Chapitre 47

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Pentagone, 18h05.

           La majorité des personnes présentes dans la salle de contrôle attendaient. Après le suicide du général McDouglas, quelques-unes s'étaient enfuies. Durant le court laps de temps entre la mort du général et l'évacuation de sa dépouille, l'amiral Wellington avait naturellement pris les choses en main. Mais à présent, plus rien. Les employés et les militaires encore aptes à travailler s'interrogeaient du regard, attendant les instructions. Mais rien ne venait.

           Une fois libéré, Alan Gates était resté dans le bureau du général McDouglas, tandis que Max Moon était sorti prendre l'air, si air il y avait encore dans la fournaise qu'était devenue la capitale américaine.

           Gates s'était isolé pour faire le point. Depuis le début, il était persuadé que McDouglas était le problème. Mais depuis sa mort, il se rendait compte que rien n'avait changé. Il n'avait aucune idée de ce qu'il fallait faire maintenant. Et visiblement personne ne le savait. En plus, il venait d'apprendre la mort de l'amiral Banks, un ami. Cela achevait de lui mettre le moral à zéro.

           Il fixait intensément la nappe de sang sur le mur. S'il y avait bien un homme sur terre que Gates n'aurait jamais imaginé se suicider, c'était bien McDouglas. Il n'avait pas supporté la vérité. Depuis le tout début il s'était protégé, érigeant de solides remparts autour de son esprit. Il avait été persuadé jusqu'au bout que tout ceci était l'œuvre de terroristes, d'être humains. Gates lui, ne se voilait plus la face depuis bien longtemps. Au tout début, il espérait secrètement que son rival avait raison, mais s'était rapidement fait à l'idée que non. Si seulement McDouglas en avait fait de même, des centaines de milliers de pauvres gens ne seraient pas morts pour rien. Même si, et il en était de plus en plus intimement persuadé, ils seraient morts quoi qu'il arrive.

          On frappa à la porte. Gates sursauta légèrement.

           - Oui.

           La personne qui entra était la dernière personne que Gates avait envie de voir à cet instant. L'amiral Wellington.

           - Bonjour, Général.

          Il ne lui rendit pas son salut.

           - Écoutez, je sais que nous avons eu quelques différends dans le passé, mais il est temps d'enterrer la hache de guerre, vous ne pensez pas ?

           C'était la goutte d'eau de trop, Gates éclata de rire. Visiblement, Wellington s'attendait à tout, mais pas à une telle réaction. Il s'en alla aussitôt.

           - Wellington !

           L'amiral s'arrêta juste devant la porte, toujours dos à Gates.

           - Vous ne manquez pas d'air. Vous avez délibérément pris le parti du général McDouglas, dès le départ, tout en sachant pertinemment de quoi il retournait, et ne me dites pas le contraire. Vous m'avez fait mettre aux arrêts, et vous étiez partisan de la destruction de Las Vegas, alors que contrairement à McDouglas, vous saviez la vérité. Vous avez participé à l'assassinat de l'amiral Banks, alors que vous saviez qu'il avait raison.

           L'amiral Wellington restait de marbre devant ces accusations.

           - Vous êtes un lâche, Peter, certainement le pire qu'il m'ait été donné de rencontrer. Le général McDouglas, lui, a agi par conviction, même s'il se trompait. Vous, vous l'avez suivi aveuglément, dans le seul but d'être du bon côté, du côté du pouvoir, pour votre carrière, ou tout simplement parce que, comme je viens de le dire, vous êtes un lâche. Vous me donnez la nausée. Il ne vous reste plus longtemps à vivre, profitez-en pour vous repentir de vos péchés et tenter d'agir en homme courageux.

           Wellington ne répondit pas, et sortit. Gates avait le cœur qui cognait contre sa poitrine. S'il avait pu se lever, il aurait écrasé ce minable. Et sa rage provenait autant de la haine qu'il ressentait pour cet homme que de son incapacité à sortir de ce maudit fauteuil. La porte s'ouvrit de nouveau. Cette fois, à la vue de la personne qui entrait, il se détendit.

           - Max ! Comment ça va ?

           - Mieux merci, et vous ?

           - Tout va bien, merci. Que comptez-vous faire maintenant ?

           - Je ne sais pas encore. J'hésite. Je pourrais rester ici, ou alors me rendre sur le terrain, voir à quoi je pourrais être utile.

           - Et votre famille ?

           Moon, pour la première fois depuis que Gates le connaissait, sembla désarçonné par le simple fait d'entendre ces quelques mots.

           - Vous savez... Je ne pense pas que ma famille espère que j'apparaisse soudainement.

           - Pourquoi dites-vous cela ?

           - C'est que... Je les ai considérablement négligés depuis plusieurs années. A parcourir le monde, à mener une vie de fouille-merde, on s'éloigne rapidement de ses proches et, à peine vous en êtes-vous rendu compte, qu'il est déjà trop tard.

          - Écoutez Max, je ne connais pas les faits, mais je sais une chose, la famille passe avant tout. Et c'est lorsque vous en avez le plus besoin, lorsque vous êtes complètement aux abois, qu'elle vous tend la main. Alors si je peux vous donner un conseil c'est de retourner auprès d'eux, de ne pas laisser filer votre chance. Et puis, de toute façon, si par miracle nous survivons à tout cela, vous pourrez toujours retourner remuer la merde comme vous le dites si bien.

           - Oui... Vous avez probablement raison. Je n'ai rien à perdre. Merci Général, lui dit-il en avançant la main. Gates serra la main de Moon et l'invita à se diriger vers la porte. Mais Moon retint sa main et, le fixant droit dans les yeux, lui demanda ce qu'il allait faire dorénavant.

           - Je vais rester ici, je ne peux pas abandonner tous ces gens qui eux, restent là, malgré leur famille. Je le dois aussi aux citoyens américains et, devrais-je dire, aux citoyens du monde tout court.

            - Très bien. Je suppose qu'il est inutile de tenter de vous faire renoncer, ou de vous proposer de venir avec moi ?

            Pour seule réponse, Moon eut le droit à un franc sourire.

           - En tout cas, merci pour tout, Général, vous êtes un homme bon.

           - Tout comme vous, Max. On ne se dit pas adieu. Qui sait, peut-être que nous nous reverrons ?

           Moon relâcha la main de Gates et lui sourit à son tour.

            - Vous savez très bien, tout comme moi, que ce ne sera pas le cas. Adieu Alan.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant