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New York City, 9h27.
La veille, la nuit était tombée avant que Quentin ne puisse rejoindre Wall Street. Étant donné le terrible danger encouru en restant dans la rue, il s'était décidé à entrer dans un immeuble afin d'y passer la nuit. Machinalement, il monta jusqu'au quatrième étage et entreprit de frapper aux trois portes du palier, afin de demander l'hospitalité aux éventuels habitants.
Lorsque la première porte s'ouvrit, il se retrouva face à un homme d'une quarantaine d'années, une batte de baseball dans les mains, le menaçant de lui faire exploser le crâne s'il ne déguerpissait pas immédiatement. Quentin ne se le fit pas répéter et dévala les escaliers en trombe.
Il tenta de nouveau sa chance au premier appartement du deuxième étage, mais sans succès. La porte était verrouillée, mais il entendait distinctement les pas et la respiration d'une personne derrière celle-ci. Soit ! Il décida de frapper à la porte d'en face. Aucune réponse. Et, alors qu'il allait frapper de nouveau, il remarqua que la porte était très légèrement entrouverte. Rassemblant tout son courage, il entra. De toute façon, il n'avait pas le choix, il ne tiendrait pas quinze minutes dans la rue.
Finalement, après un tour minutieux du propriétaire, il put constater que l'appartement était vide. Il prit une bonne douche puis, le frigo étant malheureusement vide, alla s'allonger dans le canapé. Il lui fut impossible de fermer l'œil, terrorisé et excité à la fois par ce qu'il allait trouver dans le temple le lendemain. Il mourait d'envie de s'y rendre dès maintenant, mais il n'avait pas d'autre choix d'attendre que le soleil se lève.
Vers huit heures, il sortit de sa cachette afin de rejoindre le temple, il lui fallait à peu près une heure pour l'atteindre. Il marchait prudemment, essayant de ne pas attirer l'attention. Autour de lui, le désordre était indescriptible. Partout, des insultes, des bagarres, des pillages, des rackets, les uns tentant de fuir, les autres rattrapant ceux qu'ils pouvaient, pour leur voler le peu qui leur restait, ou tout simplement pour le plaisir.
Tout en faisant le maximum pour passer inaperçu, Quentin ne pouvait s'empêcher de réfléchir à ce qui se passait. Ces personnes n'avaient plus aucune inhibition, aucun interdit. Alors que la loi ne pouvait plus rien faire et que la morale avait été bannie, leurs côtés les plus sombres se révélaient au grand jour. Les masques étaient tombés.
Il réussit tout de même à rejoindre l'inquiétant bâtiment, là où il se rendait autrefois au travail. Il lui semblait que cela remontait à des décennies. Aussitôt arrivé, sans aucune hésitation, il rejoignit la file d'attente.
Devant lui, une jeune femme avançait tête baissée, tel un robot, le regard perdu dans le néant. Son ami lui frottait machinalement le dos et semblait tout aussi perdu. Tous les deux tenaient un livre dans la main. Un peu plus loin, Quentin put apercevoir un couple de personnes âgées. La femme portait un magnifique coffret à bijoux en bois, tandis que son mari charriait un énorme sac rempli de classeurs. Un homme en costume noir et chemise blanche tenait un vase chinois entre les mains, il semblait très ancien. Quentin s'intéressa à tous ceux qui l'entouraient. Certains portaient des tableaux, d'autres des livres anciens. Beaucoup amenaient des objets qui devaient être dans leur famille depuis plusieurs générations, des bijoux, des montres, des chandeliers. Un vieil homme expliquait à son jeune voisin qu'il amenait une boussole ayant appartenu à son arrière grand-père navigateur. La foule était immense, toutes les couches de la population étaient réunies, sauf les policiers et les militaires, qui surveillaient les abords du bâtiment, et les pompiers, complètement submergés qui tentaient de venir en aide à un maximum de personnes.
Quentin, qui attendait toujours à l'extérieur, demanda au jeune couple devant lui ce qu'il avait amené. La jeune femme lui expliqua qu'elle pensait que l'entité cherchait plus une raison de les laisser en vie qu'un simple objet. Elle comptait lui faire écouter des chansons qu'elle adorait, lui faire partager les émotions que cela pouvait procurer. Son baladeur numérique était rempli de chansons de Bob Marley, Norah Jones, Amy Winehouse ou encore David Bowie. Son petit ami, quant à lui, avait amené un recueil de poésies de Rûmî, son poète préféré. Après une longue attente, Quentin pénétra enfin à l'intérieur de l'entrepôt. Aussitôt, une immense statue vint lui barrer la route. Il n'en croyait pas ses yeux, elle était vivante ! Elle devait faire trois mètres de haut et était entièrement faite de pierre. A l'exception de ses yeux. Ils étaient d'un rouge intense, brillant au fond d'orbites désespérément vides et noires. Elle le scruta de haut en bas, puis le laissa passer.
La salle paraissait immense, toute parée de blanc. Une demi-douzaine de statues s'assurait que tout se passait bien dans les rangs. Les gens avançaient lentement, la tête baissée pour la plupart et les épaules voûtées, tels les morts dans leur marche inexorable vers le puits des enfers. Étrangement, excepté son moral qui vacillait, Quentin se sentait bien physiquement. L'extrême fatigue qui occupait son corps s'était estompée et il ne ressentait aucune douleur. Il n'avait plus faim, ni soif. Bien qu'intrigué, il se dit que c'était tant mieux en vue des longues et difficiles heures qui l'attendaient. Il vérifia sa montre, mais elle ne marchait plus. Il n'avait plus aucune notion du temps et, la pièce n'ayant aucune ouverture, cela ne faisait qu'ajouter à sa confusion. La lumière éblouissante qui éclairait l'endroit sortait de nulle part. Le temps semblait s'être arrêté.
Quentin parvint finalement devant l'entrée de la seconde salle. A l'instant où il se présenta devant la statue postée entre les deux pièces, un coup de feu retentit. Il se retourna et put voir un homme d'une trentaine d'années vider le chargeur de son revolver sur l'une des statues de pierre. Cette dernière ne recula pas d'un millimètre, ce qui fit hurler l'homme de terreur, son cri surpassant ceux de la foule. Il s'enfuit à toutes jambes mais, malheureusement pour lui, un javelot vient lui transpercer l'abdomen alors qu'il tentait de regagner l'entrée. Il hurla de nouveau, mais de douleur cette fois. Puis, à genoux, les mains crispées sur la lance qui le traversait, il contemplait ses intestins jaillissant de son ventre. L'agonie fut de courte durée. Le gardien s'avança vers lui et, sans aucun mot ni hésitation, sortit son épée du fourreau et lui trancha la tête, sous les cris horrifiés de la foule. Ensuite, sans prêter la moindre attention aux réactions qui l'entouraient, le colosse se saisit du corps et de la tête du malheureux, puis se dirigea vers un coin de la pièce, où il disparut.
Alors que l'on aurait pu s'attendre à une émeute à la suite de ce règlement de comptes, il n'en fut rien. Tout le monde avait repris son calme et retournait à ses pensées, comme si rien ne s'était passé. D'ailleurs, peu après, Quentin ne se souvenait que vaguement des faits, il aurait été incapable de décrire la scène si on le lui avait demandé.
La deuxième salle était telle que Quentin avait pu la voir dans la vidéo japonaise à la télévision, tout droit sortie d'un cauchemar. A la place du magnifique marbre blanc recouvrant la salle précédente, il n'y avait là que de la rouille. Plus de lumière étincelante, place aux ténèbres. A chaque pas, Quentin s'attendait à ce que quelque chose lui saute à la gorge, sortant de l'un des recoins sombres. Une immonde odeur de pourriture régnait dans l'air. Un étrange bourdonnement se faisait entendre et, s'ajoutant à cette impression que les murs étaient vivants, Quentin avait la sensation d'être dans des entrailles, les entrailles d'un gigantesque monstre de fer.
Plus personne ne parlait. Le bien-être physique que chacun avait ressenti dans la précédente salle avait disparu. Tous se renfermaient de plus en plus profondément sur eux-mêmes, les cinq sens à l'affût dans cette pesante obscurité. Dans la tête de Quentin, le flot ininterrompu de pensées s'intensifiait. Il se demandait s'il en était de même pour les autres. Et cette peine ? Cette profonde peine qui s'insinuait lentement dans chaque parcelle de son corps, la ressentaient-ils ? Et cette colère ? Cette terrible colère qui grandissait de minute en minute, était-elle présente chez eux ? Certainement. Tout ceci devait avoir un sens, ce n'était pas possible autrement. En tout cas, Quentin devait s'en persuader, sans quoi il n'aurait plus qu'à laisser son esprit sombrer dans les abimes. Le sens de tout cela, la raison, c'était le fil que le reliait encore à la réalité, qui lui permettait de continuer à avancer.
Et il avançait... Lentement... Très lentement... Et à penser...A penser toujours plus...
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Le compte à rebours
ParanormalPartout sur Terre, au même moment, de terribles explosions réduisent en cendres des lieux de forte importance politique, religieuse ou économique. Se pose alors la question de savoir qui en est l'auteur. Aux États-Unis, comme partout ailleurs, c'es...