Chapitre 36

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Washington D.C, quartiers Ouest, 18h15.

          Lucy venait de pénétrer dans un monde de cauchemar. Partout autour d'elle, des hommes, si elle pouvait encore les nommer ainsi, se livraient aux pires atrocités. Ils étaient retournés à l'état sauvage, bien qu'elle n'aurait pas pu affirmer que des sauvages se seraient comportés de cette façon.

           Elle roulait au pas, tentant d'éviter les nombreux débris qui jonchaient la chaussée. Alors qu'elle était concentrée sur un tas de pneus brûlant à une dizaine de mètres de là, elle sursauta. A sa gauche, un groupe venait de fracasser la vitrine d'un magasin high-tech. Ils y entraient en se bousculant lorsqu'un adolescent tenta de les déborder. L'un des hommes le repoussa violemment. Un hurlement de douleur déchira l'air. Le jeune homme venait de s'empaler sur une pointe de verre acérée du bas de la vitrine. Il cria pendant quelques secondes, les yeux suppliants, puis il cessa de bouger, se tut, et sa tête tomba lourdement en arrière.

           Lucy s'était quasiment arrêtée devant la scène, horrifiée. Elle aurait été incapable de dire ce qui l'avait le plus choquée. La mort horrible du garçon, si jeune, ou l'attitude des autres qui passaient à côté de lui complètement indifférents, certains lui marchant même dessus pour entrer dans le magasin. Un nouveau hurlement retentit. Un hurlement de femme. Puis une bagarre éclata dans la rue entre deux voleurs. Ils se battaient pour un ordinateur portable. L'un des deux mit l'autre à terre et commença à le rouer de coup. Un adolescent qui passait par là se joignit à lui, sans aucune raison particulière, excepté celle de se défouler. Une dizaine de secondes plus tard, ils étaient cinq autour du pauvre homme. Lucy était tétanisée, incapable de détourner son regard devant tant de violence, bien que ce fut ce qu'elle désirait le plus au monde.

           Elle sursauta de nouveau, cramponnée au volant. Un homme tentait d'ouvrir la portière de la voiture. Heureusement, elle avait pensé à verrouiller les portes avant d'entrer dans la ville. Elle appuya machinalement sur l'accélérateur, manquant de peu d'écraser un gamin qui s'enfuyait avec un écran de télévision dans les bras. Mais il était devenu impossible d'avancer en voiture à travers cette nuée d'hommes et de femmes qui couraient dans tous les sens et d'éviter les carcasses de voitures brûlées ou défoncées. Lucy pila juste à temps, évitant de rentrer dans un pick-up immobilisé au milieu de la route. Elle poussa un long soupir de soulagement, puis se prit la tête dans les mains pour faire le point, pour trouver un moyen de sortir de ce mauvais rêve.

           C'est à ce moment que la vitre de gauche éclata. L'homme qui avait tenté quelques instants plus tôt d'ouvrir la portière se tenait là, un bloc de pierre à la main. Lucy poussa un cri de stupeur, mais étonnamment, l'homme semblait tout aussi effrayé qu'elle. Il avait les yeux grands ouverts, le regard complètement paniqué.

           - Votre voiture ! Votre voiture j'ai diiiiiiiiit.... Viiiiiiiiite.... !!!!!!

           Sa phrase se termina en un cri strident. Il était complètement fou. C'est au moment où Lucy s'en rendit compte que la panique l'envahit. Son instinct prit les commandes et lui ordonna de s'enfuir, pas question de négocier avec un homme qui avait disjoncté. Elle accéléra si brusquement, sans avoir enlevé le frein à main, qu'elle fit crisser les pneus et qu'une abondante fumée s'échappa de l'arrière de la voiture.

           L'homme eut le réflexe de s'agripper au col de Lucy et commença à l'étrangler. Elle sentait ses doigts puissants bloquer sa trachée, elle suffoquait. Elle tenta bien de se dégager, mais elle était prise au piège. La ceinture l'empêchait de bouger comme elle le voulait, ses jambes étaient coincées sous le volant, et les bras de l'homme la paralysaient. Des tâches blanches vinrent troubler son champ de vision et ses idées se brouillèrent. Elle n'avait presque plus d'air dans ses poumons. Était-ce la fin ? Allait-elle mourir ici, de cette façon ? Des larmes de panique et de frustration roulèrent le long de ses joues. La tentative de viol de Brent, l'attaque du commissariat, la tromperie de James, le jeune homme empalé sur la vitrine, les vols, le lynchage, les agressions, toutes ces horreurs lui revenaient en tête. Cela la rendait furieuse. Pourquoi l'homme réagissait-il ainsi, pourquoi se complaisait-il autant dans le malheur des autres ? Pourquoi cet homme était-il en train de la tuer, elle qui n'avait rien demandé, qui était incapable de faire le moindre mal à quiconque ? C'était trop injuste. Ses yeux se fermèrent doucement. Sa tête commença à basculer sur son épaule droite. Ses bras retombèrent sur le siège.

          Qu'est-ce que c'était ? Sous sa main droite... Le frein à main ? Le frein à main ! Dans un ultime effort, Lucy parvint à débloquer le frein à main et à écraser l'accélérateur. Elle sentit immédiatement la pression des mains de son agresseur disparaître et prit une immense bouffée d'air. L'air chaud lui brûla littéralement la trachée et les poumons. L'arrivée soudaine d'une aussi grande quantité d'oxygène lui provoqua un puissant vertige, alors qu'elle luttait déjà pour reprendre ses esprits et rétablir son champ de vision. C'est alors qu'elle percuta quelque chose et qu'elle sentit la voiture partir en vrille sur la gauche. Elle contre-braqua immédiatement et ouvrit les yeux. Pour voir l'horreur. Elle se dirigeait à pleine vitesse dans la devanture d'un prêteur sur gage. Elle pila tout en braquant à droite au maximum. Mais elle ne put l'éviter. Tout le côté gauche du véhicule s'encastra dans la vitrine dans un vacarme infernal. La voiture traversa entièrement le magasin et vint s'écraser contre le mur du fond. Lucy perdit connaissance.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant