Chapitre 56 -la bataille de Balaklava (partie 2)

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L'armée du prince Menchikov avait repris du poil de la bête après leur précédente défaite. Des renforts russes étaient arrivés du nord et avaient pris position aux environs d'Inkermann, tout près de Balaklava dans l'espoir de briser le siège de leur ville de Sébastopol.

Les troupes placées sous le commandement du général russe Liprandi avaient eu pour ordre de reprendre aux alliés quatre redoutes placées sur les collines de Causeway surplombant la plaine de la Tchernaïa. Elles étaient armées de canons et étaient défendues par quelques troupes turques. Elles étaient censées protéger la vallée menant au port de Balaklava, mais elles étaient isolées et avaient été vite et mal construites.

 Elles étaient censées protéger la vallée menant au port de Balaklava, mais elles étaient isolées et avaient été vite et mal construites

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Port de Baklava, base d'approvisionnement anglaise

Et à l'exception du 93ème Highlander, la majorité des bataillons alliés d'infanterie avaient été postés autour de la ville de Sébastopol beaucoup plus à l'ouest et ne pourraient offrir aucun secours rapide si la zone était attaquée.

Liprandi fit donner l'assaut sur la première redoute au sortir de la nuit. En infériorité numérique, les turques, incapables de tenir une position qui n'était pas fortifiée, se replièrent comme ils purent. Ils laissèrent deux cents des leurs, morts, sur les collines.

Rapidement, les quatre redoutes et leurs précieux canons furent entre les mains des hommes du tsar. La cavalerie russe voulant pousser son avantage, descendit alors vers le port, mais eut maille à partir avec le régiment écossais et sa désormais fameuse "ligne rouge".

Le danger immédiat pesant sur le port étant provisoirement écarté puisque les cavaliers russes avaient été poussés à la retraite, il fut alors temps pour les alliés de se soucier des redoutes perdues et de leurs canons. On percevait du mouvement sur les hauteurs et il y avait fort à parier que les russes ne décident d'emmener ces armes avec eux, même s'ils étaient délogés de leurs positions.

Ce serait une perte inestimable pour les sujets de sa gracieuse majesté.

– Hors de question ! Lança lord Raglan, le commandant en chef des forces britanniques.

Il lui manquait le bras droit et sa manche d'uniforme vide était épinglée sur sa poitrine. Son état-major constitué de nombreux officiers acquiesça vigoureusement cette déclaration tonitruante, et chacun alla de son idée pour récupérer ces canons.

Le plus souvent, ils recommandaient d'envoyer la cavalerie qui se trouvait déjà dans la vallée et n'attendait qu'un ordre pour mettre ces cosaques en pièce. Il suffirait pour cela que les cavaliers escaladent les pentes des Causeways. Rien d'insurmontables pour des soldats disciplinés et bien entraînés.

Raglan posait sur la plaine un regard soucieux.

En retrait, adossé à un piquet de tente, Arcas qui attendait qu'on lui donne des transmissions à destination de ses supérieurs français, observait la scène en tentant de ne pas se faire remarquer. De ce qu'il en savait, le vieil homme n'avait plus combattu depuis Waterloo, quarante ans auparavant. Il y avait d'ailleurs perdu son bras. Avant de venir en Crimée, il n'avait jamais assumé de commandement. C'était un homme certes intelligent mais sans réelle expérience. On le décrivait comme quelqu'un de prudent, à la limite de l'indécision.

Et Arlon en avait la preuve devant les yeux. Lord Raglan regardait ses cartes posées sur la table devant lui et, marmonnant, semblait se demander quelle pouvait bien être la meilleure marche à suivre.

Finalement, devant l'agacement montant des généraux autour de lui, il se décida. Arcas le vit dicter un ordre, et le faire remettre à un capitaine. Un certain Nolan, soldat de métier que l'on disait l'un des meilleurs cavaliers des forces britanniques. Un expert de la cavalerie, qui n'avait jamais réalisé jusqu'alors sa plus grande ambition, mener un régiment à la charge. Il avait pour mission de transmettre au comte Lucan qui dirigeait l'ensemble des troupes à cheval cet ordre : Avancez rapidement, suivez l'ennemi dans sa retraite et tâchez de l'empêcher d'effectuer son projet d'emporter les canons ! Immédiatement !

Nolan, couché sur le flanc de son animal pour éviter les balles des francs-tireurs russes, avait descendu les pentes de Sapouné Heights avec un talent et une rapidité qui forçaient l'admiration. Mais pendant les courts instants qui s'étaient passés, entre le moment où cet ordre avait été donné et celui où lord Lucan le reçut, la situation avait changé.

***

Les cavaliers Russes avaient eu le temps de reformer leurs rangs à l'est et allèrent se camper derrière une partie de leur artillerie jusqu'à présent invisible, qui les avait rejoints près de la rivière Tchernaïa. Au même instant, un certain nombre de leurs canons étaient montés sur les collines Fedyukhin au nord. En comptant les armes prises aux anglais dans leurs redoutes au sud, ils avaient formé une véritable nasse. Une machine à broyer.

Lord Raglan et son état-major s'en rendirent compte. Alors qu'il y a encore un instant, ils se réjouissaient à l'avance d'une victoire facile, ils eurent le pressentiment du désastre à venir, même s'ils étaient encore loin de se douter de l'ampleur de la catastrophe qui allait les frapper.

En urgence Raglan demanda au général Canrobert de faire appuyer la gauche de sa cavalerie par les chasseurs d'Afrique. La brigade du général d'Allonville reçu donc l'ordre d'avancer vers les collines Fedyukhin.

Nolan remettait au même moment à lord Lucan, son ordre écrit.

Après qu'il eut lu le papier avec attention le comte regarda autour de lui cherchant une aide qui ne viendrait pas. Il se demanda s'il avait bien compris, les instructions lui paraissaient particulièrement nébuleuses.

Suivez l'ennemi ? Alors que la cavalerie russe s'était réorganisée derrière la protection de leur artillerie au fond de la vallée ? Derrière le feu croisé des canons sur les hauteurs ? De plus, sur ses collines boisées, il pouvait y avoir des tireurs cachés pour qui des cavaliers feraient de bien belles cibles.

Devant son hésitation, le capitaine Nolan répéta que les ordres de lord Raglan étaient de lancer la cavalerie immédiatement.

– Mais, où faut-il donc que je la lance ? Demanda alors lord Lucan.

– Milord, répondit l'officier, là sont les canons, là est l'ennemi.

Nolan fit un geste droit devant lui.

Si cela parut fou, il ne lui vint pas à l'idée de désobéir, Lucan ne voulait pas endosser la responsabilité de mettre en doute les volontés de lord Raglan, dussent-elles envoyer des centaines d'homme à une mort certaine.

Il dépêcha donc Nolan afin qu'il transmette l'ordre d'attaquer à lord Cardigan et à sa brigade légère située devant eux.

Prenant connaissance des instructions, lord Cardigan hésita, comme avait tergiversé lord Lucan.

– Mes cavaliers seront écrasés par les feux croisés des batteries ennemies pendant toute la distance qu'ils auront à franchir, et elle est considérable.

Mais le capitaine lui répondit que l'ordre du général en chef était impératif.

Lord Cardigan s'inclina et tristement, alla prendre la tête de sa brigade.

Il s'écria pour se donner du courage :

– En avant le dernier des Cardigan !

Le capitaine Nolan se plaça à sa droite et le sabre levé se jeta sous le feu de la mitraille qui labourait déjà la plaine.

Un des premiers qui tomba sous une balle de mousquet de l'ennemi fut le capitaine Nolan, frappé en pleine poitrine. Il poussa un cri d'agonie qui résonna dans la vallée comme un sinistre prologue. Sa main se crispa sur la crinière de son cheval, qui continua de galoper un moment. Le cadavre bringuebalait de manière grotesque sur son dos.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant