Chapitre 25

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Salle de réunion, Pentagone, 14h34.

           Le général McDouglas s'était isolé dans son bureau depuis une heure environ, dès le début des émeutes à Washington, New York, Los Angeles et Las Vegas. Différents lieux, mêmes évènements. Les quatre bâtiments avaient été rasés en même temps et étaient réapparu en quelques secondes, entraînant des mouvements de panique au sein de la foule présente. Cette dernière s'était ensuite retournée contre les soldats. Par endroits, le périmètre de sécurité avait cédé, ce qui avait contraint les militaires à employer la force. Pour ne rien arranger, on avait averti le général qu'Alan Gates et Max Moon avaient réussi à s'échapper. Tout allait de mal en pis.

           Le général, prostré sur la chaise de son bureau, suivait les scènes de guerre civile à la télévision d'un air atterré. Une jeune journaliste de NBC se trouvait légèrement à l'écart du National Mall où les affrontements faisaient rage entre une foule toujours plus nombreuse et des soldats débordés. Elle était obligée de hurler pour se faire entendre.

           - A l'heure où je vous parle, la situation a complètement échappé au contrôle de l'armée et nous craignons le moment où les soldats en viendront à ouvrir le feu. De nombreuses personnes ont déjà été évacuées par ambulance, c'est le chaos total ici !

           Au même moment un cocktail Molotov explosa, jeté par un manifestant sur les soldats anti-émeute. La retransmission fut coupée et le journaliste en studio fit son apparition à l'écran,  livide.

           - Des scènes de guérilla identiques ont lieu dans plusieurs villes. Alors qu'elles étaient au départ cantonnées dans les quatre villes où avaient eu lieu les explosions, elles semblent s'être généralisées à l'ensemble du pays.

           Derrière le journaliste défilaient les images des affrontements.

           - A cela s'ajoutent de nombreux pillages et des heurts entre habitants. Les bandes rivales profitent également du chaos pour s'affronter en pleine rue. L'armée semble complètement dépassée et, plus de quatre heures après les faits, il n'y a pas encore eu la moindre communication de la part du gouvernement, c'est le black-out total.

           Devant les scènes de pillage qui apparaissaient à l'écran, le général McDouglas restait de marbre. Pourtant, une fureur tribale montait en lui, provenant du plus profond de ses entrailles.

           - Comment a-t-on pu en arriver là ? dit-il silencieusement pour lui-même, comme si cela pouvait l'aider à y voir plus clair.

           Il avait rarement connu l'échec dans sa vie, pour ainsi dire jamais, et parvenait toujours à ses fins. Mais cette fois, il sentait bien que le vent était en train de tourner. Le déchaînement médiatique s'intensifiait d'heure en heure. De plus en plus d'hommes politiques, de spécialistes et de célébrités en tout genre se suivaient sur les plateaux de télévisions, afin d'avouer qu'eux aussi avaient fait ce fameux rêve et qu'il valait peut-être mieux coopérer.

           - Il semble évident que la majorité des gens veulent que le gouvernement libère l'accès aux temples, expliquait un sociologue très connu.

           - Sans compter que dans bon nombre de pays opposés à cette idée au départ, les gouvernements ont fini par céder afin de calmer la population, renchérit un écrivain tout aussi célèbre.

           Quelle bande de lâches, pensa le général. Ils ne méritent rien de plus que la prison, ou mieux, le bannissement. Il zappa de chaîne en chaîne, sans vraiment regarder ce qui était proposé. Finalement, il s'arrêta sur une chaîne française où était retransmise la vidéo faite la veille par le groupe de reconnaissance. La bande était d'aussi mauvaise qualité que la vidéo japonaise qui circulait sur internet. Tout comme sur cette dernière, la première salle, dans laquelle pénétrèrent les soldats, était entièrement revêtue de marbre blanc. Il y avait aussi les statues géantes et les barrières de métal indiquant le chemin qui menait à une salle plus confinée, couverte de rouille. Le général ne tiquait pas, les yeux rivés sur l'écran. Les soldats entrèrent ensuite un par un dans la dernière pièce, recouverte de marbre noir, à l'exception du plafond, de l'autel, et du trône. Tout comme à Tokyo, une lumière aveuglante jaillit lorsque le premier soldat entreprit de gravir les six marches qui le séparaient du sol.

           Même à travers la lentille de la caméra, le général fut ébloui. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il fut incapable de définir ce qu'il voyait. Des parasites brouillaient l'image. Un géant semblait se tenir devant le trône. Il devait faire presque quatre mètres de haut. Son corps était d'un noir intense et jurait avec l'estrade en marbre blanc. Les images étaient trop mauvaises pour avoir une idée précise de ce dont il s'agissait, mais une chose était certaine, ce n'était pas humain. Il s'adressa au soldat d'une voix monstrueuse. Le général, qui comprenait le français, put ainsi suivre ce qui se passait. Le géant lui avait demandé de jeter ses armes et de reculer, sinon il périrait. Il s'exécuta. Le géant lui demanda ensuite de retourner auprès des autres soldats, afin de les convaincre que la seule façon d'échapper à la mort était de lui apporter une chose très précieuse à ses yeux. Il ajouta que s'ils tentaient d'utiliser la force, ils mourraient. Il ponctua sa phrase par un rugissement à glacer le sang, laissant apparaître une impressionnante rangée de dents aiguisées comme des rasoirs. Le soldat détala sur le champ.

           Bien que la vidéo ait pris fin, le général continuait à fixer l'écran sans rien dire. Son corps s'était figé comme s'il avait été plongé dans une coulée de béton. Si quelqu'un était entré dans la pièce à cet instant, il aurait été incapable de deviner ce qui se passait dans la tête du général. En réalité, seul le chaos y régnait.

           Après tant d'années à obéir à une logique rigoureuse, l'esprit du général était littéralement éclaté par les informations qu'il venait de recevoir. Incapable de les accepter, il tentait par tous les moyens de leur trouver une explication rationnelle. S'il était amené à admettre la réalité des images, le général devrait remettre en question une vie entière, sa vie. Il avait réussi assez aisément à occulter le message télépathique universel, car il ne se souvenait que de bribes d'un étrange rêve. Et il n'était pas surprenant qu'il ait rêvé de pareilles choses après les évènements qui s'étaient déroulés lors de cette journée. Mais cette fois, plus question de faire semblant, il ne rêvait pas. Il lui fallait se rendre à l'évidence, tout ceci était réel. Il avait déjà ordonné de falsifier les bandes vidéos filmées par les soldats américains, extrêmement proches de celle-ci. Il ne pouvait s'agir d'une coïncidence. Alors qu'il n'avait prêté aucune attention à ces dernières lorsqu'il avait vu ses propres soldats se faire massacrer, absorbé qu'il était par ses projets de grande offensive, il ne pouvait plus se voiler la face, cette fois-ci. Tout à coup, il s'affala sur son siège et lâcha la télécommande qui vint se briser sur le sol. Sa tête eut un petit soubresaut et, alors que son corps semblait plongé dans une profonde léthargie, l'expression de son visage changea.

           Pour la première fois depuis bien longtemps, le regard dur et déterminé qui le caractérisait laissa la place à une perte totale d'assurance, mais surtout, à de la peur.

           - Mon Dieu...

Le compte à reboursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant