Chapitre 37

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Les résultats furent stupéfiants.

Une fois habillée à la dernière mode dans des vêtements de prix qui n'aurait pas détonné sur le dos d'une richissime lady, on reçut Gaëlle dans chaque officine avec empressement, sourires, thé et petits biscuits en prime.

Elle tint compte des recommandations de Brogan.

– Surtout ne dis pas qu'il s'agit d'argent, lui avait-il conseillé. Tu as entrepris ces recherches car tu veux retrouver ta famille, peut-être des titres de propriétés, dont tu n'as certes pas besoin, mais qui auraient une valeur sentimentale. Et s'ils résistent encore (il est possible qu'ils soient aveugles et confis dans leur bêtise crasse), tu n'auras qu'à leur parler de moi.

– Ça changera quelque chose ? Avait-elle naïvement demandé.

En face de maître Bridge qui rechignait tout de même à perdre son temps pour une jeune femme qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, elle décida de citer négligemment le nom d'Aidan au coin de la conversation.

– Vous connaissez Mister Brogan ? Releva immédiatement le notaire.

– Il est le fils de mon tuteur, je loge chez lui avec tante Honorine en ce moment.

– Je vois. Un homme tout à fait remarquable.

Ce fut proprement miraculeux. Il déploya tant d'enthousiasme à répondre à ses demandes qu'elle en fut presque gênée. Et en fin de compte, elle perdit la moitié de l'après-midi à repousser cet amas de glu.

Si la décence le lui avait permis, le vieil homme l'aurait suivi jusqu'à Theobald's Road.

De retour pour le thé, alors qu'elle lui en servait une tasse, elle expliqua à Aidan sa journée et lui demanda :

– Es-tu si riche que cela ?

– Mmm, marmonna-t-il.

– Plus riche que les Blake ?

Il se rejeta en arrière dans son fauteuil et sembla faire le compte de ses biens un long moment. Puis il reprit la parole.

– Blake achète de la terre dès qu'il en a l'occasion, il est assez vieillot parfois. La terre, à ses yeux, il n'y a que ça de vrai. C'est un trait que l'on remarque souvent parmi la noblesse, leur fortune vient de leurs propriétés en premier lieu, d'une façon ou d'une autre il faut qu'elle y retourne. En ce qui me concerne je n'ai pas ce genre de mécanismes ancrés dans le sang. J'ai quelques immeubles, oui, mais aussi des compagnies commerciales, des parts dans des banques en Europe et aux Amériques. Oui, je suis plus riche que lui, mais je ne suis que le fils d'un obscur bourgeois irlandais catholique, alors il ne serait pas très sage de plastronner trop bruyamment. Je suis très fortuné. On le sait. Je connais quelques nobles. Mon meilleur ami est l'un d'entre eux. Mais je ne serai toujours qu'un parvenu et quand ils regardent mes mains, ces gens-là voient encore la suie que mon arrière-grand-père mineur avait sous les ongles. Malgré tous les notaires sont des gens d'argent alors mon nom peut faire office de sauf-conduit.

***

Quelques jours plus tard, Gaëlle remettait à Aidan les deux piles de courriers journaliers, triés avec soin, classés selon leur importance dans des pochettes de couleurs qui chaque jour se retrouvaient ornées de davantage de fleurs, d'oiseaux et d'animaux griffonnés. Elle poussa un soupir à fendre l'âme, s'assit sur le coin de son bureau, s'empara du crayon de papier qu'il avait dans les mains, sans tenir compte de son regard offensé et ajouta un lapin sautillant sur la pochette de papier bleu la plus proche, elle soupira à nouveau et puisqu'Aidan se contentait de la fixer sans lui poser la moindre question, elle se décida à s'épancher.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant