Chapitre 76 (Partie 1) - À bord de l'Insubmersible

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Alors que l'aînée des Brogan embarquait pour Londres son frère cadet quittait la ville à bord de l'Insubmersible (voilà un nom rassurant), un bateau moderne et rapide, déployant cinquante chevaux vapeur. Le moteur n'était pas le seul à produire de la fumée. D'où il était, Aidan pouvait littéralement en voir sortir des oreilles de Gaëlle qui ruminait en silence (si l'on excluait les soupirs et autres grognements réprobateurs dont elle émaillait de manière régulière la paix de la cabine depuis plus de trois heures). Installée devant le hublot de la cabine pour profiter des derniers rayons du soleil, elle sortait un carnet de son sac y notait quelque chose le rangeait, en faisait émerger un autre, griffonnait un instant, le remisait à son tour, prenait un roman, tentait d'en lire une page mais il ne devait guère la passionner, puisqu'elle le refermait bruyamment et recommençait son manège.

Assis sur le lit, les jambes négligemment croisées, ses bottes toujours aux pieds ce qui lui avait valu une série d'œillades assassines, Aidan suivait du coin de l'œil la jeune femme. Elle était plutôt remontée depuis leur embarquement à destination d'Édimbourg et lui avait clairement fait comprendre, mais il fallait croire qu'elle ne jugeait pas cela suffisant puisqu'elle continuait de ronchonner.

Elle avait du mal à se faire à l'idée qu'Aidan, soit Mr Westcoot pour l'occasion, les ait présentés comme de jeunes époux, n'ayant de fait besoin que d'une seule et unique cabine.

Lorsqu'il avait sous-entendu ce matin même que ce stratagème pouvait être une bonne idée, elle avait cru qu'il plaisantait comme toujours, et qu'il allait les présenter comme frère et sœur.

Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. N'avait-elle pas dit qu'on ne les croirait jamais de la même famille et qu'ils paraîtraient particulièrement louches ?

Il était trop tard à présent pour détromper les gens et ils devaient partager une pièce minuscule. De jour. De nuit.

Si on venait à découvrir qu'ils dissimulaient leurs identités, sa réputation serait perdue à jamais et un mariage avec Nathan deviendrait tout simplement inenvisageable (l'envisageait-elle encore ?).

C'en était trop, elle ne voulait pas remettre en cause tous ses projets d'avenir alors qu'elle était dans un tel état de nerf. Elle avait besoin d'air. Elle ne pouvait plus supporter le bruit de la respiration d'Aidan ou le froissement des pages qu'il tournait. Elle se sentait prise au piège. Elle se leva d'un bond et enfila son manteau.

– Je peux savoir où tu comptes aller jeune fille ?

– Prendre l'air sur le pont.

– La nuit va tomber.

– Raison de plus. Je ne tiendrais pas plusieurs heures enfermées dans ce clapier sans avoir respirer un peu. Sa voix partait dangereusement vers les aiguës.

– Serais-tu nerveuse ? Demanda-t-il, sa bouche tordue par son habituel sourire en coin.

– Non !

– Serais-tu nerveuse, répéta-t-il, à l'idée de partager mon lit cette nuit ?

Le sadique !

Il tapota la place libre à côté de lui et Gaëlle laissa échapper un cri de souris. Aidan rejeta la tête en arrière et partit dans un sacré fou rire qui comme à son habitude se changea dans un pitoyable grognement de cochon.

– Je devrais t'étrangler, tu le mériterais, mais comme il y a de forte chance que tu t'étouffes tout seul...

– Je me moque gentiment rouquine. Je dormirais par terre voyons !

– Par terre !

– J'ai eu des lits moins confortables et moins propres que ce plancher quand je voguais sur l'océan indien.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant