Lundi 4 mai 2015
Faut-il que je sois sacrément tordu pour lui avoir demandé de venir vivre chez moi. Tordu ou bien masochiste. Combien de temps vais-je bien pouvoir endurer sa présence avant d'imploser ?
La question est posée. Suis-je capable de vivre près d'elle sans la toucher, la caresser, la vouloir coûte que coûte, sous moi, autour de moi ? Je n'en ai pas la moindre idée.
Voilà trois semaines que je la connais et que je vis comme un moine, m'imposant une chasteté qui est loin de me ressembler. Je suis un jouisseur compulsif. J'aime le sexe, sous toutes ses formes, comme d'autres aiment la vitesse, l'argent ou bien la drogue.
Depuis que mon chemin a croisé celui d'Ava, il y a sept ans, le sexe est devenu mon obsession. Repousser les limites du plaisir, mon sacerdoce. Elle m'a ouvert les portes d'un monde de volupté, de tourments, de plaisir que je n'avais jamais envisagé auparavant.
J'avais 21 ans, je n'avais pas été particulièrement précoce, goûtant ma première relation sexuelle à 18 ans avec Farah, une étudiante Égyptienne, venue en droite ligne du Caire pour étudier le Français. Nous nous étions rencontrés dans une soirée étudiante, avions flirté quelque temps avant de passer à l'acte, dans la petite chambre mansardée qu'elle louait au prix fort.
Avec Farah, j'avais découvert les joies du sexe oral, exploré les positions de base et d'autres plus exotiques. Son enthousiasme dans ce domaine était communicatif et j'aimais vraiment ces moments passés ensemble.
Mais j'avais d'autres préoccupations à cette époque. J'avais développé une application, dans le domaine biomédical, qui s'était avérée si innovante qu'elle m'avait propulsé dans un monde qui n'était pas le mien. J'entrais dans la cour des grands, décidais de conserver mes droits et de commercialiser cette application par moi-même. C'était le début de l'aventure Delcourt Ingénierie.
Alors Farah a poursuivi sa route et moi la mienne. Il y a eu d'autres filles mais pas LA fille.
C'est trois ans plus tard que ma route a croisé celle d'Ava Brown et que ma vie sexuelle s'est embrasée.
Avec Ava, le sexe avait un goût de fruit défendu. Tout était bon pour grimper au septième ciel, il n'y avait ni tabou ni interdit. Avec elle j'ai découvert la quête du plaisir absolu, le sexe intense, parfois brutal, souvent brutal, mais aussi la notion de douleur qui exacerbe le plaisir. J'adorais tout cela, cette passion folle, ce sexe débridé, sans retenue, cette sensation d'être tout à la fois son maître et son esclave. J'étais aveuglé, incapable de la moindre réflexion la concernant, dans une sorte d'état d'hypnose permanent dont je refusais de sortir.
Il m'aura fallu deux ans pour ouvrir enfin les yeux, pour percer l'épais rideau de fumée qui obscurcissait mon jugement. Il aura fallu Franck Merlin et ses photos, pour me faire redescendre sur terre et comprendre que je n'avais pas l'exclusivité du corps et des talents d'Ava.
Tandis que je regarde Annabelle dévorer le contenu de son assiette, je réalise que je ne sais rien des rapports amoureux « standards ». Pour tout dire, je ne sais rien de l'amour. Je n'ai jamais aimé. Je n'ai jamais expérimenté l'amour d'un couple, pas même dans mon propre foyer.
Ma mère est morte très jeune. Je n'ai pas le moindre souvenir d'elle. Je n'ai pas non plus le moindre souvenir de mes deux parents, ensemble. S'aimaient-ils ? J'imagine que oui. Mon père ne s'est jamais vraiment remis de sa mort. Je l'ai toujours connu taciturne, pensif, triste. Il contemplait souvent ses portraits, disséminés un peu partout dans notre grande maison. Il voulait que je sache combien ma mère était belle et aimante. Nous regardions souvent les quelques vidéos d'elle que mon père conservait comme de précieuses reliques. Ils avaient l'air heureux. Mais qu'est-ce que je peux bien savoir de ces choses-là ?
Non pas que mon père ne m'ait pas aimé. Bien au contraire. Il la voyait en moi et elle m'avait confié à lui. Malgré la tentation, il ne s'était jamais résolu à déléguer à d'autres mon éducation. J'ai eu bien sûr une nounou, comme beaucoup d'enfants de mon milieu. Mon père était un homme d'affaire très occupé, voyageant beaucoup, souvent absent de la maison. Mais il savait aussi nous ménager des moments père-fils qui me sortaient de la solitude dans laquelle je vivais. Il m'a appris à faire du vélo, à pêcher puis à chasser. Il m'emmenait parfois à son bureau, pendant les vacances scolaires et j'y ai fait mes premières armes, assis au bureau, à côté du sien, apprenant la dure loi des affaires.
Antoine et moi avons toujours été très proches, bien qu'éloignés par cette douleur qu'il portait en lui et que je lui rappelais sans cesse.
Il n'y a jamais eu d'autre femme à la maison. Je n'ai pas la moindre idée de ce que sont les rapports amoureux homme-femme, hormis une vision, de toute évidence déformée, découverte à travers les yeux d'Ava et la conviction profonde que l'amour tient plus du concept que de la réalité.
Annabelle me sourit, ses yeux pétillent de gourmandise, tandis qu'elle déguste le tiramisu aux fruits rouges confectionné par Véronique, la femme qui règne sur ma maison, gouvernante, cuisinière, intendante et blanchisseuse tout à la fois.
— Tu as l'air de te régaler, dis-je en souriant devant la petite moustache de mousse rouge qui surmonte sa lèvre supérieure.
Je l'essuie doucement de la pulpe du pouce, que je fourre dans ma bouche, d'un air espiègle.
Elle glousse comme une écolière. Son rire est rafraîchissant
Elle ne m'a toujours pas donné de réponse. Depuis le début du repas, je balance entre l'espoir de la voir dire oui et le souhait, quoique très relatif, de la voir refuser.
Je désire qu'elle accepte parce que je la veux près de moi, pour tout un tas de raisons pratiques mais aussi pseudo-sentimentales que je préfère ne pas identifier, pour le moment.
Mais je redoute aussi cette réponse qui va, je le sais, me plonger dans un monde de tourments intenses. Je vais devoir me contrôler. Je vais devoir apprendre à gérer mes désirs et ses répulsions. J'ai bien conscience des troubles émotionnels qui sont les siens, j'ai conscience de ses peurs, des fantômes qui la hantent. Comment puis-je espérer lui redonner le goût de la vie ? Est-elle en mesure de s'ouvrir au monde et, plus que tout, de s'ouvrir à moi ? Y a-t-il un avenir pour elle et moi ?
— Je crois que j'aimerais bien vivre ici un moment. Crois-tu que tu pourras te conduire convenablement, sur un temps aussi long ?
Elle pose la question sur un ton de défi. Mais ce petit clin d'œil cache une question bien plus importante. Serais-je capable d'avancer à son rythme, de ne pas la solliciter sexuellement parlant, de ne pas la pousser plus loin qu'elle ne pourra le supporter ?
Je me nomme Greg, j'ai 28 ans et je m'apprête à démarrer une aventure inédite, tout à la fois effrayante et enthousiasmante, à la découverte d'Annabelle, à la découverte de moi-même.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...