Chapitre 78 (Partie 8)

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Joshua avait les entrailles nouées d'angoisse rien qu'à regarder sa femme s'avancer vers l'auberge. Il l'observa s'adosser aux murs et jeter avec une apparente nonchalance un coup d'œil à l'intérieur. Au moins la lune avait-elle été dévorée par les nuages et le smog londonien, rendant son manège un peu plus discret.

La salle principale était pleine et correspondait sensiblement à la description que Cassandre avait lue dans les rapports du commissaire Devereux. On y chantait, on y buvait, on s'y restaurait. Bien que n'étant pas une habituée de ce genre de lieu, Cassandre savait que ce pub ressemblait exactement à ce qu'il devait être.

Il y avait des filles, des ouvriers, quelques petits bourgeois, personne qui, du fait de son habillement ou son attitude ne sortit de l'ordinaire. Elle vit l'une des serveuses se diriger vers l'escalier les bras chargés d'un plateau. Lady Blake en déduit que ceux qui les intéressaient, devaient se trouver à l'étage profitant de l'intimité des salles privées.

Le cocher du fameux fiacre dégageant une forte odeur de vase et qui avait déposé le si mystérieux visiteur, descendit de son siège où il avait jusque-là fumé un tabac aux relents nauséabonds. Il attacha son cheval fatigué à l'un des poteaux prévus à cet effet et après avoir pester avec un fort accent cockney contre le froid de gueux de cet hiver qui ne voulait pas finir, il poussa la porte arrière de l'auberge.

L'espionne en herbe qui se tenait non loin de là, reçut dans les narines, les fragrances de bière tiède, de sueur, de parfum bon marché et cuisine grasse.

Joshua ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il la vit à la lumière de la fenêtre, froncer son petit nez sous la couche de poussière qui lui maculait le visage. Quel gamin des rues ferait une tête pareille à l'odeur d'un bar ? Au contraire, il se lécherait les babines en sentant le lard frit. Brogan, s'il n'avait pas été en Écosse en ce moment, les assommerait à coups de :

"Vous êtes pitoyables, on se croirait dans un roman à quatre sous, je vous avais bien dit que vous n'étiez pas fait pour l'espionnage."

Son amusement ne dura pas plus d'un instant car il était dit que durant cette nuit sa femme jouerait avec sa santé mentale. Cassandre regarda d'abord le ciel où la pleine lune était toujours voilée de nuages noirs, puis de droite à gauche pour vérifier qu'elle n'avait pas de témoin autres que ses deux grands imbéciles cachés dans les fourrés, enfin elle se dirigea vers une gouttière. L'impertinente eut le front de faire un signe de la main à l'imbécile numéro un, avant de jouer les monte-en-l'air.

– Arrêtez ça immédiatement, siffla-t-il entre ses dents.

Elle fit comme si elle ne l'avait pas entendu, il n'était pas dupe, elle avait l'ouïe d'un chien de chasse. Elle continua à escalader la façade.

– Descendez ! Pesta-t-il à nouveau.

Il ne savait pas quoi faire, devrait-il la rejoindre au risque d'attirer l'attention sur elle ? Elle s'agrippait déjà au parapet de la première fenêtre. Elle se hissa, jeta un coup d'œil à l'intérieur de la pièce plongée dans l'obscurité. Après un moment, elle se tourna vers son mari et suspendue par une main seulement, elle lui fit signe que la pièce était vide. Il se permit de respirer à nouveau.

Mais il avait épousé un singe. Pendant un instant, il craignit, qu'elle ne se décida à entrer, à son grand soulagement, elle n'en fit rien. Elle se contenta de s'accrocher à une potence en fer forgé à laquelle pendait une lanterne fumante, alimentée en huile de baleine, ses plaques de verres étaient si recouvertes de suie qu'elle fournissait à peine plus de lumière que l'aurait fait une luciole. Lorsqu'elle eut vérifié la solidité de la barre de fer, elle se balança d'avant en arrière, quand elle eut pris suffisamment d'élan, elle lâcha tout. Le cœur de Joshua manqua un battement, le temps qu'elle s'accroche au rebord de la fenêtre suivante.

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant