Chapitre 27

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Appartement de Quentin Falk, Manhattan, New York City, 20h32.

           Quentin n'en revenait pas d'avoir dormi si longtemps. Presque onze heures d'affilée, durant lesquelles il n'avait pas cessé de rêver. Des cauchemars essentiellement. Toujours ces souvenirs d'enfance. Une enfance heureuse, au milieu des siens. Il avait toujours reçu toute l'affection possible de la part de ses parents. Il avait également toujours été très proche de sa petite sœur, Amélie, veillant sur elle constamment. Enfant, il menait une vie simple, aimant jouer dans les bois, dans les arbres, fasciné par la beauté et la diversité que la nature lui offrait. Son passe-temps favori était de s'occuper des animaux. C'était un garçon affectueux, qui aimait donner aux autres. Tout comme son frère, son modèle.

           Il avait toujours admiré Robert, de cinq ans son aîné. Sa sagesse, son assurance, sa générosité, sa bonté. Rien n'était forcé chez lui, il vivait en parfaite harmonie avec lui-même, avec sa nature, ses convictions. Il aurait donné sa chemise pour un inconnu. Il ne supportait pas la misère, l'injustice, n'acceptait pas de voir tout le confort qui lui était réservé, alors que d'autres souffraient tant. Quentin l'admirait tellement. Durant de nombreuses années, il l'avait suivi partout, l'observant, le questionnant, cherchant par tous les moyens à attirer son attention, à recevoir quelques compliments. Son plus grand but dans la vie était que son grand frère soit fier de lui.

           Puis Robert quitta la maison ses dix-neuf ans à peine fêtés. Il s'installa avec plusieurs de ses amis rencontrés lors de manifestations. Contre quoi manifestait-il ? La guerre, l'exclusion, les armes à feu, le nucléaire. Il manifestait aussi pour la protection de la nature, et tant d'autres choses. Dès lors qu'il ne vivait plus sous l'autorité de ses parents, Robert monta d'un cran dans l'activisme associatif, bien que son père ne l'ait jamais freiné, l'encourageant depuis toujours à faire ce pour quoi il pensait être fait. Il ne se contentait plus de manifester, mais rejoignait dorénavant des opérations « commandos », le plus souvent illégales. Il donnait de moins en moins de nouvelles à sa famille et, lorsqu'il venait lui rendre visite, ne partageait plus grand-chose avec Quentin. C'était comme si, à force de se battre à travers le monde pour défendre différentes causes, pour aider tous ceux qui souffrent, il en avait oublié sa famille et même, pensait Quentin, s'était oublié lui-même. Ses parents n'en parlaient jamais, mais Quentin voyait bien qu'ils souffraient énormément de l'absence de leur fils aîné et qu'ils s'inquiétaient pour lui. Malgré tout, ils étaient tellement fiers ! Son père avait les yeux brillants dès lors qu'il parlait de Robert. Mais Quentin lui, ne le trouvait plus aussi exceptionnel. Il l'avait abandonné. Malgré sa promesse de toujours veiller sur lui.

           Il était devenu « celui qui restait ». Son frère avait construit sa vie en suivant son cœur, lui s'était promis de la réussir socialement. Il deviendrait quelqu'un d'important et pourrait subvenir aux besoins de toute sa famille. Jamais il ne les laisserait tomber, lui. Petit à petit, il quitta l'air frais des bois pour s'enfermer dans les livres et devant la télévision. Il était devenu une machine à apprendre, engloutissant tout le savoir qui lui était possible d'ingurgiter.

           Il se détacha de ses amis, n'acceptant que les personnes susceptibles de l'aider à atteindre ses objectifs. Quant aux filles, il ne s'y attardait pas. Une relation amoureuse lui ferait perdre de vue ses objectifs et ne pourrait qu'être une perte de temps, ainsi qu'un risque de souffrance à l'avenir. Malgré tout, pas une semaine ne passait sans qu'il n'appelle ses parents, et pas un mois sans qu'il n'aille les voir. Il était resté très proche de sa petite sœur Amélie même si leur relation était, maintenant qu'il y repensait, devenue superficielle. Comme si cette relation spéciale qu'il entretenait avec elle était acquise, mais qu'elle ne pouvait évoluer. Sa sœur grandissait, devenait plus complexe, vivait des tas d'expériences, mais lui ne la suivait pas dans cette évolution. Et finalement, lorsqu'ils se voyaient, mise à part la joie des retrouvailles, ils n'avaient plus grand chose à se dire. Heureusement il y avait ses parents, à qui il pouvait conter ses divers exploits scolaires ou sportifs. Quant à Robert, ils se croisaient lors des fêtes, quand il daignait venir, et s'envoyaient un mail ou un texto à l'occasion. Mais le lien qui les unissait s'étiolait au fur et à mesure du temps.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant