Chapitre 41

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Washington D.C, quartiers Ouest, 7h45.

           Lucy fut réveillée par les rayons du soleil qui réchauffaient sa joue. Restée inconsciente pendant plusieurs heures dans l'habitacle de la voiture, elle avait peu à peu refait surface, alternant des phases de somnolence et d'inconscience, se rappelant vaguement où elle se trouvait et comment elle y était arrivée. Les pires moments avaient été ceux où elle avait somnolé. Elle avait enchaîné les cauchemars, retombant dedans dès qu'elle perdait de nouveau connaissance. Ses rêves n'avaient été qu'un enchevêtrement de cadavres piétinés, d'hommes passés à tabac, de femmes violées, quand ce n'était pas elle qui était agressée. Elle avait revécu le terrible moment où elle avait été confrontée à Brent, de la tentative de viol à la mort de son bourreau.

          Désormais pleinement consciente, elle tentait de s'extirper de sa prison d'acier. Sous une chaleur insoutenable, elle parvint à sortir de l'amas de tôle. Ses cervicales la faisaient atrocement souffrir, de la base du crâne jusqu'à l'occiput. Elle n'aurait pas eu plus mal si elles avaient été constellées de clous. Elle avait l'impression que son cerveau se déchirait. Ses yeux étaient douloureux, ainsi que ses tempes. Elle était prise de vertiges, comme si tout était en train de remuer à l'intérieur de sa tête. Soudain, elle imagina un cuisinier géant lui triturant l'intérieur du crâne. La vision fut suivie d'un terrible élancement. A genoux, elle vomit le peu qu'elle avait dans l'estomac, suivi une impressionnante quantité de bile. Elle n'arrivait pas à s'arrêter et se demanda même si elle n'allait pas régurgiter ses boyaux, si elle n'avait pas été touchée plus profondément qu'elle ne le pensait. Ses craintes ne firent qu'aggraver les choses. Le flot de bile s'accentua et elle s'évanouit, épuisée.

          Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se trouvait sur le trottoir, juste devant la vitrine éventrée du prêteur sur gage. Le soleil était bien plus haut dans le ciel. Elle avait dû ramper sur quelques mètres sans s'en rendre compte. Mais ce qui frappa Lucy à son réveil ce n'était pas le soleil, ni la chaleur étouffante, ni le fait qu'elle était sortie des ruines du magasin sans s'en souvenir, mais l'absence totale de monde.

           Alors qu'il régnait dans le quartier une confusion inimaginable la veille, les rues étaient maintenant entièrement vides. Qu'avait-il bien pu se passer ? Elle se leva douloureusement et se dirigea machinalement vers l'Est. Elle savait qu'elle se trouvait dans les quartiers ouest de la ville et que la Maison Blanche se situait jadis à l'Est de sa position. Où ? Elle ne le savait pas exactement, mais elle pensait bien trouver des indications au fur et à mesure qu'elle s'en approcherait.

           Peu importait la rue qu'elle empruntait, tout était désert. Pourtant, elle savait que la population était toujours là, que la fin du monde n'était pas encore arrivée, puisqu'elle entendait des coups de feu retentir au loin. Sans compter qu'elle avait vaguement aperçu quelques enfants profitant de l'accalmie pour sortir dans les rues, peut-être à la recherche de nourriture.

           Plus elle avançait, et plus elle se faisait une idée exacte sur les évènements qui avaient dû se dérouler cette nuit. Elle avait d'abord croisé plusieurs véhicules appartenant à la police ou à l'armée. Puis, en faisant un peu plus attention, elle remarqua quelques cadavres de soldats et de policiers un peu plus loin, ainsi qu'un nombre plus important de corps de civils. Les forces de police avaient dû intervenir la veille devant la folie grandissante qui régnait dans le quartier. Cela avait dû faire fuir les fauteurs de trouble, mais sans pour autant régler le problème. Les coups de feu réguliers retentissant aux oreilles de Lucy la laissaient penser que ce dernier n'avait été que déplacé.

           Finalement, après de longues heures de marche, elle arriva enfin devant le terrifiant bâtiment. Les vibrations qui se dégageaient du temple la mettaient mal à l'aise. Elle était comme paralysée à la vue de ce qui allait peut-être devenir son tombeau.

           En effet, la foule impressionnante qui attendait de pouvoir pénétrer dans le temple laissait penser qu'elle n'en sortirait pas avant la fin de l'ultimatum, ou alors de justesse. De plus, elle n'avait apporté aucun objet avec elle. Elle y avait beaucoup réfléchi, se demandant ce que pouvait bien rechercher cette entité. Mais, au fur et à mesure de sa réflexion, elle s'interrogea sur la question de savoir si l'humanité méritait de survivre ou non.

           Après tout, elle avait eu sa chance, et n'avait fait que détruire la planète petit à petit, sans se soucier des conséquences, lorsqu'elle n'était pas occupée à se détruire elle-même. Pouvait-il en être autrement ? Pouvait-elle se comporter mieux que ça, ou était-ce inévitable ? Si l'expérience devait être tentée de nouveau, des dizaines de fois, des centaines de fois, l'homme agirait-il autrement ? Pourrait-il chercher la paix, l'harmonie avec la nature, l'élévation spirituelle, la recherche de la connaissance, mais sans but mesquin, égoïste ou destructeur ?

           Alors qu'elle avait tout d'abord été terrorisée à l'idée que tout allait bientôt disparaître, à l'idée qu'elle allait bientôt mourir, elle se demandait maintenant si ce n'était pas finalement la meilleure solution. Ne valait-il pas mieux en terminer dès maintenant, alors même que l'issue paraissait inéluctable ? Il fallait qu'elle sache, c'est pourquoi elle se devait d'entrer dans le temple. Ce qu'elle fit, après avoir regardé, peut-être pour la dernière fois, le magnifique coucher de soleil qui s'offrait à elle.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant