Chapitre 9

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Banlieue de Philadelphie, 19h environ.

           - Tout ça c'est des conneries ! s'écria Jimbo. Des terroristes, mon cul ! Y croient vraiment qu'on va gober ça !

           - Mais tu vas la fermer, Jimbo !

           Al, les yeux brillants, semblait profondément ému par le discours du général. Ancien soldat, grand patriote, il avait adhéré à ses explications. Pour lui, le général McDouglas disait la vérité. Il était le chef des armées, la personne en qui l'on pouvait avoir le plus confiance.

           - Ces enfoirés sont capables de tout ! Nous devons riposter ! Et plus de pitié, nous devons les rayer de la carte une bonne fois pour toute !

           Le visage d'Al n'était plus que haine et folie. Sa bouche formait un horrible rictus. Ses yeux, brûlants et délirants, ressortaient de son visage devenu incroyablement pâle.

           - Il ne faut peut-être pas exagérer...

           C'était le jeune homme en costume.

          - Pardon ?

           Al avait été stoppé net dans son monologue. Ses yeux brillaient de plus en plus. Comment cet avorton pouvait oser le couper et le contredire.

           - Qu'est-ce que t'as dit ?

           Le jeune homme vit bien qu'il avait contrarié le colosse en tablier. Courageusement, il tenta de s'expliquer, tout en ménageant la colère d'Al.

           - Je dis tout simplement que nous ne pouvons pas nous en prendre à des innocents. La principale spécificité des terroristes est qu'ils sont difficiles à dénicher. Sans compter qu'il ne faut pas généraliser, la quasi-totalité des habitants de ces pays n'a rien demandé et aspire seulement à vivre en paix.

            - Mais qu'est-ce que tu me racontes ? Tu es fou !

            Les yeux d'Al n'auraient pas pu s'écarquiller davantage, il était prêt à bondir.

           - Rien à foutre de ces gens ! Y valent pas mieux les uns qu'les autres ! Faut tous les vitrifier ! Au moins on est sûr d'avoir la paix !

            Le jeune homme hésita quelques secondes avant de répondre. Une nouvelle fois, il ne se démonta pas.

            - Je suis désolé, mais je ne suis pas d'accord. Vous ne pouvez pas faire de tels amalgames. C'est comme si, au temps du Ku Klux Klan, on avait dit que tous les américains blancs faisaient partie de cette organisation. Ou bien que tous les allemands soutenaient les actions d'Hitler. Vous savez, c'est avec ce genre de discours que des guerres inutiles se déclarent, et par conséquence que les terroristes existent. Surtout que, comme souvent, il n'y a aucune preuve. Vous avancez des horreurs en mettant dans le même panier des innocents et des terroristes dont on ne sait même pas s'ils sont pour quelque chose dans l'histoire.

            La suite se passa très vite. Al retira le hachoir de son plan de travail et le lança en direction du jeune homme. Sans avoir le temps d'esquisser le moindre mouvement, le hachoir vint se planter droit dans son crâne. Le pauvre homme tenta vainement de porter les mains à sa tête, le regard incrédule, comprenant qu'il allait mourir. Quelques secondes plus tard, il était mort.

            Al ne bougea pas d'un cil, fixant sa victime d'un regard froid, vide de toute compassion, de tout regret. Michael Brady dégaina son arme, les mains tremblantes, et mit Al en joue, lui intimant de lever les mains. Celui-ci s'exécuta sans broncher.

          - Ce pti pédé a que c'qu'il mérite, dit-il d'une voix sereine mais pleine de folie. C'est qu'un lâche et un traître, not' pays a pas b'soin de minables comme ça. Que d'la vermine. Tu vas quand même pas prendre sa défense, Michael ? T'es un bon citoyen toi, hein ?

         - Ça suffit Al, tais-toi ! Tu as le droit de garder le silence, tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi...

         - Toi aussi, alors... reprenant une élocution plus normale. C'est bien plus grave que ce que je pensais... il faut faire quelque chose, et vite... .

          Al se rua sur le policier qui eut tout juste le temps de tirer, atteignant le cuisinier en plein cœur. Il mourut sur le coup.

          Comment la situation avait pu dégénérer à ce point et aussi vite ? Quelques heures plus tôt, chacun suivait sa routine quotidienne. Puis les explosions vinrent changer le cours de leur existence à tous, suivies de l'attente insoutenable du petit groupe dans le snack. Et maintenant deux cadavres gisaient sur le sol en linoléum crasseux. Comment pouvait-on en arriver là, pour si peu ? C'était la question qu'étaient en train de se poser Lucy, Molly, Kate, et l'officier Brady. Kate s'était réfugiée dans les bras de Molly, son mentor, et elles pleuraient toutes les deux à chaudes larmes. Lucy était comme paralysée, les mains sur les tempes. Seul Jimbo ne semblait nullement touché par ce qui venait de se passer. Il se rassit à sa table et termina son hamburger, froid depuis longtemps.

         L'officier Brady rompit l'étouffant silence en demandant à tout le monde de ne pas bouger pendant qu'il se rendait à sa voiture. Deux ambulances arrivèrent un quart d'heure plus tard, ainsi qu'un officier bedonnant, chargé de recueillir les premiers témoignages.

         Une fois sa déposition remplie, Lucy se dirigea vers l'officier Brady.

        - Excusez-moi, y-a-t-il un hôtel dans le coin ?

        Presque immédiatement, Molly, toujours en train de consoler Kate, l'interrompit.

        - Vous pouvez venir à la maison si vous voulez, j'habite à deux pas.

        Lucy, surprise de cette proposition, ne sut pas quoi répondre. Devant son hésitation, la serveuse insista.

        - Cela ne pose aucun problème ne vous inquiétez pas. Mon mari n'y verra aucun inconvénient, et vous pourrez occuper la chambre de Tom, mon fils. Et puis vous n'allez pas rester seule après tout ça !

        Molly avait raison. Lucy était à bout de nerfs. Elle risquait de craquer à tout instant et se sentirait plus tranquille en étant entourée.

        - Vous avez raison mais vous êtes certaine que cela ne dérangera pas votre fils ?

       - Non pas du tout. Tom n'habite plus chez nous, il est parti à l'université depuis deux ans déjà. Vous êtes la bienvenue, vraiment.

        Lucy hésita encore quelques secondes et, épuisée et inquiète à l'idée de passer la nuit seule dans cet endroit, accepta avec gratitude l'invitation de Molly. Une heure et demie plus tard, elle sombrait dans un sommeil profond.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant