Lundi 13 avril 2015
On a rarement l'occasion de s'amuser dans mon métier, mais aujourd'hui, bon sang, on nage en pleine tragédie grecque.
Lorsque j'ai demandé à Ava de faire l'entretien préliminaire de Melle Maury, j'avais ma petite idée derrière la tête. Ava est une garce, disons-le tout net, une sorte de pitbull en jupons, manucurée, lookée, stylée, toute en jambes, mais un pitbull tout de même.
Je le sais parce que c'est mon ex, et qu'elle m'en a fait baver. Il ne se passe pas une journée où je n'ai pas envie de l'étrangler.
J'ai rencontré Ava il y a sept ans, tandis que mon entreprise négociait son premier tournant difficile. J'avais jusque là surfé sur la vague de l'application de départ, mais il me fallait passer à l'étape suivante, innover, rester au sommet de la vague.
C'est là qu'Ava est intervenue. D'abord pour un projet en duo avec une entreprise américaine basée à Atlanta, dont elle était la principale physicienne en imagerie médicale. Il s'agissait de modélisation 3D du corps humain à partir de clichés radiologiques et d'images numériques, à des fins diagnostiques. Bien que cette technologie soit déjà au cœur des recherches biomédicales, notre projet intégrait la possibilité d'extrapoler les inconnues, deviner ce qui n'était pas visible sur les clichés de départ, en se basant sur ce qui l'était. L'algorithme de modélisation avait été développé par mon entreprise, mais nous avions besoin d'un œil plus technique quant à l'acquisition des images.
Ava a débarqué en France pour deux semaines et n'est jamais repartie. Nous avons vécu une histoire. Celle-ci a pris fin, pas au mieux, soyons clair, mais Ava est restée.
Elle est mon bras droit et est responsable du projet qui continue d'évoluer. Elle le connaît sur le bout des doigts et en est l'une des principales instigatrices. Elle est irremplaçable... à mon grand regret.
Ava aimerait remettre le couvert, mais je m'y refuse. Quand un pitbull plante ses crocs dans votre jambe, il ne vous lâche plus. Ava n'a jamais lâché prise, même quand elle me trompait avec Pierre, Paul ou Jacques, elle gardait ses crocs profondément enfoncés et, putain, ça fait un mal de chien !
Tout ça pour vous dire que je sais à quel point elle peut être mauvaise. Et c'est pour cette raison, que je lui ai mis Annabelle Maury dans les pattes. Pour donner le ton à ma collaboration avec cette jeune ingénue. On m'a peut être forcé la main, mais rien ne m'empêche de jouer un peu, si ?
Quand la jeune Maury a été fin cuite, j'ai pris les rênes. Je voulais qu'Ava la morde, pas qu'elle l'égorge. Je ne suis pas un monstre tout de même.
J'avais prévu des larmes, j'avais imaginé qu'elle s'enfuie pour retourner chez sa mère, j'avais envisagé des bégaiements, je me faisais une joie de voir son petit visage virer au rouge écarlate sous le joug de la honte. Mais je n'avais pas prévu qu'elle me tombe dans les bras. Je suis là comme un con, pressant son joli petit corps tout chaud contre le mien, tandis que je doute qu'elle soit encore consciente.
Quand je l'ai vue vaciller, j'ai envisagé une fraction de seconde de la regarder chuter. Après tout, les tapis sont moelleux, il n'y avait pas grand risque. Et puis, je n'ai pas pu. Après tout, même si je collectionne les femmes comme des bibelots que je range les uns à côté des autres dans le placard après usage, même si les femmes ne m'inspirent rien d'autre que du désir teinté de mépris, je n'en suis pas moins un être humain doté d'une solide éducation.
Je l'ai donc rattrapée. J'ai soulevé son corps léger comme une plume jusqu'à ce que son visage, qui m'était encore inconnu, repose sur mon torse.
Elle est plutôt jolie avec ses longs cheveux bruns qui lui tombent dans le bas du dos, ses grands yeux en amande, d'un vert étrangement piqueté d'éclats bleus, son nez court et délicat, ses lèvres délicieusement ourlées. En fait, elle est bien plus que jolie...
Et puis, elle a levé la tête et elle m'a regardé. Et ce que j'ai lu dans ses yeux, à ce moment précis, m'a bouleversé. La détresse, le désespoir, l'abandon, toutes ces choses que dépeignait son visage n'étaient rien face à la terreur que j'ai lu dans son regard, juste avant qu'elle ne sombre.
Elle ne s'est pas évanouie parce qu'elle faisait une crise d'angoisse. Elle s'est évanouie de peur. Et je n'ai jamais inspiré la terreur à une femme au point de la mettre dans cet état. Et, à cet instant, j'en nourris un profond désarroi. Pour tout dire, je souhaite ardemment lui inspirer le désir, je veux lire dans son regard la passion, la concupiscence, le stupre. Je veux voir ses lèvres si blanches en ce moment, rosir et s'entrouvrir, deviner sa langue chaude. J'imagine la sentir danser avec la mienne, voir son corps s'abandonner contre le mien, ses seins se dresser contre mon torse, deviner sa moiteur tandis que ses cuisses se serreraient l'une contre l'autre, en quête de soulagement.
Mais Annabelle gît, inconsciente, pâle, son petit corps chétif à la peau quasi diaphane abandonné contre le mien, et je me sens paralysé.
Je cherche du regard la méridienne au fond du bureau, soulève Annabelle dans mes bras et l'y dépose délicatement. J'ai peur de la briser tant elle me semble fragile. Je suis tétanisé. Dois-je appeler les secours ? Va-t-elle revenir à elle ?
Ce petit jeu cruel a mal tourné, pourtant, à la base, c'était une idée extrêmement jouissive.
Je me décide à prendre un verre dans le bar et à y verser un peu d'eau fraîche. Dans le cabinet de toilette attenant à mon bureau, j'attrape une serviette sur laquelle je fais couler de l'eau froide et retourne auprès de la belle au bois dormant qui squatte ma méridienne. Je passe un coin de la serviette sur son front, sur ses tempes, tout en l'appelant par son nom.
— Melle Maury... Annabelle... Revenez avec moi. Tout va bien.
Putain ! Je n'excelle pas dans le rôle du prince charmant. Je serais plutôt du type « méchant loup pour chaperon rouge consentant ». Les damoiselles en détresse, c'est pas vraiment mon rayon.
Je tamponne ses lèvres avec la serviette humide, faute d'une autre idée, et elle ouvre subitement les yeux. En faisant d'amples gestes défensifs, elle se recroqueville à l'autre bout de la méridienne en hurlant, le teint livide, non sans avoir renversé le verre que je tenais, inondant du même coup ma chemise hors de prix. Elle me fixe, les yeux écarquillés, les pupilles dilatées, comme si j'allais la dévorer toute crue, son joli petit nez frémissant, ses yeux me jaugeant, puis lâche ses tout premiers mots depuis que je suis entré dans le bureau d'Ava :
— Je suis désolée. Je suis horriblement désolée.
Puis elle jaillit du canapé et s'enfuit du bureau, abandonnant son sac à main et ses escarpins rouges.
Je m'appelle Greg et je viens de terroriser ma futur (ex-) secrétaire... Et, curieusement, je n'en retire aucun plaisir. Mais, putain, qu'est-ce qui cloche chez moi ?
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...