Chapitre 13

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Appartement de Quentin Falk, Manhattan, New York City, 12h16.

           Quentin avait les traits tirés, le corps meurtri par les contusions et les courbatures. Incapable de se rendormir après son terrible cauchemar, il avait réfléchi, installé sur la chaise longue du balcon, jusqu'au lever du soleil. A en juger par le bruit dans l'immeuble durant la nuit, il n'avait pas été le seul. Tout d'abord persuadé que son imagination lui jouait des tours, la déclaration de ce William Stone devant les caméras ce matin l'avait poussé à tout remettre en question. Puis le discours du général McDouglas avait de nouveau semé le doute dans son esprit, et Quentin essayait depuis de se renseigner par tous les moyens à sa disposition.

           Durant la matinée, les plateaux de télévision analysèrent et discutèrent le discours du général. Les images des villes américaines, asiatiques et européennes touchées par les bombes tournaient en boucle mais pas un mot sur les pays d'Afrique, d'Amérique du Sud ou du Proche-Orient. Quentin s'intéressait beaucoup aux voyages et à la politique internationale et il était abonné à bon nombre de médias étrangers. Lorsqu'il se rendit compte qu'il n'en apprendrait pas plus sur les chaînes américaines, il rechercha les chaînes encore disponibles sur la télévision et internet et put se rendre compte de la situation. Tout le monde était touché, y compris les pays en conflit ouvert avec les États-Unis et leurs alliés. Dans certains pays, comme le Japon, l'Allemagne, la Suède ou le Brésil par exemple, les gouvernements avaient décidé de prendre au sérieux cette histoire de rêve. Les médias relayaient l'information et tentaient d'y trouver une explication. Les responsables de l'état avouaient avoir fait ce cauchemar et demandaient à leurs concitoyens d'attendre encore quelques heures dans le calme. Théologiens, économistes, psychologues y allaient de leur avis, bien que la seule chose à faire fût d'attendre l'éventuelle apparition des temples. Quentin ne bougea pas de son fauteuil de la matinée, les yeux rivés sur les deux écrans, tendu comme une corde de piano. Des crampes d'estomac le sortirent de sa torpeur.

           Il n'avait rien avalé depuis le petit-déjeuner de la veille et se sentait comme lors d'un lendemain de cuite. Il avait la bouche pâteuse, mal aux cheveux, l'impression que le moindre son répercutait un écho disproportionné, et ses muscles étaient aussi toniques que des rouleaux de coton. Les crampes d'estomac s'intensifièrent alors qu'il préparait un gigantesque sandwich poulet, tomates, œufs, salade, moutarde, mayonnaise, le tout accompagné d'un grand verre de coca-cola bien frais. Il posa le tout sur un plateau et se dirigea vers le salon.

           Quentin avait tout d'abord eu l'intention de retourner s'asseoir devant la télévision, mais se ravisa au dernier moment. Après avoir passé la matinée à écouter les mêmes informations en boucle, un peu d'air lui ferait du bien. L'air était encore plus doux que ce matin. Il regarda machinalement le thermomètre accroché au mur et faillit lâcher son plateau. De quatorze degrés la veille, le mercure montait à dix-huit aujourd'hui. Il posa le plateau sur la petite table carrée et s'installa sur une chaise en bois, face à la ville. Des dizaines de questions se bousculaient dans son esprit. Pourquoi faisait-il aussi chaud ? Son cauchemar était-il réel ? Si oui, allait-il se rendre dans le temple et apporter quelque chose pour tenter de se sauver ? Que fallait-il emmener ? Que faisait sa famille à l'heure actuelle ? Comment allaient-ils, tous ?...

           Il avala machinalement une bouchée de son sandwich et le oublia toutes ces questions l'espace d'un instant. Il but ensuite une grande rasade de coca-cola, et il lui sembla que son corps et son esprit réagissaient de nouveau aux stimulations. Comme s'il sortait d'un long coma. Il décida de mettre ses interrogations de côté, le temps de terminer son repas. Mais il n'arriva pas à se débarrasser de l'image de ses parents et de ses frères et sœurs. Depuis combien de temps ne les avait-il pas vus ? Quatre, cinq ans ? Que faisait sa petite sœur maintenant, était-elle mariée, travaillait-elle ? Elle devait avoir environ vingt-cinq ans. Déjà... Tout à coup, il se leva d'un bond et jeta son verre de toutes ses forces contre le mur de la terrasse. Il explosa en mille morceaux et Quentin resta là à regarder les fragments qui jonchaient le sol. Il était essoufflé, comme si le verre pesait dix kilos.

           Après être resté quelques minutes immobile, Quentin releva la tête et se dirigea vers la cuisine pour chercher un balai et une pelle. Il se sentait mieux, mais il avait toujours une boule au creux de sa poitrine. Une boule mêlant tout un ensemble de mauvaises choses qui grossissait de jour en jour et prenait peu à peu possession de son corps et de son esprit. Tel un cancer vicieux développant ses ramifications sans se faire remarquer. Jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant