Chapitre 17 - Diana Cabell

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Diana soupira de soulagement, elle avait réussi à rejoindre le groupe des infirmières à temps. Cela c'était joué à peu de chose.

Elle avait bien cru manquer le départ du bateau. La malle poste qui l'avait menée du Dartmoor jusqu'à Londres avait brisé une roue, ce qui avait failli tout gâcher. Elle n'imaginait pas rester un jour de plus en Angleterre et retourner en France était inimaginable. Qu'y ferait-elle de toutes les manières ? Broder des centres de tables et des coussins, arranger des bouquets de fleurs, attendre de se racornir jusqu'à oublier qu'elle avait un jour été jeune et avide de vivre ? Ou bien pire et plus sûrement, servir de paillasson à sa famille qui lui aurait encore et toujours jeté à la figure ses péchés, ses manquements, ses insuffisances. Comme s'il y avait de quoi être fier de n'être que des larbins de générations et générations. Hors de question d'y retourner. Elle était veuve, en possession d'un petit pécule et libre d'aller de l'avant sans avoir à rendre de compte à personne. Libre d'être utile, active, maitresse de son destin.

On l'avait détaillée avec un certain agacement à son arrivée. Elle ne portait pas une tenue sombre "adéquate" l'avait admonestée Miss Badmington, en lui agitant sous le nez le livret des règles à suivre. Si elle avait eu le temps elle aurait revêtu une triste tenue censée faire office d'uniforme, mais évidemment elle n'avait pas eu le loisir de se rendre à l'hôtel où elle avait réservé une chambre.

Toutes les malles du groupe des dames, une quantité considérable, étaient chargées à bord du HMS Menélas. Le capitaine du bateau qui était témoin de ce manège, bien que stoïque laissait entrevoir une pointe d'agacement saupoudrée d'une légère panique.

Le quai grouillait d'une activité frénétique. Et Diana se laissait peu à peu gagner par une sorte enthousiasme va-t'en guerre, qui a bien y réfléchir était plutôt malsain. Combien de ces jeunes hommes qui s'engageaient joyeusement sur les passerelles du Ménélas ne reviendraient jamais auprès des leurs ? Elle laissa son attention déambuler sur le pont, tentant de mémoriser ces visages anonymes, peut-être les croiserait-elle de nouveau et serait-elle la dernière personne qu'ils verraient.

Celui-là avec le nez en trompette recouvert de tâches de son qui bombait le torse devant ses camarades pour montrer le bel effet que produisait son uniforme. Cet autre qui saluait sa belle toujours sur le quai par de grands moulinets. Celui-ci qui souriait en jetant ses dés et découvrait ses dents du bonheur...

Et elle l'aperçut. Jamais de toute son existence elle n'avait croisé un homme aussi beau. Ses cheveux bien trop longs cascadaient en boucles souples jusqu'à ses épaules, ils avaient un éclat d'or pur. Elle avait toujours pensée que les gens blonds avaient une sorte de fadeur, ce qui faisait qu'on ne pouvait les trouver que "jolis" disons, mais lui... Tout se jouait au niveau de son regard, sous ses épais sourcils très sombres en accent circonflexe, le blanc de ses yeux était d'une pureté surnaturelle et enchâssait des iris d'un bleu d'opale. Ses longs cils recourbés ombraient ce regard troublant. Quand il croisa le sien tout son corps se mit à vibrer.

Elle se gifla mentalement.

"Reprends-toi pauvre idiote".

Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle rencontrait un beau jeune homme, celui-là était juste un peu plus époustouflant que les autres, cela ne lui offrait pas de pouvoirs magiques avec lesquels il pourrait l'ensorceler pour autant. Elle était immunisée contre ce genre de bonhomme trop sûr de leurs charmes.

Il s'approchait. Évidemment ! Un type pareil devait obligatoirement assouvir sa soif de pouvoir sur le beau sexe et ne savait tout simplement pas laisser passer une telle occasion.

Et voilà qu'il leur adressait la parole maintenant.

Mais quelle voix ! Profonde, grave, envoûtante, chargée des promesses de mille délices ! Cela alluma dans son esprit une étincelle inquiétante.

Miss Badmington essayait de lui faire la leçon mais déjà elle tombait dans ses filets, hypnotisée par l'angle parfait de sa mâchoire volontaire.

"Ma parole ! Cette vieille bique minaude avec ce vaurien" !

Quel nom avait-il dit qu'il portait ? Difficile d'entendre au travers des gloussements des apprenties infirmières qui l'entouraient.

Harispe, c'était cela. Harispe d'Arlon. Par la barbe de Jupiter ! Elle était maudite !

Elle le regarda d'un œil neuf. Voilà qui expliquait cette voix. Mais on lui avait toujours raconté que les Harispe étaient des hommes incroyablement laids. On lui avait aussi dit qu'ils étaient des croque-mitaines aux pieds fourchus, il ne fallait pas tout prendre au sens littéral apparemment. Elle devait écourter cette conversation au plus vite. Sa famille avait peut-être exagéré au sujet de leur laideur, mais une chose était certaine, les meneurs de loups, elle en avait soupé. Ils étaient dangereux et le malheur les suivait comme une ombre.

Le traître ! Le voilà qui souriait ! Et quel sourire incroyable. Encore maintenant alors qu'elle avait détourné les yeux, elle avait l'impression d'en voir l'éclat sous ses paupières closes comme s'il était incrusté dans sa rétine, il était humainement impossible d'avoir des dents aussi blanches.

Comme on pouvait s'en douter, il était parfaitement conscient de ses atouts et en jouait éhontément. Miss Badmington qui lui avait pourtant semblé immunisée aux envoûtements masculins papillonnait à présent des cils comme une débutante le soir de son premier bal. Elle était suspendue à son bras et susurrait ses réponses à ses questions sur leur mission à venir.

– Êtes-vous prêtes à vivre dans l'inconfort d'un hôpital de campagne ? Demanda le lieutenant de sa voix vibrante.

Mais quel escroc ! S'insurgea Diana après avoir réprimé un frisson.

– Nous sommes préparées à être témoin des pires horreurs. Il faut bien offrir de l'aide à ces pauvres soldats se battant avec courage pour leur nation.

– Quelle noblesse mesdames !

Et il continuait. Les infirmières se liquéfiaient littéralement à ses pieds.

Pour sa part, même si la beauté du lieutenant était un spectacle des plus agréables, (à quoi bon le nier ce Harispe avait tout d'une statue d'Apollon tout droit descendu de son piédestal pour accorder sa bienfaisante lumière au pauvres mortelles), Diana n'en avait cure. Elle venait de voyager des heures durant dans une malle-poste inconfortable depuis le Dartmoor. Tout ce dont elle avait envie c'était de se rafraîchir et de dormir quelques heures d'affilées tant que c'était encore possible. Elle était tout à fait consciente que bientôt, elle aurait à peine le loisir de se reposer : prendre soin d'un malade demandait un temps infini et elle ne doutait pas que les infirmières crouleraient certainement sous le nombre des malheureux qui auraient besoin de leur aide. Donc après un froncement de sourcils lorsqu'elle croisa le visage du jeune homme qui osait la regarder avec une étrange expression qu'elle ne prit pas la peine de déchiffrer, elle décida de se conduire avec la plus parfaite des impolitesses et planta en grommelant tout le monde au milieu du pont du bateau.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant