54× L'Inconnue

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Je contemplais distraitement le paysage avec ennui. Je soupirai. J'étais postée sur le rebord d'une fenêtre de la salle de réunion des généraux, en plein cœur du palais de Pergame, la capitale de l'Empire de Xeltos. Je venais souvent m'asseoir dans ce coin quand j'avais besoin de réfléchir, ou simplement quand je m'ennuyais.

J'observai distraitement les oiseaux voler, songeuse. La dernière expansion de l'Empire datait de presque un an avec la conquête de l'un des derniers royaumes de l'Est. Mais depuis, il ne s'était rien passé de très palpitant. À vrai dire, je m'ennuyais ferme. Quand l'Impératrice allait-elle se décider à entamer une nouvelle quête de territoires ? Mon corps trépignait d'impatience à l'idée d'enfin retourner sur les champs de bataille et retrouver l'ivresse des combats. Mais plus que de vouloir prouver ma valeur, ou bien même de vouloir voir mon pays natal s'agrandir, je désirais éradiquer la magie. Je ne pouvais supporter l'idée que ses malfaisants détenteurs courent les rues de Xeltos, et même du continent tout entier. J'aspirais à un monde réunifié et paisible où plus personne n'aurait peur pour sa vie.

Quelqu'un frappa soudain à la porte de la salle et m'éjecta hors de mes pensées. Un messager s'invita ensuite à entrer dans la pièce sans pour autant attendre une quelconque réponse de ma part.

- Générale Nyx, des mages du Royaume d'Alanya ont pénétré dans notre territoire ! m'annonça-t-il précipitamment.

- Vraiment ? lâchai-je, étonnée. Dis-moi tout ce que tu sais. Où se trouvent-ils ?

- Ce sont des soldats Alanyiens, plus particulièrement des Lames d'Argent, leurs chevaliers élémentaux. Ils ont envahi notre frontière commune, à l'ouest de Xeltos. Ils avancent à grands pas et auront bientôt réussi à franchir les montagnes qui nous séparent.

Je réfléchis à toute vitesse ; n'avions-nous pas déjà signé un pacte de non-agression avec ce royaume ? Il n'avait pas déjà pu expirer. Alors ainsi, les Alanyiens nous attaquaient de plein gré ? Comment osaient-ils ? Était-ce la guerre qu'ils voulaient nous déclarer ? Dans ce cas, ce ne pouvaient être que de sombres crétins à désirer se frotter à notre empire, car ils ne pourraient que s'y écraser lamentablement.

- Combien sont-ils ?

- D'après nos informateurs, ils seraient environ un peu plus d'une centaine.

Je le dévisageai et le questionnai avec incompréhension :

- C'est tout ?

- Malgré leur sous-nombre, il ne faut pas les sous-estimés. Ils ont la réputation d'être l'une des meilleures armées du continent.

- Je n'ai que faire de ces balivernes. Ce ne sont pas une centaine de chevaliers, si bien entraînés soient-ils, qui vont remporter une bataille contre notre puissante armée !

- Oui, bien sûr générale, je ne peux que respecter la valeur de vos combattants.

- Combien de troupes aptes à partir dès maintenant ai-je à ma disposition ? poursuivis-je en ignorant ses louanges.

- Actuellement, seuls quelques bataillons assignés sont présents à Pergame, dont vos troupes, celles de la vice-générale Náriel et celles du général Veryan. Les autres généraux, quant à eux, sont dispersés aux quatre coins du pays pour régler d'autres affaires en compagnie du plus gros de nos régiments.

- Ce sera amplement suffisant pour anéantir ces mages d'Alanya. Ils vont bien vite regrettés d'avoir voulu pourfendre nos terres.

- Si tout est bon pour vous, je m'en vais prévenir à son tour la vice-générale Náriel.

- Je vais le faire moi-même, l'interrompis-je.

- Bien, il en sera fait comme vous le désirez.

L'homme me salua poliment et repartit de la salle dans une légère courbette. Toujours assise sur le rebord de la fenêtre, je pris une minute pour cette fois contempler l'intérieur de la pièce dans laquelle je me trouvais. Je fixai un à un les emplacements vides des chaises disposées autour de l'immense table qui gouvernait le centre de la salle. Il s'agissait des sept places des six autres généraux et de moi-même, leur chef, la chef des généraux et de toutes les armées de l'empire. J'étais la personne la plus haut placée de Xeltos, après l'Impératrice elle-même. En effet, j'incarnais la justice tranchante de notre peuple, imposant aussi bien le respect à mes alliés que la crainte parmi mes ennemis.
Je soupirai, je ne pouvais que songer que les autres hauts-gradés dispersés dans tout le pays me manquaient terriblement. Après tout, je les considérais comme ma seconde famille.

Je me décidai finalement à quitter la salle de réunion des généraux pour me mettre en quête de mon amie et subalterne Náriel. Heureusement pour moi, j'avais déjà une petite idée du lieu où elle pouvait être. Je pressai le pas dans les couloirs du palais et en descendis les étages jusqu'à parvenir dans l'un de ses somptueux jardins impériaux. Je trouvai aisément la plus jeune des hauts gradés agenouillée devant quelques fleurs rouges. Je m'approchai d'elle calmement. Malgré son grade légèrement inférieur, elle faisait tout de même partie des sept généraux car cette place lui était en effet réservée. En attendant de gagner suffisamment d'expérience, elle demeurait ce qui s'apparenterait à mon élève et bras droit. La fille aux longues ondulations grises me questionna, peu surprise par ma présence et ne se doutant pas encore du motif de ma venue :

- Ces amaryllis viennent d'être plantées ! Ne les trouves-tu pas magnifiques ?

- Oui, tu as raison, elles le sont, confirmai-je dans un léger sourire, amusée par sa candeur.

Je m'assis face à ces fameuses plantes sur un bloc de pierre sculpté. Je posai mon menton sur mes mains jointes et écoutai tranquillement le joyeux chant des oiseaux. Profitant du moment présent, je pris mon temps avant de réengager la conversation. Je ne laissai transparaître aucune émotion dans le son de ma voix pour l'informer brièvement :

- Les Alanyiens nous attaquent.

- Les Alanyiens ? m'interrogea la très jeune femme, quelque peu surprise. Leur royaume nous envoie leurs mages ?

- Exact. Rassemble tes troupes restantes et tiens-toi prête à partir dans quelques heures.

Náriel se releva et me fixa droit dans les yeux. Son expression douce avait été remplacée par un large sourire enjoué et une lueur sanguinaire avait traversé son regard vert. Ma seconde était une guerrière très prometteuse même si je n'aimais pas beaucoup cette soif de sang qu'elle cherchait à satisfaire à travers les batailles.

- Enfin un peu d'action... Je commençais à rouiller ! Je suppose que nous avons à faire aux fameux "Lames d'Argent" ?

J'hochai silencieusement la tête et la jouvencelle s'exclama avec satisfaction :

- J'espère qu'ils méritent leur titre de meilleure armée de mages du continent, même si je sais déjà éperdument que nous sommes les plus forts ! J'aimerais juste que nous ne les terrassions pas trop aisément.

- S'ils sont aussi forts qu'on le prétend, ce seront des adversaires de valeur, affirmai-je en me levant à mon tour.

Pergame, notre capitale, était loin de la frontière commune entre Alanya et Xeltos. Nos troupes mettraient sans doute plus d'une semaine à traverser nos vastes territoires à moins que nous n'allégions drastiquement nos chargements. En effet, nous pourrions gagner un temps considérable. De toute manière, les villes alentours pourraient nous aider en ravitaillement, et puis j'étais convaincue que la bataille serait promptement menée.
En partant, je murmurai pour moi-même, songeuse :

- Les Lames d'Argent...





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Lames d'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant