Chapitre 26 - La porte

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Il y avait une surface étrange entre deux piliers.

Cassandre la "percevait", car comme le lui avait expliqué Jordan, elle avait, grâce à ses propres pouvoirs, une sensibilité développée vis-à-vis de ce genre de phénomènes.

Elle avait l'impression qu'une sorte de toile peinte en trompe l'œil avait été tendue sur le mur. Si elle n'y avait pas pris garde, elle serait sans doute passée à côté sans même la remarquer. Mais elle n'était pas immobile, elle tremblait comme secouée par une brise. Parfois elle se tendait, se tordait comme le ventre d'une femme enceinte sous les poings et les pieds de son enfant à naître.

Quand elle partagea cette image perturbante avec le comte, il lui dit qu'elle semblait particulièrement appropriée puisqu'il s'agissait du signe qu'un esprit cherchait à s'échapper des limbes. C'était une sorte de naissance contre nature, ce que pour sa part, contrairement à son beau-père que cela avait l'air d'amuser, elle trouvait très dérangeante.

Pour sa part, son pouvoir étant d'une nature toute autre, Jordan en avait une vision très différente. Il voyait une porte grande ouverte en bronze sculpté très semblable à la représentation qu'en avait fait l'un de ses ancêtres dans le fameux grimoire.

Pas très rassurant.

De quoi perturber pour de bon un jeune garçon impressionnable venant de perdre sa petite sœur pensa Cassandre.

Le livre comptait plusieurs parties. La première expliquait les pouvoirs médiumniques de la famille et comment vivre avec. On y trouvait des conseils techniques allant d'exercices de respirations tenant du bon sens à la façon de positionner son lit. Elle ne se sentait guère concernée mais en y réfléchissant et après quelques expériences, elle pourrait certainement en tirer quelques applications qui seraient utile à un meneur de loups. Elle gardait en mémoire certain comportement de son arrière-grand-père qui pouvaient découler de ce genre de pratiques.

Encore une fois, elle pesta mentalement contre lui. Horos avait été incapable de partager son savoir. Quelques notes auraient pourtant pu être utiles. Après la mort sur le champ de bataille de son fils, il était devenu sauvage et considérait que toute sa lignée était perdue. Son petit-fils incapable de se lier à un animal en avait été la confirmation. Cassandre pensait avoir réussie à susciter le début d'un élan d'intérêt chez lui mais la mort l'avait pris avant qu'il ne se décide à enfin échanger ses secrets. Et voilà le résultat, elle était obligée de faire des suppositions sur son don. Elle et son frère partaient de zéro pour ainsi dire. Contre eux, les hommes en noirs avaient plusieurs longueurs d'avance. Et Arcas devrait peut-être bientôt leur faire face. Sans armes. Sans meute. Et s'en serait fini du nom des Harispe. Elle se replongea dans la lecture, il fallait qu'elle trouve quelque chose. Quelque chose qui leur donnerait une chance.

La deuxième partie du grimoire était de nature plus historique, elle énumérait de matière particulièrement fastidieuse les usages notables qu'avait fait les Blake de leurs pouvoirs et les autres familles surnaturelles qu'ils avaient croisées aux cours des siècles. Ce qui était intéressant, c'est que les Harispe n'étaient pas les premiers meneurs de loups qu'ils avaient rencontrés ; mais la relations des Blake avec cette famille du Dartmoor, les Cabell, n'avaient pas été cordiales, c'était un euphémisme. Ses membres étaient décrits au mieux comme une bande de bouseux, au pire comme de dangereux malades mentaux sanguinaires.

Ces descriptions la firent sourire, car même si les actes que les Blake leurs prêtaient étaient de nature à vous faire dresser les cheveux sur la tête, c'était avec ce même vocabulaire qu'on décrivait les Harispe dans le Lot.

Il y avait aussi certaines allusions écrites par le grand-père de Joshua qui pourraient se révéler importantes. Il parlait d'une femme ayant le pouvoir d'inhiber les dons des autres. Cela ramena la nouvelle Lady Blake des semaines en arrière, à une date qui lui apparaissait déjà incroyablement lointaine. Elle se rappela de cette nuit fatidique et de l'odeur de chair brûlée de son père. Est-ce que l'on parlait dans le grimoire du même genre de capacité que l'homme en noir et aux yeux blancs avait utilisé sur Phinéus ? Était-ce seulement un homme. Avec ce large manteau et ce masque cela aurait tout aussi bien pu être une femme de haute taille. Cela élargissait le champ des possibles et la fit enrager. Il y avait une date : le 13 Janvier 1805 et un lieu à Londres près de Highgate au Spaniards Inn, c'était bien vague mais cela vaudrait la peine de fouiller.

La troisième partie du grimoire était consacré aux potions, celles qui aidaient les pouvoirs de médium, les calmaient, les augmentaient. Elle eut un frisson en voyant que certaines contenaient de l'aconit : la fleur tue-loups, une des rares choses qu'Horos leur avait enseigné à son frère et elle, c'était que cette plante était pour eux un poison mortel même en très faible quantité.

La dernière partie concernait les incantations. Jordan lui montra celles que Noémie avait certainement combinées pour ouvrir la porte. Elle comprenait mieux pourquoi il lui avait dit qu'il lui était impossible de savoir ce qui avait été fait, chacune faisait plusieurs pages et nécessitait d'être accompagnées de gestes complexes. Comment un petit garçon se relevant à peine d'une maladie qui avait failli le tuer avait-il réussi à les lancer ? Cela avait dû nécessiter des heures entraînements, avec sa mère qui le poussait à toujours aller plus loin. Elle savait que la comtesse avait été guidée par le désespoir mais si elle l'avait eue sous la main, elle lui aurait collée une bonne paire de claques pour le principe. 

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant