72× Lacdan Revloz

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Raphaël

Les semaines passèrent et le printemps arriva. Le froid était encore présent mais le soleil baignait désormais l'intérieur des cachots de ces doux rayons. Cet enfoiré de Revloz m'avait battu durant des jours entiers avant d'enfin concéder à me laisser retourner dans les refuges communs aux autres esclaves. Je n'avais pas résisté longtemps sous ses coups avant de le supplier d'arrêter. Il avait beau sembler n'être qu'un beau parleur à première vue, il n'avait pas menti à son confrère : il avait su me procurer une douleur si insoutenable qu'il ferait passer les gardes pour des enfants de chœur.

Depuis, j'étais parvenu à me faire oublier, à rester tranquille pour la première fois. Les gardes pensaient que leur grand patron était à l'origine d'un si gros revirement de comportement de ma part, mais c'était faux. Bien sûr, je vivais à présent dans la crainte de recroiser un jour le chemin de cet homme, mais mon principal objectif était rester le même : m'échapper, et c'était pour détourner l'attention de tous que je me tenais à carreau. J'avais tenté nuit et jour de briser mes chaînes avec tout ce que j'avais pu trouver. Je les avais tant malmenés, à force de hargne et de patience, qu'elles se trouvaient désormais si endommagées qu'elles ne tenaient à presque plus grand chose.
Aujourd'hui serait enfin le jour de ma liberté.

Ce matin, comme tous les autres, les gardes nous emmenèrent aux champs. C'était la saison des récoltes pour des céréales uniques à cette région et mûrs dès le début du printemps. Munis d'une faucille, nous coupions docilement les plants sous les regards inquisiteurs des gardes. J'observai furtivement mes chaînes sans pour autant en négliger mon travail. J'y étais presque. Je jetais parfois des regards en arrière, attentif à chaque aller-retour des patrouilles. Lorsque personne ne m'observait, j'en profitais pour utiliser le tranchant de l'instrument agricole sur mes menottes en espérant voir le dernier bout de métal céder.

Après plusieurs essais, je parvins enfin à séparer la chaîne en deux sous mon propre regard ébahi. Je me retins d'hurler de joie, j'avais tant rêvé de ce moment ! Le cœur battant d'excitation, je continuai à travailler sans broncher malgré mes mains tremblantes, espérant endormir la vigilance des gardes. Après mes chevilles, je me concentrai sur mes poignets pour en faire subir le même sort au métal qui les relie. À force d'acharnement, ceux-ci finirent par céder à leur tour. Je regardai mes membres avec enthousiasme : j'étais enfin libre.

Je lorgnai les alentours, attentif au parcours qu'effectuait chaque garde. Mais je compris bien vite que l'homme à ma gauche ne me laisserait pas filer aussi facilement vers la sortie, il était trop bien placé. Comment allais-je faire ? Je devais me dépêcher d'agir ou bien quelqu'un allait se rendre compte que mes liens étaient rompus. J'observai alors ma faucille qui m'apparut soudain comme une solution à mes problèmes.
Je devais éliminer cet homme et courir le plus vite possible vers la forêt.

Je déglutis difficilement, en étais-je capable ? Quelques semaines de répit semblaient avoir suffi pour guérir mes blessures et j'avais le ventre moins vide qu'auparavant.
J'y arriverais, je le devais.
J'attendis patiemment le bon moment pour agir, celui où l'homme à ma gauche passerait enfin derrière moi.

Maintenant !

Après une courte hésitation, je fis volte-face pour faucher l'une des chevilles du garde du même mouvement mécanique que l'on m'avait appris à exécuter pour couper les céréales de ce champ, même si dans son cas sa jambe n'avait bien évidemment pas cédé au tranchant de la lame vieillie. Il hurla de douleur et s'écroula sur place, alertant de suite tous les autres gardes. Je n'en attendis pas plus pour déguerpir en vitesse. Je m'échappai à toutes jambes en direction de la voie désormais dégagée. Quelques esclavagistes me prirent en chasse en exigeant ma reddition. Une chose était sûre : s'ils parvenaient à m'attraper, j'étais mort. Je redoublai d'efforts, l'adrénaline débordait en moi. Cependant malgré ma peur intense, chaque foulée que j'effectuais était plus agréable que la précédente et avait un goût pétillant de délivrance. Je n'avais pas foulé le sol ainsi depuis des mois. Je courais, oui, je courais !

Lames d'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant