension un peu basse mais rien d'alarmant.
- Pourquoi est-elle si pâle ?
- Elle est épuisée physiquement et psychiquement. Le psychisme a une influence considérable sur notre corps, vous savez. Plus il est atteint et plus le corps répond à cette souffrance, calquant son rythme sur celui du mental. ! J'imagine que vous avez du la voir ainsi plus d'une fois, à l'époque ?
De quoi me parle t-elle ? Je suis censé comprendre, je suis son frère, alors je dis :
- Oui bien sûr, mais elle allait mieux et j'avais oublié.
- Ce sont des choses que l'on aimerait oublier, je comprends. Mais votre sœur n'oublie pas et il n'a sans doute pas fallu grand-chose pour qu'elle replonge dans les fantômes du passé.
L'infirmière s'éclipse et me laisse de nouveau seul avec Annabelle.
Lentement, je descends la barrière qui la protège, et, sans que je puisse comprendre pourquoi ni m'en empêcher, mon pouce se met à caresser sa tempe, lentement, comme si ce contact pouvait l'apaiser. Je repousse une mèche de cheveux et le replace derrière son oreille. Mes doigts viennent se positionner sur sa nuque, très légèrement, tandis que sa joue repose dans ma paume.
Je veux lui faire du bien, je veux l'apaiser, je veux qu'elle ouvre les yeux et qu'elle voit dans mon regard que je suis sincèrement désolé. Parce que je le suis, vraiment. Les paroles de Vanessa, évoquant un traumatisme dont j'ignore tout, me reviennent en mémoire.
- Que t'est-il arrivé, Annabelle ? Quelle mésaventure as-tu subie qui t'ai marquée aussi profondément ? Quels démons ai-je réveillé en toi ?
Je reste ainsi, un long moment, les yeux rivés sur son visage diaphane, mon pouce passant de son front à ses lèvres blêmes, comme pour les réchauffer.
- Je suis sûre que ce que vous faites la rassure, vous savez ? Vous êtes vraiment très attentionné.
Je ne relève pas la tête vers elle. J'analyse ce qu'elle me dit... Je la rassure... Je suis attentionné... C'est tellement loin de ce que je suis, tout ça. Je ne suis pas tendre. Je suis dur et froid, par nécessité, plus que par goût. Mais c'est ainsi que je suis.
Et pourtant, Annabelle déclenche en moi des choses que je n'arrive pas à analyser. Un besoin de la protéger qui m'était étranger. Est-ce que je ...
- Que fais-tu ici ? Éloigne-toi d'elle immédiatement. Tu ne crois pas que tu as fait assez de mal comme ça ? Il faut encore que tu viennes constater ton œuvre ?
Mon père se tient à l'entrée du box. Il me regarde avec tellement de rage dans les yeux, son visage se crispant dans une grimace de dégoût. Et puis, brusquement, il arrache ma main du visage d'Annabelle, qui gémit et se recroqueville davantage.
- Je crois que c'est toi qui lui fais du mal, pour le moment ! lui dis-je en quittant le box.
Je me nomme Greg Delcourt, aux yeux de mon père, comme à ceux d'Annabelle, je suis une sorte de monstre sans cœur et pourtant, l'espace d'un moment, il m'a semblé le sentir battre dans ma poitrine.
VOUS LISEZ
Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
Lãng mạnAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...