Chapitre 50

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Mercredi 11 décembre, New-York City, dans la matinée.

           Quentin vivait un véritable cauchemar éveillé. Dans chaque recoin, en haut de chaque escalier décrépi, il apercevait des fantômes surgis de son passé, devait lutter contre ses peurs les plus profondes. Il avait l'impression que cela faisait des siècles qu'il était prisonnier de cette obscurité.

           Il se trouvait aux deux tiers d'un immense escalier qui devait faire une vingtaine de mètres de hauteur. Au fur et à mesure de son ascension, tout ce qui se trouvait en contrebas disparaissait dans les ténèbres. Étrangement, plus il montait et plus l'épais brouillard l'enveloppait. A présent, il ne voyait pas plus loin que la personne devant lui, et encore, il n'en distinguait que les contours. La rampe pourrie s'effritait sous ses doigts, et ce qui s'en écoulait faisait atrocement penser à du sang. Sous ses pieds, les marches craquaient, comme s'il piétinait des branchages. Ou bien des insectes. Mais il ne pouvait pas voir ce qui s'y trouvait, il ne distinguait rien en dessous de son nombril.

           Dans sa tête, il ne cessait de se répéter que tout ceci n'était pas réel, que cet escalier ne pouvait pas être vivant, que tout ceci ne pouvait pas exister. Tout à coup, la personne située juste devant lui se jeta dans le vide, sans le moindre cri. Personne ne réagit, pas même Quentin. Il n'avait pas bougé, tout juste surpris par ce geste désespéré. Désemparé l'espace de quelques secondes, il fut horrifié de constater qu'il semblait s'accommoder de ce à quoi il venait d'assister.

           La file recommença à avancer, marche par marche. Quentin posa son pied droit sur la marche suivante et, alors qu'il soulevait sa jambe gauche en prenant appui sur la droite, il sentit quelque chose qui éclatait sous son poids. C'est à ce moment qu'il paniqua. Il retira aussitôt son pied droit, mais son pied gauche glissa sur l'arrête de la marche et il partit en arrière, par-dessus la rambarde. Il se rattrapa à la rampe d'escalier, mais sa main gauche s'enfonça dedans et le liquide répugnant en jaillit. L'intérieur était chaud et une ignoble odeur de putréfaction s'en dégageait. Quentin retira sa main au plus vite et tomba. Par chance, il réussit à se rattraper des deux mains à la marche d'escalier.

           Il était là, suspendu dans le vide, sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas tenir très longtemps, et personne ne semblait faire attention à lui.

           - Au secours ! A l'aide ! Mais bordel, Aidez-moi !!!

           Aucune réaction. Il n'apercevait que les mollets des personnes au-dessus de lui. Tout à coup, il sentit quelque chose ramper sur sa main droite, puis autre chose lui chatouiller la main gauche. Des insectes. C'était des insectes. Il en avait horreur, une vraie phobie. Il devait lutter comme jamais pour ne pas se laisser tomber dans le vide. Il avait la nausée, son corps était parcouru de tremblements. Au même instant, il entendait les voix de son père et de son frère s'adresser à lui.

           - Tu n'es qu'un lâche... tu as abandonné ta famille... tu as amené le malheur autour de toi... égoïste... traître...

           Il allait lâcher, et alors tout serait bien plus simple. Il rejoindrait son père, ou irait en enfer, si l'enfer existait. Oui il existait, il était ici-même, dans cette pièce.

           - L'enfer...

           - Traître... lâche... meurtrier... rejoins-moi Quentin... à quoi cela sert-il de lutter...

           C'est alors qu'il comprit. Tout ceci n'était qu'un test. Chacune des personnes qui pénétrait dans cette salle était mise face à ses plus grandes peurs et à ses pires méfaits. Certains ne le supportaient pas et se jetaient dans le vide, les autres méritaient de continuer.

           Tout à coup, une abominable sensation, qu'il redoutait tant, se fit sentir sur sa main droite. Puis sur son poignet. Et il la vit. Une araignée grosse comme le poing. Depuis sa tendre enfance, il ne pouvait supporter leur vue. Son sang se glaça et, l'espace d'une seconde, il faillit tout lâcher. C'est alors que l'image de sa sœur et de sa mère s'imposa à lui. Il ne pouvait pas abandonner, pas maintenant. Il devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour tenter de les sauver. Il pensa à son frère, Robert. Il ne pouvait pas mourir avant de l'avoir revu. Il en était hors de question.

           Regonflé à bloc, il entreprit de se hisser jusqu'à la rambarde. Malheureusement, il n'en avait pas terminé avec ses phobies. Une dizaine d'araignées et d'insectes en tous genres, tous plus terrifiants les uns que les autres, envahirent ses bras et se dirigèrent vers son visage. Cette fois, il crut que son cœur s'arrêtait. Autour de lui, les voix de sa famille s'intensifiaient.  

           - Traitre... assassin... lâche... tu ne mérites pas de vivre...

           Il n'en pouvait plus, s'imaginant son père sur son lit de mort, la tristesse de sa famille et la haine qu'ils avaient dû ressentir envers lui. Ils avaient raison, il ne méritait pas de vivre. Il devait abandonner.

           - Tu es quelqu'un de bien, Quentin, ne l'oublie pas, et il est toujours temps d'essayer de changer les choses. Je t'aime mon garçon...

           C'était les mots de son père, dans la lettre qu'il avait écrite pour lui. Il ne lui en voulait pas. Il l'aimait.

           - Je t'aime...

           Ces mots résonnaient en lui.

           - ... il est toujours temps d'essayer de changer les choses...

           Sa mère aussi lui avait pardonné. Et sa sœur, Amélie, il la revoyait dans le salon de sa mère, refusant de lui parler. Il devait lui prouver qu'il valait mieux que cela, qu'il pouvait être quelqu'un de bien. Il ne pouvait pas abandonner, pas maintenant.

           - Je n'abandonnerai pas... Vous entendez ? Je n'abandonnerai pas !!! Vous pouvez lancer sur moi tous les insectes de la terre, appeler tous les fantômes que vous voudrez, je n'abandonnerai pas !!!

            Instantanément, un épais brouillard l'enveloppa et il fut propulsé dans le vide. Sous l'effet de la surprise, il hurla. Puis il se tut et ferma les yeux, attendant la mort.


Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant