Jeudi 7 mai 2015 02 :44
Les yeux au plafond, je peine à trouver le sommeil.
Cette troisième journée de travail, près d'Annabelle, a encore été frustrante.
Elle s'est réveillée aussi triste qu'elle s'était couchée, mais surtout résignée. Elle s'est résignée à ce que je ne puisse pas l'aimer. Comment en suis-je arrivé à la laisser imaginer une chose pareil ?
Il faut croire que j'ai le chic pour dire les mauvaises choses au mauvais moment.
Même si elle ne se sentait pas prête à vivre une histoire, je crois qu'elle aimait malgré tout l'idée, et j'ai peur d'avoir étouffé dans l'œuf cette petite flamme. Je le regrette d'autant plus que, bien que je le nie de toutes mes forces, je ressens des sentiments sans cesse croissants pour cette belle jeune femme torturée.
Je n'ai cessé de la regarder aujourd'hui. Je n'ai pas pu me concentrer plus de dix minutes sans chercher à l'observer. J'aime quand elle suçote le capuchon de son stylo et quand elle fait cette moue boudeuse en se concentrant, j'aime sa manière de soupirer d'aise lorsqu'elle avale une gorgée de son café, j'aime qu'elle entortille une mèche de ses cheveux autour de son index, et puis aussi quand elle finit par la glisser derrière son oreille. J'aime chacun de ses gestes les plus anodins.
Tandis que je m'assoupis enfin, je suis tiré de ce demi sommeil par un cri puissant. Son cri. Elle hurle ! NON !! Elle pleure.
Je me jette hors du lit et cours vers sa porte qui ne s'ouvre pas. Annabelle s'enferme, cela fait partie intégrante de son rituel. J'avais oublié. Je retourne jusqu'à ma chambre, récupère le passe qui s'y trouve et finis par entrer.
Je suis frappé par la position de son corps, dans le lit. Il est totalement cabré et ne repose sur le matelas que par ses épaules et ses talons. Le reste est comme en suspension dans les airs.
– Je vous en supplie, non ! Pitié ! NON !
Des torrents de larmes dévalent ses joues, glissant dans son cou déjà inondé. Ses mains sont recroquevillées, ses poignets tordus. Son visage montre, à la fois, de la douleur et de la terreur. Sa respiration saccadée et irrégulière laisse entendre qu'elle manque d'oxygène.
Je me précipite vers elle et, sans réfléchir, la serre contre moi. Elle se débat, ses cris redoublent, elle griffe, frappe, feule. Elle me prend pour son agresseur. Alors je me laisse tomber dans le lit, l'entraînant avec moi. Je l'immobilise, la serrant fermement de mes deux bras.
— NON ! Je vous en supplie, pas ça ! PAS CA !
Ses jambes s'affolent dans une sorte de fuite en avant désordonnée. Je les immobilise des miennes.
— Annabelle, calme-toi. C'est un cauchemar, calme-toi. Je ne vais pas te faire de mal, ma puce.
Elle marque un temps d'arrêt. Ma voix ne colle pas dans le scénario de son cauchemar. J'en profite.
— Tu es en sécurité, tu es chez nous, Annabelle. Tu es dans ton lit, dans mes bras. Je te protège, tu te souviens ? Je te protégerai toujours.
Son corps se détend légèrement, ses gémissements se taisent. Elle tente toujours de se dégager de mon emprise, mais je ne cède pas, c'est trop tôt. Elle lutte encore un moment puis s'affaisse, vaincue, contre moi.
Je desserre alors un peu mon étreinte, dégageant l'un de mes bras. Doucement, je prends sa tête dans ma main, que je positionne comme elle aime. Ma main soutenant sa nuque, mon pouce effleurant son visage.
— Tout ira bien, mon ange. Tout ira bien. Je suis là, je suis près de toi. Il ne peut rien t'arriver.
J'embrasse son front, ses tempes, tout en lui chuchotant des mots rassurants.
Lentement je relâche encore un peu plus ma prise pour que, finalement, elle repose dans mes bras de son propre gré. Elle est totalement éveillée maintenant, ses yeux sont ouverts bien que fixes et ses pupilles fortement dilatées.
— Dis-moi qui était dans ton cauchemar ?
Elle me répond sans la moindre hésitation, comme sous hypnose.
— Moi et Zéro et Blood.
— Est-ce que ce sont leurs vrais noms ?
— Non, je leur ai tous donné un nom.
Tous ? Je frémis.
— Combien de noms as-tu donné en tout, Annabelle ?
— Quatre.
J'ai soudainement l'impression que la totalité de mon sang vient de quitter mon corps. J'ai froid. J'ai aussi envie de vomir. Quatre. Ils étaient quatre.
Elle se blottit contre moi. Prêt à poursuivre l'interrogatoire, je l'observe à la dérobée. Ses yeux se ferment doucement, sa respiration se fait superficielle, son corps est totalement détendu. Elle vient de se rendormir.
Il est 8h15 lorsque nous franchissons les portes de l'ascenseur. Annabelle s'est réveillée à l'heure habituelle, sans difficulté. Elle a semblé surprise de se retrouver dans mes bras et a demandé :
— J'ai fait un cauchemar ?
— Oui, lui ai-je répondu. Tu ne t'en souviens pas ?
— Non, pas toujours. Puis, me dévisageant, elle a ajouté :
— Et toi ? Tu vas bien ?
J'ai fait oui de la tête, totalement abasourdi qu'elle puisse s'inquiéter de moi à un moment pareil. Et puis elle s'est levée et s'est dirigée vers la salle de bain, en prenant bien soin d'éviter mon regard. Elle est mal à l'aise, elle déteste l'idée que j'ai pu la voir ainsi.
Ça n'a pas d'importance. Il y aura d'autres cauchemars et je serai là, de nouveau, pour la protéger.
Cette expérience aussi intense que dérangeante aura eu au moins l'avantage de m'éclairer sur un point vital : la vie est trop courte pour y évoluer en évitant soigneusement ce qu'elle renferme de plus beau. Annabelle est ce que j'ai de plus beau et de plus pur dans ma vie. Elle est mon phare dans l'obscurité. Je l'aime
Cette pensée ne m'a même pas choqué. OK ! Je l'aime.
Elle s'installe à son bureau puis se dirige vers le coin détente nous chercher nos cafés, comme la parfaite petite assistante qu'elle est. Je la regarde s'éloigner avec tendresse.
— On dirait le loup de Tex Avery, ta langue traîne par terre et tu as des yeux de chien battu. Tu es parfaitement ridicule, Greg
Ava se tient à mes côtés, les mains sur les hanches, l'air supérieur.
— C'est d'une vraie femme dont tu as besoin, pas d'une gamine coincée.
Je ne réponds pas, je veux juste qu'elle disparaisse.
— Une vraie femme comme vous, Ava, peut-être ?
La voix d'Annabelle s'élève juste derrière nous.
Elle se dirige d'un pas tranquille vers moi, très près de moi, et me tend mon cappuccino. Je lui souris. Son regard s'illumine.
Et soudain, avec le plus grand naturel, comme s'il s'agissait d'un rituel immuable entre nous, elle se penche vers moi et dépose sur mes lèvres un baiser, léger comme une plume, doux comme la brise et chaud comme un soleil d'été.
— Merci, lui dis-je, à la fois interdit et follement heureux
— Mais de rien, c'est toi qui paie, ce matin.
Avec un clin d'œil, elle se retourne et repart vers son bureau, comme si de rien était.
Je m'appelle Greg, enfin je crois, je ne suis plus trop sûr, une petite sorcière vient de me lancer un sort et tout porte à croire qu'elle vient également de marquer son territoire.
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Diary of Rebirth Tome 1 : Apprivoiser
RomanceAnnabelle Maury a vécu l'innommable. Réfugiée au sommet de la tour d'ivoire dans laquelle elle s'est enfermée, elle n'attend plus rien de la vie. D'autant que les loups rodent toujours... Greg Delcourt est un homme désabusé. Il a perdu confiance e...