Chapitre 21 - Writer and reader

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CHAPITRE 21 

Lily n'ouvrit pas immédiatement les yeux. Elle savait qu'elle pouvait mais elle ne le fit pas. Elle avait une idée précise de ce qu'elle voulait comme type de réveil. Sirius lui avait un jour dit qu'une « Drama Queen » sommeillait en chacun d'entre eux. Aujourd'hui, elle était le personnage principal d'une histoire palpitante. Celle d'une fille qui avait été kidnappée, torturée, et qui avait survécu. Elle n'avait eu aucun contrôle sur quoi que ce soit pendant ce qui lui avait semblé une éternité. Mais elle refusait de finir comme ça. Elle serait celle qui choisirait la fin. Elle était la maîtresse de son destin. Et ce qu'elle voulait c'était une fin heureuse. Une fin où, lorsqu'elle ouvrirait les yeux, ce ne serait ni les médecins et leurs diagnostics « plus qu'encourageants », ni Sirius et ses remarques sur sa « sale mine », ou encore Remus qui venait lui lire tous les jours son livre préféré. Ce ne serait pas non plus Peter et ses bouquets de fleurs qui rendaient l'air presque irrespirable dans la petite chambre d'hôpital de Sainte-Mangouste. Ce ne serait pas non plus Alice grondant Frank qui aurait débranché un fil par mégarde et alarmant tout le service qui la croirait morte à cause du long « bip » sur le moniteur. Ils étaient essentiels à l'histoire mais pour le moment, pour cette scène, elle avait besoin du second personnage principal : James Potter.

James qui ne lui avait pas rendu visite une seule fois. Le lâche. À cause de lui, elle ne pouvait pas ouvrir les yeux. Elle devait faire semblant d'être encore trop faible. Elle voulait qu'il vienne. Qu'il s'empare de sa main et qu'il lui dise ce qu'il avait sur le cœur. Comme dans ses romans à l'eau de rose que Marlène lisait secrètement. Elle voulait qu'il se confie à elle pensant qu'elle était inconsciente. Et qu'à la fin il lui dise ce qu'elle voulait entendre. Ces quelques mots qui auraient tout effacé. Les erreurs, la tristesse, la colère et les regrets. Et alors qu'il prononcerait ces fameux mots, elle battrait doucement des paupières et poserait enfin son regard sur lui. La première personne qu'elle verrait en se réveillant. Si tout se déroulait comme ça, alors son cauchemar n'en aurait pas été un. Elle avait imaginé cette scène encore et encore pendant son séjour dans la cave infestée de rats des Lestrange. Elle avait peaufiné chaque détail pour oublier la souffrance que Bellatrix lui infligeait. Elle avait fini par croire qu'elle vivrait assez longtemps pour réaliser ce rêve étrange lorsque Narcissa avait pris le temps de guérir quelques-unes de ses blessures. Cette fin, c'était tout ce à quoi elle s'était raccrochée. Elle voulait l'obtenir. C'était une obsession de son esprit brisé.

Une part d'elle-même savait qu'elle délirait, cette petite voix qui lui disait qu'elle avait besoin de voir un « spécialiste », qu'elle n'était pas une « Drama Queen » mais une personne en plein déni, se raccrochant à une illusion pour ne pas avoir à faire face à la réalité. Une réalité où imaginer n'avait pas suffi à atténuer quoi que ce soit. Une réalité où elle aurait envisagé la mort comme une délivrance. Une réalité où son rêve avait été que tout s'arrête.

Et alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir les yeux, prête à briser la seule chose qui la préservait encore de la folie, il fit son entrée. Si elle avait été une lectrice, elle aurait probablement poussé un cri d'excitation mais elle ne lisait pas, elle écrivait et il fallait qu'elle se concentre pour ne pas tout gâcher. Elle ne bougea donc pas d'un cil lorsqu'il tira la chaise, s'installant à côté de son lit. Il fallait qu'il lui prenne la main sinon personne ne lirait ! Le contact physique dans la littérature sentimentale, c'est essentiel. Mais il ne la toucha pas. Il ne prononça pas un mot. Il était si silencieux qu'elle douta même qu'il soit encore là et entrouvrit un œil pour vérifier. Il la fixait un sourire moqueur aux lèvres. Elle le referma rapidement, se maudissant d'avoir cédé. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et se mordit la lèvre pour retenir ses larmes de honte jusqu'à ce qu'il lui prenne la main. Peut-être n'était-ce pas si mal ? Ce n'était plus aussi cliché après tout. Des livres sur des filles allongées dans une chambre d'hôpital, inconscientes, recevant une déclaration enflammée de leurs amants, il y en avait des centaines. Combien y en avait-il sur une fille qui faisait semblant de vivre ça et se faisait pitoyablement attraper ? Ne pas connaître la suite rendait tout plus intéressant. Elle était impatiente et terrifiée. Si elle avait été une lectrice, elle aurait dévoré ce chapitre pour en connaître le dénouement.

– Evans c'est ridicule... ouvre les yeux, dit-il en riant de ce rire bien trop enfantin qui l'avait fait fondre plus d'une fois.

– Non, répondit-elle dans un souffle, résistant à l'envie de l'écouter.

– Je me moquerai pas, promit-il en riant.

– Suis juste le texte ! dit-elle en serrant les dents.

– Quel texte ? demanda-t-il tout aussi amusé que perdu.

– Dis-moi que tu as quitté Hestia parce que tu t'es rendu compte que c'était moi que tu aimais vraiment ! Dis-moi que tu m'aimes ! Et n'oublies pas de dire mon prénom ! Genre « je t'aime Lily », c'est important pour le dramatique.

Un silence insoutenable suivit sa déclaration. Il devait la prendre au mieux pour une folle et au pire pour une fille incapable de tourner la page, obsédée par une histoire qui n'avait aucun avenir. Elle s'apprêtait à ouvrir la bouche pour lui dire d'oublier tout ça, mais il l'en empêcha en plaquant une main sur sa bouche.

– Chut c'est mon tour, dit-il. Suis le texte, ajouta-t-il entrant dans son jeu, il toussota légèrement pour éclaircir sa voix avant de poursuivre. Je n'ai pas quitté Hestia parce que je suis me suis rendu compte que c'était toi que j'aimais vraiment. Je l'ai quitté parce que j'ai toujours su que c'était toi que j'aimais. Je le savais à onze ans, je le savais quand tu m'as quitté et je le savais quand tu es revenue. Je le savais parce que je ne pouvais pas être amoureux d'elle alors que croiser son regard ne suffisait pas à me faire oublier la raison même de ma propre existence. Alors que son rire ne provoquait pas chez moi une peur irrationnelle à l'idée d'un jour ne plus pouvoir l'entendre. Je ne pouvais pas être amoureux d'elle alors que ça ne me faisait pas mal quand elle pleurait. Je ne pouvais pas être amoureux d'elle alors que sa voix n'était pas capable d'apaiser mes pires angoisses et ne me donnait pas envie d'écouter chaque chose qu'elle avait à me dire. Je ne pouvais pas être amoureux d'elle alors que mon cœur ne se serrait pas lorsqu'elle souriait, respirait, ou même existait. Je ne pouvais pas être amoureux d'elle parce que la seule capable de me faire ressentir tout ça c'est toi. Parce que celle que j'aime c'est toi Evans.

Elle sentit des larmes couler sur ses joues et elle serra un peu plus la main de celui qui venait de surpasser ses rêves et toutes les autres réalités. Elle se fichait de savoir ce que pensaient les lectrices parce qu'en cet instant, elle était l'héroïne la plus heureuse qui ait jamais existé.

– T'es censée ouvrir les yeux, murmura James, ses lèvres frôlant doucement les siennes. C'est écrit dans le texte.

– Quel texte ? répondit-elle, glissant sa main derrière la nuque du garçon, ses lèvres enfin pressées contre les siennes

– Je t'aime Lily, dit-il quand elle le relâcha enfin.

Elle devait respecter sa promesse, il avait dit les mots qu'elle attendait. Elle ouvrit donc les yeux et posa sur lui son regard. Elle en était désormais certaine, elle pourrait écrire la fin qui lui plairait, peu importe ce qui arriverait. L'auteur avait peut-être son mot à dire sur certains événements de sa vie mais elle se réservait le droit de choisir le dénouement de l'histoire.

Holding a Heart - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant