Chapitre 5

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New York City, quartier de Wall Street, 15h08.

               Lorsqu'il revint à lui, Quentin tenta de se rappeler ce qu'il faisait là, allongé sur le sol jonché de gravats, le corps meurtri. L'épais brouillard qui régnait sur le site ne faisait qu'ajouter à sa confusion. Quentin s'assit puis, plongeant dans ses souvenirs, se rappela avoir traversé la rue pour aller déjeuner, comme tous les jours, puis avoir été violemment projeté dans les airs. Ensuite, plus rien, le trou noir.

                Immobile au milieu de ce qui restait de la rue, Quentin tentait de retrouver ses esprits. Seuls l'éclairage des gyrophares et le crépitement des flashes perçaient à travers l'épaisse fumée. Le désordre régnait sur le lieu de l'explosion. Entre les sirènes, les cris des blessés, le brouhaha des curieux et des journalistes, le personnel de secours qui s'affairait, le jeune banquier ne savait plus où donner de la tête. Mais quelque chose n'allait pas. Se concentrant sur l'étrange ballet qui s'opérait devant lui, il comprit. Tout ce bruit semblait lointain. Les sons lui parvenaient étouffés. Au prix d'un douloureux effort, il se remit sur ses deux jambes et se dirigea vers les gyrophares. Il n'avait pas l'impression d'être blessé. Il avait mal partout, mais tout semblait fonctionner correctement. Tous ses os, ses muscles, ses tendons le faisaient malgré tout souffrir à chaque pas. Il ressentait une douleur aiguë allant de l'arrière de son crâne à ses yeux. Le sang battait ses tempes et il avait l'impression qu'on lui enfonçait un pieu dans la tête.

              Lorsqu'il émergea du brouillard, un ambulancier l'aperçut et se précipita vers lui, immédiatement suivi par deux de ses collègues. Il fut transporté vers le centre médical d'urgence installé un peu à l'écart. On le fit asseoir en attendant qu'un médecin soit disponible pour l'examiner.

             Quentin observa alors ce qui l'entourait. Dans le centre médical, ambulanciers, médecins et pompiers s'activaient avec une terrible efficacité, mais semblaient débordés malgré tout. Les blessés affluaient, il fallait définir des priorités. En y réfléchissant, Quentin était content de ne pas faire partie des priorités. Il avait de la chance de s'en être sorti vivant, et sans gros dommages apparents. L'immense chapiteau avait été dressé dos au cordon de sécurité, afin que curieux et journalistes ne puissent pas voir à l'intérieur. De ce fait, Quentin pouvait observer ce qui restait du quartier.

             La première chose qui l'interpella fut cet étrange brouillard. Au départ, il avait pensé qu'il s'agissait de la fumée et du soulèvement de poussière résultant de l'explosion, mais à y regarder de plus près, il était évident que ce n'était pas le cas. Le brouillard avait une véritable consistance et semblait se densifier davantage à chaque minute, bien qu'il fût possible de distinguer toutes les formes à l'intérieur. Il semblait atténuer les sons, mais peut-être cela était-il dû à l'effet de l'explosion sur les tympans de Quentin. S'inquiétant soudainement pour ses collègues de travail, il chercha à visualiser son immeuble dans la brume. Son cœur se figea. Le bâtiment avait disparu.

             Le brouillard semblait encore plus épais à cet endroit, certainement le point d'explosion. L'armée avait pris position tout autour des ruines. Les soldats ne bougeaient pas, se contentant de monter la garde, dos à ce qui était autrefois le New York Stock Exchange. Alors que quelques pompiers s'évertuaient à chercher d'éventuels survivants, les six soldats ne bougeaient pas d'un millimètre. Que protégeaient-ils, il n'y avait rien à voler. Peut-être des indices quant à l'origine de l'explosion, raisonna Quentin. Mais dans ce cas pas besoin de six personnes armées de M16. Tout cela, ajouté à l'étrange sensation qui émanait du site, provoqua une vive inquiétude chez Quentin. Alors qu'il aurait dû être complètement assommé et incapable de réfléchir, jamais il ne s'était senti aussi lucide. Et il avait un mauvais pressentiment.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant