Chapitre 8

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Pentagone, Washington D.C (États-Unis), 18h10.

             Sous une chaleur étouffante, chacun tentait de se créer une petite place au milieu de l'amphithéâtre bondé. Alors qu'un léger brouhaha régnait habituellement au début des conférences de presse, on aurait cette fois pu entendre une mouche voler. Tout le monde retint son souffle lorsque Joseph Weatherspoon ajusta le micro. Lui aussi était tendu comme jamais.

             - Bonjour à tous. Je me présente, Joseph Weatherspoon, nouveau porte-parole de la Maison Blanche. Mon prédécesseur, Charles Winkley, est malheureusement décédé dans l'attentat de Washington. Il travaillait dans son bureau au moment de l'explosion. Toutes nos pensées vont vers sa famille qu'il aimait tant.

             Une rumeur parcourut l'assemblée.

            - Il n'est, hélas, pas le seul. Le Vice-président Brown, une centaine de sénateurs, députés et employés sont morts avec lui. Nous vous ferons parvenir une liste, dès que nous le pourrons. Nous souhaitons présenter nos sincères condoléances à toutes les familles des trop nombreuses victimes à travers le pays et le monde tout entier.

             Un journaliste du premier rang leva la main. Le nouveau porte-parole, encore novice dans ce genre d'exercice, et sûrement un peu intimidé lui-même, lui permit de poser sa question.

             - Qu'en est-il du président Blake ?

             Alors que Manning et le général McDouglas retenaient leur souffle en attendant la réponse de Weatherspoon, celui-ci, sans hésiter, sans le moindre clignement de l'œil, répondit le plus naturellement du monde que le président était sain et sauf, et en sécurité.

             - Lors des attaques, monsieur le Président se trouvait à bord d'Air Force One et revenait de son voyage en France. Cela s'est joué à très peu de choses, étant donné que l'Élysée a été complètement détruit, tuant la quasi-totalité du gouvernement français, y compris le président Allard.

             Une nouvelle rumeur parcourut l'amphithéâtre, les journalistes s'échangeant des regards interrogateurs. Puis, une dizaine d'entre eux levèrent la main presque simultanément.

             - Quoi qu'il en soit, nous ne savons toujours pas exactement qui a perpétré ces attentats, enchaîna Weatherspoon, anticipant ainsi les questions des journalistes.

             - Qu'entendez-vous par « pas exactement » Monsieur ? demanda une journaliste du fond de la salle, prenant la parole sans y avoir été invitée.

             - J'entends par là que nous savons de source sûre que les auteurs de ces attentats font partie d'une branche d'extrémistes islamistes particulièrement dangereuse. Ils ont voulu marquer un grand coup en nous frappant durement, nous et nos alliés. Ce groupe possède des moyens considérables et a juré notre perte. Je ne peux vous donner plus d'informations pour le moment, mais nos services sont en train de recouper toutes les pistes et nous serons en mesure de vous en dire plus d'ici demain.

             Puis il se retira sous le déferlement des questions de la foule.

             - Ce ne sont que des mensonges ! Une fois de plus !

             Le silence se fit.

             - Vous êtes une nouvelle fois en train de vous foutre de nous ! Nous exigeons la vérité !

             Un homme corpulent d'une quarantaine d'années, une barbe hirsute jaunie par le tabac, des cheveux plus gris que châtain retombant en boucles sur ses épaules, une casquette rouge vissée sur la tête, portant un vieux jean, une chemise blanche bon marché et une veste de cuir d'un autre temps, s'était levé, visiblement remonté. Il s'agissait de Max Moon, un célèbre journaliste d'investigation très populaire. Il avait de nombreuses fois, ces dix dernières années, dénoncé de graves problèmes dans la gestion du gouvernement américain. Seulement écouté par quelques uns au départ, il avait maintenant une forte influence sur l'opinion publique. Weatherspoon le savait et c'est certainement pour cela qu'il s'arrêta, fixant son interlocuteur avec hésitation. Ce fut le général McDouglas qui le sauva en se levant et en s'emparant du micro.

             - Monsieur Moon, cela faisait longtemps ! Je ne vous laisserai pas insulter notre honnêteté devant des millions de gens, veuillez donc nous exposer ce qui vous fait insinuer de telles choses.

             - Merci de me laisser m'exprimer, mon Général, mais ne jouez pas la victime, cela ne prendra pas, pas cette fois.

             Cela passa inaperçu pour des millions de gens, mais les journalistes situés aux trois premiers rangs purent voir, pour ceux qui y prêtèrent attention, la lueur de colère qui illumina les yeux du général. S'il avait pu tuer Moon, il l'aurait fait sans hésiter, sur le champ.

             - Comment pouvez-vous prétendre qu'un groupe de terroristes, islamiste de surcroît, ait pu mettre sur pied une telle opération ? Tout d'abord, il n'aurait pas eu accès à la plupart des sites attaqués, étant donné la surveillance accrue, et je dirais même exagérée, de ces dernières années. De plus, cela voudrait dire que ces personnes auraient détruit leurs propres lieux de culte et c'est impensable. Et même si vous avez donné l'ordre au différentes chaînes de télévision de trier les images qu'elles diffusent, nous avons tous vu, en début d'après- midi, les images retransmises du monde entier. Tout le monde a été touché.

             Le général n'avait jamais haï quelqu'un plus que Moon à ce moment précis. Pour lui, ce n'était qu'un misérable traître, un amuseur public, un bouffon des temps modernes, n'ayant aucune loyauté, ni aucun dévouement envers son pays, sans lequel il ne serait pourtant rien. Il attendit quelques instants que Moon et la foule se calment, profitant de ce répit pour préparer sa réponse.

             - Cher ami, commença le général d'un ton horriblement condescendant, je sais que nous avons souvent été opposés ces dernières années, mais je vous assure que, cette fois-ci, nous sommes dans le même camp. Notre pays, notre société, le monde tel que nous le connaissons courent un grave danger. Nous ignorons comment ces individus ont réussi à pénétrer dans tous ces lieux, ou même s'ils ont eu besoin de le faire, ni quel genre d'arme ils ont utilisé. La seule chose que nous pouvons affirmer, et ce avec la plus grande certitude, c'est que jamais dans leur histoire, les américains n'ont été à ce point menacés.

             Le général dégageait un tel charisme que tous étaient suspendus à ses lèvres. Les personnes présentes, terrifiées, dans un état de stress extrême, avaient besoin de réconfort et, face à un Moon agressif, le calme du général, son autorité et ses paroles conquirent la foule. Moon, sidéré, se voyait exclu des débats. Bien entendu, la peur engrangeant la peur, les personnes présentes, ainsi que celles qui suivaient la conférence à la télévision ou à la radio, étaient encore plus réceptives aux paroles du général. Elles avaient besoin de lui pour se sortir de ce mauvais pas. Il les rassurait. Il était leur seul espoir.

             - Mes chers compatriotes, mes amis, je vous jure sur mon honneur que nous démasquerons très vite les coupables. Non seulement nous les démasquerons, mais nous les exterminerons. J'ai déjà donné des ordres d'attaque à nos braves soldats qui combattent pour nous dans ces contrées lointaines. Ne craignez rien mes amis, le bien et la justice triompheront une nouvelle fois. La seule chose que vous ayez à faire, vous, c'est de nous apporter votre soutien, et de vous ranger à nos côtés. Nous avons besoin de tout le monde.

             Chose rare, une grande majorité des journalistes présents applaudirent le général. Les flashes crépitaient, l'inondant littéralement, ce qui ne semblait nullement le gêner, tandis qu'il défiait du regard quiconque d'oser l'affronter. Pendant ce temps, personne ne remarqua que Moon avait été évacué discrètement, ainsi que les deux journalistes qui l'entouraient, témoins de la scène.

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant